Les chefs d’Etat et de gouvernement de l’UE réunis en Conseil européen à Bruxelles sont parvenus le 23 octobre 2014 à un accord sur le cadre d’action en matière de climat et d’énergie à l’horizon 2030. Les négociations auront été longues et ardues, mais en fin de compte, tout le monde a pu saluer un accord qui est présenté comme "un message d’engagement" en vue de la conférence sur le climat qui aura lieu à Paris en décembre 2015.
Le fait même qu’il y ait un accord, même s’il a fallu faire des compromis, est un bon signe pour la conférence de Paris. Tel était, en substance, le message diffusé sur les ondes de RTL et de 100,7 par Xavier Bettel, le Premier ministre luxembourgeois, au lendemain de cette première soirée de discussions entre les chefs d’Etat et de gouvernement. Les autres continents vont voir que l’Europe s’est donné des objectifs, et que ces objectifs sont contraignants, s’est en effet félicité le chef du gouvernement luxembourgeois. Il est ainsi prévu que l’UE présente sa contribution à la conférence des Nations Unies avant la fin du premier trimestre 2015, respectant ainsi le calendrier prévu.
En très bref, il ressort en effet des discussions que l’UE se fixe pour objectif contraignant de réduire de 40 % ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030. Pour les énergies renouvelables, les chefs d’Etat et de gouvernement se sont entendus sur un objectif contraignant de 27 % au niveau de l’UE, sans que des objectifs nationaux ne soient fixés, ainsi que le proposait la Commission. En matière d’efficacité énergétique, les dirigeants de l’UE se sont mis d’accord sur un objectif de 27 % qui n’est pas contraignant. "Nous aurions préféré avoir un objectif de 30 %», a commenté Xavier Bettel à l’issue de la réunion, mais il a bien fallu faire des compromis, a-t-il expliqué.
C'est surtout dans le détail des conclusions que se cachent les éléments sur lesquels les négociations ont été ardues, un des enjeux des discussions ayant été en effet de trouver un équilibre dans le partage du coût des mesures impliquées par les engagements pris au niveau de l’UE. "Chacun va devoir faire des efforts", a toutefois soutenu Xavier Bettel, en étant toutefois bien conscient que les situations de départ sont très différentes d’un Etat membre à l’autre. "Tous les États membres participeront à cet effort, en conciliant équité et solidarité", précisent les conclusions dans le même esprit. Il a fallu arbitrer entre des pays lourdement dépendants d’énergies fossiles, et notamment de charbon, entre des pays très dépendants de l’énergie nucléaire, comme la France, et d’autres plus riches et plus engagés sur la voie de la transition énergétique. Pour le Luxembourg, il importait notamment de veiller à ce que le nucléaire ne soit ni soutenu ni encore accentué, ainsi que l’a souligné le Premier ministre à l’issue du sommet.
Le Conseil européen a approuvé un objectif contraignant consistant à réduire les émissions de gaz à effet de serre dans l'UE d'au moins 40 % d'ici 2030 par rapport aux niveaux de 1990.
Les conclusions prévoient que "l'objectif sera atteint collectivement par l'UE, de la manière la plus efficace possible au regard des coûts, les réductions à opérer d'ici 2030 dans les secteurs relevant du système d'échange de quotas d'émission (SEQE) et dans les secteurs qui n'en relèvent pas s'élevant respectivement à 43 % et 30 % par rapport à 2005".
Pour ce qui est des secteurs relevant du SEQE-UE, c’est le système d’échange de quotas d’émission réformé, conformément à la proposition de la Commission qui sera le principal instrument. Il est prévu que le facteur annuel de réduction du plafond d'émissions maximales autorisées sera modifié, passant de 1,74 % à 2,2 % à partir de 2021.
