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Élargissement
Dix ans après l’élargissement historique de l’UE, une conférence organisée par l’ambassade de Pologne a tiré un bilan largement positif de cette étape majeure de la construction européenne
02-06-2014


Le 1er mai 2004, dix Etats rejoignaient l'Union européenne lors de la plus grande vague d’adhésion jamais réalisée dans l’UE, passée ainsi de 15 à 25 Etats membres. A l’occasion du dixième anniversaire de cet élargissement, l'Ambassade polonaise et la Représentation de la Commission européenne au Luxembourg organisaient le 2 juin 2014 une conférence visant à tirer un bilan de cette étape de la construction européenne qui avait à l’époque suscité beaucoup d’inquiétudes de part et d’autres.

Ainsi, comme le rappelait l’Ambassade de Pologne dans son invitation, dans les "anciens" États membres de l'UE, nombreux sont ceux qui craignaient un flux d'immigration massif issu des "nouveaux" Etats membres, une pression sur les emplois ainsi qu’une hausse de la criminalité. Dans les "nouveaux" États membres, certains estimaient que l'adhésion à l'UE conduirait à des faillites d'entreprises d'Europe centrale et appauvrirait les agriculteurs. En outre, un certain nombre d'experts  prévenaient que l’UE post-élargissement serait moins cohérente et ingérable institutionnellement.

"Qui avait tort, qui avait raison ?" était donc le sujet de cette conférence au cours de laquelle Nicolas Schmit, ministre luxembourgeois du Travail et ancien ministre des Affaires européennes, Mikołaj Dowgielewicz, gouverneur adjoint de la Banque de développement du Conseil de l’Europe et ancien secrétaire d’Etat polonais aux Affaires européennes, et Oldřich Martinů, directeur adjoint du Département de la gouvernance à Europol et ancien chef de la police de la République tchèque ont été conviés à exposer leur point de vue sur les aspects politiques, sociaux, économiques et sécuritaires de cet élargissement historique de l'UE.

L’élargissement n’a pas été une source de crise, au contraire, selon Nicolas Schmit

pologne-schmitPour la Pologne, ce dixième anniversaire coïncide avec un autre, le 25e anniversaire des premières élections "semi-libres" organisées le 4 juin 1989. Des élections qui ont marqué une "accélération de l’histoire" selon Nicolas Schmit qui a souligné que sans Solidarnosc, le mouvement syndical dirigé par Lech Wałęsa qui joua un rôle centrale dans l'opposition au gouvernement de l'époque, "l’histoire aurait sûrement pris un tournant différent". Alors que le pays avait disparu de la carte en 1940, il a été le théâtre d’un "mouvement pour le changement et pour la démocratie" qui a "dégelé" la situation héritée de la guerre froide.

L’adhésion de la Pologne en 2004 serait donc avant tout "un retour à l’Europe" d’un pays qui a "énormément souffert de ses puissants voisins", estime le ministre Schmit qui y voit une "grande réussite à de nombreux égards". Les difficultés actuelles que connaissent l’UE face aux crises financières et économiques ne sont d’ailleurs pas dues aux Etats membres issus de l’élargissement de 2004 selon Nicolas Schmit qui relève, au contraire, que la plupart ont connu "une incroyable stabilité". Les pays baltes, notamment, "ont réussi à faire face aux grandes difficultés économiques dues à la crise et à se réformer en profondeur, au prix de grands sacrifices, mais qui leur ont permis de rebondir". "L’élargissement n’a pas été une source de crise, au contraire, il a permis de renforcer l’Europe", ajoute le ministre.

Quant au blocage prédit des institutions, il ne s’est pas produit. "Les institutions fonctionnent très bien, et s’il y a eu des blocages par le passé, ils ont été plutôt le fait de membres fondateurs", a poursuivi Nicolas Schmit. L’élargissement a par ailleurs permis de revenir aux sources du projet européen que sont la paix et la démocratie a-t-il encore estimé. "Quelle serait la situation aujourd’hui [face à la crise ukrainienne] si la Pologne et les Etats baltes n’étaient pas membres de l’UE en termes d’instabilité pour l’Europe ?", soulève le ministre du Travail selon lequel il était dès lors "juste" de procéder à cet élargissement et également "juste de le faire aussi vite" alors que certains prévenaient à l’époque contre "une fuite en avant".

D’un point de vue économique, Nicolas Schmit a jugé que la Pologne connaissait un "grand succès", saluant la capacité du pays à la mise en place de réformes "rapides et parfois brutales". "Il y a bien entendu eu des perdants, mais ces réformes ont payé à la fin", assure-t-il. L’écart avec les autres pays européens s’est d’ailleurs réduit, estime le ministre, qui note que les performances économiques polonaises "sont bien supérieures à la moyenne européenne". En termes sociaux également : le chômage qui dépassait 20 % en 2004 est aujourd’hui à 13 %, soit "un niveau légèrement supérieur à la moyenne européenne. Le chômage des jeunes a pour sa part reculé d’un taux de 40 % en 2004 à 27 % en 2014.

