Dans une question parlementaire en date du 18 avril 2014, le député LSAP Franz Fayot s’inquiétait des conséquences susceptibles de découler au niveau national de l'arrêt rendu par la Cour de Justice de l'Union européenne (CJUE) le 8 avril 2014, dit "Digital Rights", et notamment son impact probable sur la législation qui avait transposé cette directive en droit luxembourgeois.
Pour mémoire, la Cour avait par cet arrêt invalidé la directive 2006/24/CE du 15 mars 2006 relative à la conservation de données à caractère personnel à des fins de prévention, de recherche, de détection et de poursuite des infractions graves en raison entre autres de son "ingérence dans [l]es droits fondamentaux [consacrés aux articles 7 et 8 de la Charte] d'une vaste ampleur et d'une gravité particulière dans l'ordre juridique de l'Union".
Dans leur réponse écrite commune datée du 18 juin 2014, le Premier ministre et ministre des Communications et des Médias, Xavier Bettel, ainsi que le ministre de la Justice, Félix Braz, rappellent tout d’abord que les consultations "avec l’ensemble des acteurs concernés" annoncées par le ministre de la Justice le jour même de l’arrêt de la CJUE "ont été entamées immédiatement", mais que "il va de soi que la complexité de la matière ainsi que les conséquences potentielles importantes de cet arrêt sur notre législation nationale ne permettent pas de tirer des conclusions définitives dans le laps de temps imparti pour répondre à la question parlementaire". Cela malgré un délai d’un mois supplémentaire accordé pour la réponse.
Selon les deux ministres, deux constats s'imposeraient "toutefois" dès à présent. D'une part, la loi qui transpose en droit luxembourgeois la directive européenne, la loi modifiée du 30 mai 2005 "a une existence propre et distincte par rapport à la directive transposée et invalidée par la Cour, de sorte qu'elle continue à s'appliquer". Les consultations en cours auraient précisément pour objectif "de vérifier si cette loi répond aux exigences posées par la CJUE et tirées de la Charte des droits fondamentaux de l'UE". Car la charte, pour sa part, "est également applicable au Luxembourg eu égard à son caractère de norme supranationale à respecter par le législateur et les juridictions nationaux", soulignent les ministres.
Par ailleurs, Xavier Bettel et Félix Braz relèvent que "toute modification éventuelle de la loi nationale concernée, et cela malgré son existence propre et indépendante par rapport à la directive invalidée, sera conditionnée par les initiatives éventuellement à prendre et les travaux menés au sein de l'UE". Il s’agit ici notamment de savoir si la Commission européenne prendra l'initiative de proposer une nouvelle directive en vue de remplacer la directive invalidée, et de tenir compte des négociations actuellement en cours en vue de l'adoption de la réforme de la protection des données dans l’UE.
En effet, une nouvelle loi adoptée au Luxembourg avant l'adoption d'une nouvelle directive ainsi que de l'aboutissement des négociations précitées "risque[rait] de rencontrer deux difficultés parfaitement contradictoires, alors qu'elle pourrait être considérée soit trop large, soit trop restrictive, ce qui ne manquerait pas de poser d'autres problèmes importants", jugent-ils.
Sur la question de l'effet de l'invalidation de la directive rétroactivement à partir de son adoption en 2006, les ministres assurent qu’elle "fait bien entendu partie intégrante des consultations et réflexions en cours". Mais de préciser que dans ce contexte, "il s'impose cependant de ne pas confondre, d'une part, l'invalidation rétroactive de la directive 2006/24 et, d'autre part, la rétroactivité ou non-rétroactivité d'une éventuelle modification de la loi précitée du 30 mai 2005 ayant transposé cette directive".
Pour ce qui est du traitement de données effectués sous l'empire d'une loi déterminée - et effectués conformément à cette loi -, il reste selon les ministres "en principe […] valables et légaux jusqu'à la modification ou l'abrogation de cette loi". Avant une telle modification ou abrogation, la validité d'un traitement de données spécifique "ne saurait être considérée qu'au cas par cas et par une juridiction saisie dans un dossier déterminé".
Xavier Bettel et Félix Braz estiment dès lors que "il est à l'heure actuelle impossible de faire des pronostics en termes de responsabilité pour l'Etat alors que l'issue d'une telle procédure dépend des initiatives éventuelles des parties au procès et des différents éléments et circonstances de chaque cas d'espèce".
Ainsi et pour ce qui est précisément de la loi du 30 mai 2005, elle continue, en vertu de son existence juridique propre et distincte, "à exister dans l'ordonnancement juridique luxembourgeois même après l'invalidation de la directive en raison de laquelle la loi nationale a été adoptée". En conséquence et "de façon générale, il en découle que les informations de communication concernées ont été traitées légalement dans le cadre d'une procédure judiciaire, alors que ce traitement a reposé, et repose actuellement encore, sur une base juridique valable" Mais de conclure que "pour le surplus, il appartient aux parties d'une procédure judiciaire d'apprécier si elles entendent faire usage des moyens et recours prévus par la loi".