"L'attribution gratuite de quotas ne sera pas supprimée", stipulent les conclusions, un point qui était un enjeu important dans les négociations, notamment pour un pays comme la Pologne dont la Première ministre n’a d’ailleurs pas caché sa satisfaction. Ainsi, "les mesures en vigueur seront maintenues après 2020 pour prévenir le risque de fuite de carbone lié à la politique en matière de changement climatique, tant qu'aucun effort comparable n'est entrepris par d'autres grandes économies, le but étant de fournir un niveau de soutien approprié aux secteurs exposés à un risque de perte de compétitivité internationale".
Les conclusions précisent aussi que les valeurs de références applicables aux attributions gratuites seront réexaminées périodiquement en fonction des évolutions technologiques dans les différents secteurs d'activité. "Tant les coûts directs que les coûts indirects du carbone seront pris en considération, dans le respect des règles de l'UE en matière d'aides d'État, de manière à garantir des conditions de concurrence équitables. Afin de préserver la compétitivité internationale, les installations les plus efficaces dans ces secteurs ne devraient pas être exposées à des coûts du carbone excessifs entraînant une fuite de carbone. À l'avenir, les attributions garantiront une meilleure prise en compte des variations des niveaux de production dans différents secteurs. Dans le même temps, les mesures destinées à stimuler l'innovation dans l'industrie seront intégralement préservées et la complexité administrative ne sera pas augmentée. Il sera tenu compte de la nécessité de garantir une énergie à des prix abordables et d'éviter des bénéfices exceptionnels". Autant d’éléments qui visent clairement à rassurer l’industrie.
Il est aussi prévu que les États membres dont le PIB par habitant est inférieur à 60 % de la moyenne de l'UE peuvent choisir de continuer d'accorder jusqu'en 2030 des quotas gratuits au secteur énergétique. Le montant maximal alloué à titre gracieux après 2020 ne devrait pas dépasser 40 % des quotas alloués pour être mis aux enchères aux États membres faisant usage de cette faculté.
Autre élément important de l’accord, une nouvelle réserve de 2 % des quotas dans le cadre du SEQE sera constituée pour répondre à des besoins d'investissement complémentaires particulièrement importants d'États membres ayant un PIB par habitant inférieur à 60 % de la moyenne de l'UE. Il s’agira d’utiliser ces fonds pour améliorer l'efficacité énergétique et moderniser les systèmes énergétiques de ces États membres. La réserve servira à mettre en place un fonds qui sera géré par les États membres bénéficiaires, la BEI participant à la sélection des projets.
Par ailleurs, 10 % des quotas du SEQE à mettre aux enchères par les États membres seront répartis entre les pays dont le PIB par habitant ne dépassait pas 90 % de la moyenne de l'UE tandis que le reste des quotas sera réparti entre tous les États membres sur la base des émissions vérifiées, sans que la part des quotas à mettre aux enchères ne soit réduite.
Pour l’eurodéputé luxembourgeois Claude Turmes (Verts/ALE), ces mesures vont surtout profiter aux centrales à charbon polonaises et le parlementaire écologiste craint que cela ne conduise à une distorsion de concurrence à l’égard des centrales à charbon allemandes. C’est ce qu’il a confié en marge du sommet au journaliste Guy Kemp, qui le rapporte dans le Tageblatt daté du 24 octobre 2014.
Autre enjeu des discussions, la méthode de fixation des objectifs de réduction nationaux pour les secteurs ne relevant pas du SEQE qui, selon les conclusions, continuera de s'appliquer jusqu'en 2030. Cette répartition des efforts est effectuée sur la base du PIB par habitant relatif. Tous les États membres contribueront à la réduction totale prévue pour l'UE à l'horizon 2030, avec des objectifs allant de 0 % à -40 % par rapport à 2005, indiquent les conclusions.
Les pays dont le PIB par habitant est supérieur à la moyenne de l’UE, parmi lesquels le Luxembourg, ont obtenu que leurs objectifs "feront l'objet d'un ajustement relatif pour tenir compte de l'efficacité au regard des coûts d'une manière équitable et équilibrée".
