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Traités et Affaires institutionnelles - Transports
Le projet de péage pour les automobilistes prévu pour 2016 sur le réseau autoroutier allemand ne serait pas conforme aux normes européennes, selon une étude du service scientifique du Bundestag allemand
03-08-2014


Un panneau routier en Autriche indiquant un péage (Source: Asfinag)Le projet de péage ("Maut") pour les automobilistes prévu pour 2016 ne serait pas conforme aux normes européennes, selon une étude du service scientifique du Bundestag, la chambre basse allemande, que l’agence de presse allemande dpa s’est procurée, selon une dépêche du 3 août 2014. Les juristes constatent une "discrimination indirecte" des citoyens de l’UE.

Le projet prévoit qu'à compter de 2016, les automobilistes soient taxés, sous forme d'une vignette annuelle dont le coût dépendra de l'âge de la voiture, de la cylindrée du moteur et de critères environnementaux, pour un montant s’élevant en moyenne à 88 euros. La taxe, dont s'acquitte déjà tout propriétaire de voiture en Allemagne, sera minorée d'autant, de sorte que les automobilistes allemands ne paieront rien de plus. Dans les faits, les étrangers seront donc les seuls à payer davantage, comme promis par le parti CSU, l'aile bavaroise de la CDU d’Angela Merkel qui n’a jamais caché qu’elle est contre le péage. Initialement prévu seulement pour les autoroutes, le péage doit s’étendre sur le réseau autoroutier complet, ce qui touchera notamment le petit trafic transfrontalier.

Pour les législatives de septembre 2013, la CSU avait fait campagne dans son fief bavarois sur l'introduction d'un péage pour les étrangers, une promesse porteuse dans une région où de nombreux habitants s'acquittent d'une vignette afin de pouvoir emprunter les autoroutes de l'Autriche ou de la Suisse voisines. Invité à participer au gouvernement de coalition, la CSU a ensuite posé comme condition l'instauration d'un péage qui mette seulement à contribution les automobilistes étrangers. Pour le moment, en Allemagne, seuls les poids lourds s'acquittent d'un péage. Le chef de la CSU, Horst Seehofer, a même menacé de quitter la coalition, dans un entretien avec l’hébdomadaire "Welt am Sonntag" du 27 juillet 2014.

Deux lois pour la ristourne du péage aux automobilistes allemands

Le ministre allemand des Transports, Alexander Dobrindt, présente son projet de péage (Source: BMVI)Pour ne pas être en conflit avec le droit européen, le ministre des Transports Alexander Dobrindt a prévu deux lois différentes : une loi sur la contribution à l’infrastructure (Infrastrukturabgabe) et une modification de la loi sur la taxe sur les véhicules automoteurs (Kraftfahrzeugssteuergesetz) pour permettre la ristourne du péage aux automobilistes allemands, selon la Rheinische Post du 6 juillet 2014. Ces deux mesures doivent être considérées  conjointement, estiment les experts du Bundestag, selon l’agence dpa. Mettre en lien les deux lois constituerait une discrimination des citoyens de l’UE.

Une autre discrimination résulterait de la structure du prix de la vignette.Les automobilistes étrangers pourront acheter une vignette annuelle pour environ 100 euros, une vignette valable dix jours pour dix euros ou bien une de deux mois pour 20 euros. Il s’agit d’un prix forfaitaire qui n’inclut pas les critères mentionnés plus haut ce qui mènerait à un "traitement inégal" et une "discrimination indirecte" entre automobilistes allemands et étrangers, note l’étude.

L’agence dpa ajoute néanmoins que des tarifs échelonnés s’appliquent lorsqu’un automobiliste étranger achète la vignette sur internet, contrairement à l’achat à une station-service où la vignette annuelle coûte toujours une centaine d'euros. Le ministère des Transports justifie cette différence de prix par des frais administratifs plus élevés, dans une fiche d’information publiée par le ministère le 7 juillet 2014, le jour de la présentation du projet de péage. Selon le texte, le "principe de non-discrimination est assuré" par la possibilité pour les automobilistes étrangers d’acheter la vignette sur internet.

L’étude critique par ailleurs que des entreprises étrangères, telles que des services de courrier, devraient payer plus que des entreprises allemandes, ce qui constituerait une infraction contre le traité sur le fonctionnement de l’UE, note la dpa.

La Commission européenne voit des éléments positifs, mais veut connaître plus de détails

Pour le ministère des Transports allemand, l’étude est "erronée" et ses conclusions ne sont "pas vraies", selon un porte-parole cité par la dpa. Dans la fiche d’information, le projet de péage est jugé conforme aux exigences européennes. Le texte cite une réponse de la Commission européenne du 28 octobre 2013 à une question de l’eurodéputé allemand Michael Cramer (Verts/ALE). Ce dernier voulait savoir s’il était acceptable de réduire la taxe autoroutière pour les résidents d’un Etat membre dans le dans le cadre d’un péage.

La Commission lui a répondu qu’une réduction des taxes autoroutières ne constituerait pas une discrimination sur la base de la nationalité si la loi respecte le principe d’une charge proportionnelle. "Plus les systèmes de péage sont proportionnels, plus ils reflètent le principe de l’utilisateur-payeur et moins ils sont discriminatoires", estime la Commission qui recommande d’imposer des droits d’usage plutôt que des taxes, puisque "les tarifs imposés devraient être proportionnels à l’usage de l’infrastructure". La Commission rappelle que la discrimination sur base de la nationalité est prohibée. Concernant la tarification des infrastructures routières, la Commission précise par ailleurs sur son site qu’il n’existe pas de législation  européenne pour les véhicules privés, mais que la directive 1999/62/EC relative à la taxation des poids lourds fournit le cadre juridique.