Le ministre a par ailleurs souligné un changement dans la culture administrative polonaise. "Qui aurait pu imaginer qu’un pays dominé par un régime bureaucratique, centralisé et autoritaire pendant plus de 40 ans serait capable d’opérer un changement fondamental de système économique vers une économie de marché et d’intégrer les plus de 100 000 pages d’acquis communautaire dans une aussi brève période?", a-t-il relevé.

Sur la question de la monnaie unique, à laquelle la Pologne ne participe pas, Nicolas Schmit a encore jugé que selon lui, le pays "avait fait le bon choix" car cela a permis à la Pologne de "croître plus vite et d’échapper à certaines des contraintes de la zone euro" en étant moins exposée à la crise. "C’est une décision sage de bien choisir son moment".

Le ministre Schmit est aussi revenu sur la polémique née autour de la libre-circulation avec "l’histoire" bien connue du plombier polonais. "Nous savons tous qu’il n’existait pas, mais en revanche, il y avait une vraie libre-circulation des travailleurs", avance le ministre qui rappelle que si certains "anciens" Etats membres, dont le Luxembourg, avaient à l’époque fait le choix de protéger leur marché en imposant des dispositions transitoires, ce sont finalement ceux qui ne l’ont pas fait qui " ont tiré de grands avantages".

Enfin, Nicolas Schmit a évoqué l’agenda de la prochaine Commission européenne qui devra trouver "le bon équilibre" entre liberté de circulation des personnes et des services, marché intérieur et respect des droits sociaux. "Comme l’a dit Mario Monti, le marché intérieur ne peut bien fonctionner que si la dimension sociale est également prise en compte. Il s’agit de trouver l’équilibre entre la compétitivité, car on ne peut pas se satisfaire d’une croissance faible et de hauts niveaux de chômage, et la dimension sociale. On ne peut pas construire l’UE sur le dumping social", a-t-il conclu.

L’adhésion polonaise, un succès économique pour Mikołaj Dowgielewicz

pologne2Mikołaj Dowgielewicz, gouverneur adjoint de la Banque de développement du Conseil de l’Europe et ancien secrétaire d’Etat polonais aux Affaires européennes, estime également que l’adhésion de 2004 peut être considérée comme "un grand succès" malgré les inquiétudes soulevées à l’époque.

Celui-ci relève que de 2004 à 2008, cet élargissement s’est traduit pour les nouveaux adhérents par "une période d’expansion économique rapide qui a profité à tous" mais qu’à partir de la crise financière de 2009, la situation s’est compliquée en Europe centrale et de l’Est. "Ces pays ont été davantage exposés aux impacts de la crise en raison de leurs économies fragiles que dans les marchés financiers développés de l’Europe de l’Ouest. Donc même si le ralentissement économique a frappé moins fort les Etats membres du Centre et de l’Est, les effets y ont tout de même été très durs", juge l’ancien secrétaire d’Etat.

La Pologne a néanmoins "presque échappé à la crise". "Près de 50 % des investissements publics réalisés en Pologne le sont via des Fonds de l’UE", met par ailleurs en avant Mikołaj Dowgielewicz, qui juge qu’il s’agit d’une "belle histoire, très puissante, peut-être pas au Parlement britannique de Westminster, mais pour expliquer aux citoyens de quelle manière les fonds européens peuvent être bien utilisés et participer à la stabilisation de la croissance économique".

Ainsi, le revenu national brut (RNB) par tête en Pologne est-il passé de 40 % du RNB moyen par tête dans l’UE en 2004 à 65 % du RNB moyen par tête dans l’UE en 2014. Les nouveaux liens économiques qui se sont tissés entre Etats membres ont également profité à la Pologne, qui a multiplié par trois ses exportations intra-européennes, souligne encore l’ancien secrétaire d’Etat. "En 1990, le RNB par tête en Ukraine était supérieur au RNB polonais. Aujourd’hui, il est trois fois supérieur en Pologne".

Mikołaj Dowgielewicz relève par ailleurs que la crainte d’un blocage institutionnel en raison de l’arrivée de 10 nouveaux Etats membres ne s’est pas réalisée. "Il n’y a aucune preuve que le processus de décision au Conseil soit plus lent qu’il ne l’était en 2004, en fait c’est surtout le contraire même si cela a à voir avec d’autres raisons comme le traité de Lisbonne. Il est en tout cas clair qu’en termes de gouvernance, ces Etats n’ont pas bloqué l’UE. A de nombreux égards, ils ont gagné en qualité de gouvernance, les administrations publiques sont plus efficaces, ouvertes et occidentalisées", a-t-il appuyé, de même que "le débat politique en Pologne".

D’autres éléments seraient néanmoins plus difficiles à considérer uniquement comme des succès. S’il juge que la mobilité et que le fait que 2,3 millions de Polonais ont migré dans d’autres pays européens pour y travailler est un succès sur le plan économique, dans le même temps, "cela pose souvent un réel problème, pour la sécurité sociale, les familles et les enfants". "On peut souvent lire des articles de journaux qui montrent qu’il y a un prix à payer mais ce n’est pas simplement blanc ou noir".

