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Economie, finances et monnaie - Marché intérieur
Interrogé par le Luxemburger Wort, le président de l’ABBL précise les conséquences "globalement positives" mais "au coût non négligeable" de l’Union bancaire sur le Luxembourg
04-06-2014


www.wort.luDans son édition du 4 juin 2014, le Luxemburger Wort consacre une interview à Yves Maas, le président de l’Association des banques et banquiers du Luxembourg (ABBL) au sujet de l'Union bancaire. Alors que le nouveau système deviendra opérationnel à la fin de l'année avec l'entrée en vigueur du mécanisme unique de supervision bancaire (MSU ou SSM), Yves Maas en détaille les enjeux pour la place financière luxembourgeoise.

Le premier consiste en la vaste revue d'actifs devant précéder les tests de résistance auxquels seront soumises les grandes banques européennes. Yves Maas y précise que parmi les quelque 70 banques luxembourgeoises concernées, six ont leur siège social au Luxembourg et détiennent un actif consolidé dépassant "30 milliards d'euros ou 20 % du PIB luxembourgeois (soit plus ou moins huit milliards d’euros)", les autres étant "les filiales luxembourgeoises de groupes bancaires significatifs dont le siège social se trouve à l'étranger".

Selon le président de l’ABBL, la revue de la qualité des actifs des banques actuellement en cours se veut "un exercice très détaillé" qui "exige des banques concernées une charge de travail conséquente". Il consiste en un "audit approfondi de la valorisation des actifs bancaires […], des garanties reçues et des niveaux de provision pour créances douteuses". Les conclusions de cet examen seront intégrées dans les résultats du stress test qui viseront à "mesurer la résistance des banques à des scénarios de crise assez sévères se traduisant entre autres par des décotes sur  la dette souveraine, une augmentation généralisée du risque de crédit, l'augmentation du coût de refinancement des banques, etc.", ajoute-t-il.

En cas de lacunes décelées au moment des stress tests, "les banques devront couvrir d'éventuels déficits de fonds propres dans un délai de six à neuf  mois", notamment via "une augmentation de capital ou la vente de certains actifs". En cas d’incapacité à ramener le niveau de fonds propres au minimum requis, ces banques "devront alors être restructurées ou mise en liquidation", souligne Yves Maas.

Le président de l’ABBL estime néanmoins qu’eu égard "à la forte capitalisation des banques luxembourgeoises et au faible niveau de risque de leurs activités", l'évaluation complète ne devrait pas mettre en évidence de problème majeur. Elle devrait malgré tout entraîner pour les banques "des coûts non négligeables", que le responsable chiffre à "plusieurs millions d'euros". L’exercice est en tout cas jugé "indispensable" en vue de rétablir la confiance dans le système bancaire européen, "condition nécessaire à la sortie de crise". Selon Yves Maas, il permettra en effet "une bonne fois pour toutes d'identifier et de restructurer les banques problématiques", un processus qui d’après lui "a été trop longtemps retardé".

Sur l’implication concrète de l’évolution de la supervision bancaire au niveau national, Yves Maas rappelle que ce sera désormais la BCE qui surveillera directement les quelque 70 banques significatives à Luxembourg, pour lesquelles elle sera donc "le décideur ultime" en lieu et place de la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF), tandis que pour les banques non significatives, au nombre d’environ 80 au Luxembourg, la surveillance de la BCE sera indirecte. Dès lors, "des décisions stratégiques pour les banques luxembourgeoises seront prises à l'avenir par la BCE, comme l'agrément des nouvelles banques ou l'exemption de la limite des grands risques intra-groupe", détaille-t-il.

Sur le terrain, des équipes mixtes composées de superviseurs nationaux et de superviseurs issus de la BCE seront mises en place, ce qui permettra à la CSSF "de conserver une influence dans les prises de décision en tant que membre des équipes de supervision", indique-t-il. "Pour ce faire, nous encourageons la CSSF à conserver son approche proactive, et à assigner du personnel expérimenté aux équipes mixtes de supervision".

Yves_Maas_ABBLSur la question de la sécurité du système bancaire, "l'ABBL estime que le SSM aura globalement un impact positif", son "grand mérite" étant de transférer les responsabilités à "une institution  européenne indépendante", dotée de "moyens appropriés" (un millier de contrôleurs sont en cours de recrutement à Francfort précise Yves Maas) et "du poids suffisant pour imposer des décisions douloureuses" en évitant "toute interférence des autorités politiques dans la conduite de la supervision".