Le 7 juillet, Alexander Dobrindt avait affirmé lors d'une conférence de presse avoir "cherché le dialogue" avec Bruxelles et s'est dit certain que son projet était conforme au droit européen. Le porte-parole du commissaire chargé des Transports, Siim Kallas, avait confirmé le même jour que la Commission "soutient les réflexions" du gouvernement allemand sur un péage et qu’elle y voit "beaucoup d’éléments positifs", mais qu’elle pourrait seulement "donner son feu vert ou rouge quand tous les détails seront connus". Ces mesures ne devraient pas "défavoriser les automobilistes étrangers", a ajouté le porte-parole. "Tout le monde devrait payer sa juste part pour l’usage et le maintien des routes."

Le projet de péage est très contesté, même à l’intérieur du pays. Ainsi, le ministre des Finances Wolfgang Schäuble s’est montré sceptique, dans une interview avec la Rheinische Post du 19 juillet 2014, en indiquant que l’administration des douanes devrait émettre près de 50 millions de documents relatifs à la taxation et qu’il faut d’abord vérifier si l’administration en est capable si rapidement.

Des réactions indignées aux Pays-Bas, en Autriche et dans les régions frontalières

Le projet de péage avait suscité un tollé dans les pays limitrophes, notamment en Autriche et aux Pays-Bas – deux pays qui ont besoin de l’Allemagne en tant que pays de transit. Les deux pays avaient annoncé leur intention de porter plainte devant la Cour de justice de l’UE. L’indignation règne également dans les régions frontalières – une exception pour celles-ci a été exclue par Alexander Dobrindt.

Pour le ministre luxembourgeois de l’Infrastructure, François Bausch, le projet de péage constitue une discrimination qui n’est pas conforme au principe de l’UE relatif à l’égalité du traitement entre les citoyens de l’UE, rapportait le Tageblatt dans son édition du 9 juillet 2014. Il serait pour une harmonisation de la tarification routière au niveau européen dont la Commission européenne devrait se charger, rapporte le journal. A la place d’un péage, il préfère une taxe sur les véhicules calculée sur base des kilomètres parcourus. Dans le Tageblatt, François Bausch s’est exprimé contre un péage aux autoroutes luxembourgeoises.

En Sarre, le péage est mal vu en raison de ses effets sur le trafic transfrontalier. La Chambre pour l’industrie et le commerce (IHK) sarroise critique notamment le fait que le péage touche tout le réseau autoroutier, et pas seulement les autoroutes, comme le rapporte la Saarbrücker Zeitung du 8 juillet 2014. La IHK craint des conséquences négatives sur le marché du travail et surtout le commerce de détail puisque le péage pèsera sur les frontaliers luxembourgeois et lorrains qui viennent pour travailler et faire des courses.

A Trèves, les commerçants craignent que moins de Luxembourgeois franchiraient la frontière, ce qui affecterait leur chiffre d’affaires. "Cette taxe serait une catastrophe", a déclaré Georg Kern, président de la fédération du commerce de détail pour la région de Trèves, au journal Tageblatt du 19 juillet 2014.

Winfried Kretschmann, le ministre-président de Bade-Wurtemberg, a mis en garde contre des pertes financières, en estimant que les Suisses qui visitent la région ont augmenté le pouvoir d’achat de la région de deux milliards d’euros par an. Il craint que le péage coûte plus que ce qu’il apporte, selon ses propos rapportés par l’hebdomadaire « Welt am Sonntag » du 13 juillet 2014.

L’économie du „petit trafic frontalier“ serait freinée par le péage, a critiqué Michael Groschek, le ministre des Transports en Rhénanie du Nord-Westphalie, cité par le journal Ruhr Nachrichten. Armin Laschet, le vice-président de la CSU, opposé au péage, a qualifié le péage de "droit d’entrée" pour les étrangers, dans un entretien avec la Rheinische Post du 22 juillet 2014. Il y estime que le péage n’est pas conforme au droit européen et que, même s’il l’était, il nuirait à des espaces vitaux et économiques qui sont de plus en plus intégrés. "Il est inacceptable qu’une famille venant du Luxembourg, de la Belgique ou de la France doit payer jusqu’à 100 euros de droit d’entrée pour faire des courses ou aller au restaurant en Rhénanie-Palatinat", a critiqué Patrick Schnieder, secrétaire général de la CDU en Rhénanie-Palatinat.

Des hommes politiques décrient un "monstre bureaucratique" et des coûts trop élevés

Les critiques ciblent également la charge administrative qui ne serait pas en relation avec les gains – le projet de péage est désigné comme un "monstre bureaucratique" par plusieurs hommes politiques : en effet, le système des vignettes devrait apporter 4,7 milliards d’euros, dont 3,8 des automobilistes allemands. Sur les 860 millions payés par les étrangers, 260 millions seraient liés à des coûts systémiques. Il resterait donc 600 millions alors que le besoin d’investissement dans l’infrastructure routière allemande est chiffrée à 7,2 milliards d’euros par an.

L'ADAC, l’organisation d'assistance technique aux véhicules, estime que les recettes attendues de 860 millions sont beaucoup trop élevées. Dans une étude qu’elle a commandée, ce montant est chiffré à seulement 262 millions d’euros alors que les coûts s’élèveraient à 300 millions d’euros.