Sur la question des perspectives de l’UE dans les dix prochaines années, l’ancien secrétaire d’Etat estime que, si l’on peut supposer que l’euro "est sorti de l’hôpital", la priorité de l’UE devra être la restauration de sa compétitivité économique, ce qui demande "une très sérieuse réflexion et une redirection des politiques". "On ne peut pas prétendre que l’UE serait une huître dont il suffirait de refermer la coquille pour être en sécurité. Nous devons prendre conscience que nous pouvons être compétitifs en tant qu’Européens car nous avons des avantages compétitifs dans une économie globalisée".

Dans ce contexte, Mikołaj Dowgielewicz soulève un problème particulier de compétitivité pour les nouveaux Etats membres. "Le problème est de s’assurer que les Etats membres d’Europe centrale et de l’Est ne deviennent pas simplement des arrière-boutiques pour les chaînes de productions des grandes multinationales de l’Ouest. [Le constructeur automobile français] Renault a annoncé qu’il allait quitter la Roumanie pour la Serbie où le coût du travail serait trois fois moindre. On pourrait penser, ici au Luxembourg, que le coût du travail en Roumanie est relativement faible, mais apparemment pour Renault, il ne l’est encore pas assez".

Selon lui, cet exemple montre que jouer sur la compétitivité uniquement perçue en termes de coût du travail n’est pas une histoire sans fin. "A un moment cela prendra fin et c’est une leçon pour ces pays. C’est pour cela que le nouveau cadre financier pluriannuel 2014-2020 est centré sur la création de davantage de compétitivité et d’innovation dans ces économies, car elles doivent être rendues plus compétitives afin de supporter les niveaux de croissance actuels, au risque sinon de devenir des arrière-boutiques".

Sur la question de l’entrée dans la zone euro, l’ancien secrétaire d’Etat relève que six des dix Etats entrants en 2004 ont adopté la monnaie unique, et qu’un septième, la Lituanie, devrait le faire en 2015, mais que cette vague d’adhésion sera certainement la dernière de cette ampleur pour le moment. Cela notamment parce que "personne dans la zone euro n’est prêt à prendre le risque avec des Etats pour lesquels existe un doute sur le fait qu’ils rempliront les critères formels", entre autres en termes de procédure de déficit excessif (PDE).

Pour ce qui est de la Pologne, qui s’attend à remplir les critères afin de sortir de sa PDE à l’horizon 2016, l’exigence la plus complexe à remplir serait la stabilité des taux de change pendant une période de deux ans. Or, il relève que pour la Slovaquie, moins exposée sur les marchés financiers que la Pologne, le taux de change s’est apprécié de plus de 50 % dès l’annonce de sa volonté de joindre la zone euro. "Ce serait simplement insupportable pour une économie de la taille de celle de la Pologne", estime-t-il.

De même, une fois la décision acceptée à l’Eurogroupe, le pays aurait cinq mois pour battre les pièces. "Or aucun pays aussi grand que la Pologne n’a rejoint l’euro une fois déjà en circulation. Cela signifierait que la banque centrale polonaise devrait battre 64 milliards de pièces en cinq mois, ce qui est impossible, donc il faudrait changer le règles". Enfin une telle adhésion demanderait une modification constitutionnelle en Pologne, qui requiert une majorité des deux tiers dans les deux chambres nationales, une majorité "qui n’existe pas pour l’instant", appuie-t-il. Considérant que la zone euro deviendra dans les prochaines années "le cœur de l’UE", Mikołaj Dowgielewicz juge que "le plus tôt sera le mieux" pour l’adhésion polonaise qu’il ne voit cependant pas avant 2017 ou 2018 au plus tôt.

De manière plus générale, l’ancien secrétaire d’Etat a conclu qu’il ne voyait pas de prochain élargissement de l’UE avant 2020, les pays des Balkans notamment ayant "beaucoup de devoirs à faire" pour aller dans cette voie, mais que cela aiderait certainement à stabiliser le voisinage européen. Mais cela demandera "de l’investissement et de la volonté politique".

L’élargissement de 2004 n’a pas suscité d’augmentation de la criminalité, rapporte Oldřich Martinů

pologne3De son côté, Oldřich Martinů, directeur adjoint du Département de la gouvernance à Europol et ancien chef de la police de la République tchèque, est revenu sur la question des craintes d’intensification des crimes suite à l’élargissement. Selon l’officier de police, le visage du crime organisé ne serait pas différent sans l’élargissement de 2004, mais en revanche, c’est au niveau de la réponse qu’apparaîtraient des différences. Ainsi la coopération policière qui existe notamment via Europol serait absente, ce qui laisserait de facto de la marge aux criminels.

Question bilan chiffré, Oldřich Martinů relève que les statistiques des dix dernières années montrent au niveau de l’UE une baisse de la criminalité de l’ordre de 10 à 15 %, "donc la peur de voir la criminalité augmenter suite à l’élargissement n’était pas justifiée".