Le député européen socialiste sortant Robert Goebbels, qui n’est plus candidat aux élections du 25 mai, a publié dans le Tageblatt daté du 9 mai 2014 une tribune sous le titre un peu ambigu de "Parlement ou maison close?" dans laquelle il décrit le travail législatif au Parlement européen, non sans lancer des piques.
Robert Goebbels décrit dans sa tribune "une ambiance de foire touristique permanente" qui règne dans les couloirs du Parlement européen où public, députés et presse se mêlent, une ambiance qui change néanmoins "dès qu'on entre dans les salles de commissions ou en plénière". Robert Goebbels, qui a siégé pendant 15 ans au Parlement européen, parle d’une assistance qui "y est généralement clairsemée" sauf pour les séances de vote. Il explique ce phénomène par l’application de la règle d'Hondt à tous les organes du Parlement européen, règle qui consiste ici "à attribuer dans chaque organe du Parlement européen un nombre de sièges proportionnel au nombre de députés de chaque famille politique", et cette règle s’applique aussi à l'attribution des présidences, des vice-présidences et au temps de parole en plénière. Cela limite le nombre des intervenants, de sorte que selon le député, "la plupart des députés brillent par leur absence".
Robert Goebbels s’en prend également au manque de transparence démocratique d’un travail législatif dont l’impact est devenu de plus en plus important. "La Commission européenne dispose seule du droit d'initiative", souligne-t-il, " mais elle ne décide de rien", car " toutes les propositions sont amendées, parfois réécrites par le Parlement et le Conseil". "L’essentiel du travail du Conseil se fait à travers le Coreper (le Comité des représentants permanents des 28), et surtout les groupes de travail du Conseil", continue le député.
Au Parlement européen, constate Robert Goebbels, "le travail législatif est façonné le plus souvent par un nombre très restreint de députés". Les rapports sont attribués à la proportionnelle, le rapporteur principal étant flanqué de "shadows", de rapporteurs fictifs, qui négocie des compromis avec le rapporteur principal sur les parfois 1000 à 2000 amendements que les députés déposent "parfois avec l'aide de lobbies économiques ou de celle d'une société civile également bien financée". Mais ce sont les amendements de compromis, élaborés par le rapporteur et ses rapporteurs fictifs qui "sont votés prioritairement en commission".
Ce qui rend les choses encore plus compliquées, c’est que le Parlement européen "fonctionne en fait sans majorité ni opposition", comme c’est le cas dans un parlement national. Les majorités sont "à géométrie variable selon les sujets", et sont préparés par le compromis entre le rapporteur et ses "shadows". S’ils sont acceptés "par deux, trois, parfois davantage de groupes politiques, le vote en commission, puis en plénière passe comme une lettre à la Poste."
Mais pour Robert Goebbels, "au fil des ans, le système s’est perverti" car "il arrive de plus en plus souvent que le rapporteur et quelques rapporteurs fictifs, une fois le vote en commission acquis, négocient sur cette base avec le Conseil en vue de l'adoption définitive en plénière d'une directive ou d'un règlement." Il s’agit là des "fameux trilogues", où "une demi-douzaine de députés, la Commission et la présidence du Conseil négocient derrière des portes closes un compromis global." Si ce compromis trouve le consentement du Coreper, donc des Etats membres, il est "soumis en plénière à un vote bloqué" dès une première lecture, et selon Robert Goebbels, la plénière "dira généralement ‘oui’, privant ainsi la grande majorité des députés de leur droit d'amendement, en fait de leur droit de décision."
L’eurodéputé socialiste admet qu’il "est impossible au député individuel de lire tous les textes, amendements et compromis". Conséquence : il doit se fier aux indications de la liste de vote qui a l'aval du rapporteur et des "shadows" ou suivre les indications des coordinateurs des groupes. Mais comment expliquer par après son vote ? Robert Goebbels admet aussi que les députés des parlements nationaux "doivent également se spécialiser et se fier lors des votes aux indications de leur groupe", mais là, ils le font dans le cadre d’un contrat de législature où il y a une majorité et une opposition. Pour Robert Goebbels, les majorités sont par contre "parfois des majorités de hasard".
Ce système "est efficace, mais totalement opaque et de moins en moins démocratique" conclut Robert Goebbels. Il conduit par ailleurs à ce que le travail sur les textes se fait uniquement en anglais, "au mépris des règles écrites d'un parlement multinational". Bref, "le prochain Parlement européen doit se ressaisir", éviter les grands débats sans conséquences et replacer le travail législatif "au centre des préoccupations parlementaires". Et surtout : "Une première lecture en plénière doit devenir la règle", au cours de laquelle le Parlement définit sa position, et ce n’est qu’ensuite que la discussion avec le co-législateur, le Conseil, pourra "laisser ainsi du temps au temps nécessaire" avant une adoption définitive en deuxième lecture des législations qui concernent 500 millions d'Européens.