Le président de l’ABBL relève en outre que la BCE aura désormais "une vue d'ensemble centralisée de la situation des groupes bancaires transfrontaliers", ce qu’il considère comme "un progrès considérable". Il rappelle en effet que l'échange d'informations entre les superviseurs nationaux membre d'un collège de supervision "n'a pas toujours été optimal" dans le passé.

Pour ce qui relève du Fonds de résolution unique (FRU ou SRF), Yves Maas juge que la contribution des banques luxembourgeoise est "difficile à chiffrer avec exactitude", le mode de calcul devant être élaboré au cours des prochains mois par la Commission européenne. Il l’estime néanmoins " significatif, de l'ordre de plusieurs centaines de millions d'euros".

Au cours de l’interview, le président de l’ABBL revient également sur le principe du bail-in, qui garantit que les contribuables ne seront plus sollicités à l'avenir pour supporter les pertes d'une banque en difficulté en mettant à contribution les créanciers, selon une hiérarchie prédéfinie. Les dépôts clientèle non garantis par un système de garantie des dépôts (dépôts de plus de 100 000 euros) seraient ainsi "touchés en dernier lieu". Un principe qu’Yves Maas juge "cohérent" même s’il estime qu’il aura néanmoins "des conséquences importantes sur le coût et la structure de refinancement à moyen et long terme des banques".

Sur la question de la garantie des dépôts, le président de l’ABBL rappelle que la directive sur les systèmes de garantie des dépôts harmonise le niveau de protection des déposants dans l'UE, via le financement d'un fonds national de garantie sur une base ex ante, abondé par les contributions des banques membres du système. Yves Maas relève ainsi "que le futur système sera plus coûteux pour les banques". Le Fonds national de garantie devra en effet atteindre, en dix ans, un montant équivalent à 0,8 % du total des dépôts garantis au Luxembourg qui selon les calculs de l’ABBL, représente "un minimum de 240 millions d'euros, soit une contribution annuelle de 24 millions d'euros".

Dans le cas où le financement ex ante s'avérait insuffisant pour indemniser les déposants, alors des appels de fonds ex post seraient nécessaires. Des "coûts additionnels" qui ont "été anticipés par les autorités: au 31 décembre 2013, les banques luxembourgeoises ont ainsi provisionné sur instruction de la CSSF un montant de 686 millions d'euros au titre de la garantie des dépôts, représentant plus de 2 % du montant total des dépôts garantis", indique Yves Maas.

Pour ce qui est des conséquences sur l’Association pour la garantie des dépôts Luxembourg (AGDL), le président de l’ABBL confirme qu’elle nécessitera "une réforme profonde" pour passer d’un financement ex post vers un financement ex ante. Selon lui il existe un consensus entre les autorités luxembourgeoises et les représentants de l'industrie bancaire pour doter le pays d'un système de garantie crédible et robuste, l’ABBL plaidant en ce sens pour la transformation de l’AGDL "en un établissement public, administré conjointement par les autorités luxembourgeoises et par les représentants de l'industrie".

Yves Maas juge enfin que "même encore imparfaite, l'union bancaire renforcera la stabilité financière et la confiance dans le secteur financier", des bénéfices " indispensables à une place financière comme la nôtre ancrée au cœur de la zone euro". S’il faut dès lors de résoudre à des transferts de souveraineté vers des autorités européennes, le président de l’ABBL s’y dit favorable, "à condition que le Luxembourg soit équitablement représenté au sein de ces instances, qui doivent rester indépendantes de toute intervention politique". Il s’agit par ailleurs de "veiller à ce que le  secteur bancaire luxembourgeois ou, ultimement, les contribuables, ne doivent supporter les conséquences financières de mauvaises décisions qui auront été prises par ces nouvelles autorités européennes".

De même, il estime que les pouvoirs étendus de la BCE devraient permettre de prévenir les crises bancaires, disant attendre de la BCE "une approche favorisant la libre circulation des capitaux au sein des groupes bancaires opérant dans l'espace SSM (ou MSU)". Un point "crucial" pour les banques luxembourgeoises "qui prêtent à leur groupe leurs excédents de liquidité", conclut-il.