De même, pour les États membres dont les objectifs nationaux de réduction sont nettement supérieurs à la fois à la moyenne de l'UE et à leur potentiel de réduction des émissions réalisable dans des conditions présentant un bon rapport coût-efficacité, ainsi que pour les États membres qui ne bénéficiaient pas d'une attribution gratuite de quotas pour des installations industrielles en 2013, "une nouvelle flexibilité dans la réalisation des objectifs sera instaurée grâce à un réduction limitée, non renouvelable, des quotas du SEQE, qui fera l'objet d'une décision avant 2020". "Cette flexibilité nouvelle préservera la prévisibilité et l'intégrité environnementale", prévoient les conclusions.
Les chefs d’Etat et de gouvernement se sont aussi entendus sur la nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre et les risques liés à la dépendance à l'égard des combustibles fossiles dans le secteur des transports et ils demandent, entre autres, que soit rapidement adoptée la directive établissant les méthodes de calcul en matière de qualité de l’essence et des carburants diesel.
Les dirigeants se sont aussi entendus sur la nécessité de "prendre en considération les multiples objectifs du secteur de l'agriculture et de l'utilisation des terres, dont le potentiel d'atténuation est plus faible, ainsi que la nécessité d'assurer la cohérence des objectifs de l'UE en matière de sécurité alimentaire et de changement climatique". Il est ainsi prévu qu’une stratégie soit mise en place, "dès que les conditions techniques le permettront et en tout état de cause avant 2020, sur la manière d'intégrer l'utilisation des terres, le changement d'affectation des terres et la foresterie dans le cadre 2030 pour l'atténuation des émissions de gaz à effet de serre".
Un objectif d'au moins 27 % est fixé au niveau de l'UE en ce qui concerne la part des énergies renouvelables dans la consommation énergétique de l'UE à l'horizon 2030. Cet objectif sera contraignant pour l'UE. Les conclusions précisent qu’il sera "réalisé grâce à des contributions des États membres, guidés par la nécessité d'atteindre collectivement l'objectif de l'UE, ce qui n'empêchera pas les États membres de fixer leurs propres objectifs nationaux plus ambitieux et de prendre des mesures à l'appui de ces objectifs, dans le respect des lignes directrices concernant les aides d'État, compte tenu également du degré d'intégration des États membres dans le marché intérieur de l'énergie".
Un objectif indicatif d'au moins 27 % est fixé au niveau de l'UE pour améliorer l'efficacité énergétique à l'horizon 2030 par rapport aux scénarios de consommation future d'énergie, sur la base des critères actuels. Les chefs d’Etat et de gouvernement se sont entendus pour réexaminer la question d'ici 2020, dans l'optique d'un objectif de 30 % pour l'UE. La Commission proposera des secteurs prioritaires dans lesquels des gains d'efficacité énergétique importants peuvent être obtenus, ainsi que les moyens d'y parvenir à l'échelle de l'UE, l'UE et les États membres concentrant leurs efforts réglementaires et financiers sur ces secteurs.
Les conclusions précisent que ces objectifs seront atteints "dans le plein respect de la liberté des États membres de déterminer leur propre bouquet énergétique" : "Ils ne seront pas traduits en objectifs contraignants sur le plan national".
"Chaque État membre est libre de fixer des objectifs nationaux plus élevés", est-il encore précisé. Interrogé pour savoir si le Luxembourg avait l’intention d’aller au-delà de ces objectifs que le gouvernement aurait souhaités plus ambitieux et contraignants, Xavier Bettel a expliqué aux journalistes des radios RTL et de 100,7 qu’il s’agissait là d’une décision nationale qu’il conviendrait de discuter en Conseil de gouvernement.
Les chefs d’Etat et de gouvernement ont réitéré leur appel de mars 2014 à l’achèvement d’un marché intérieur de l’énergie et ils ont notamment appelé la Commission européenne à prendre avec l'appui des États membres des mesures urgentes dans le but d'atteindre l'objectif minimum de 10 % d'interconnexion électrique, ce de toute urgence, et au plus tard en 2020 au moins pour les États membres qui n'ont pas encore atteint un niveau minimum d'intégration dans le marché intérieur de l'énergie, à savoir les États baltes, le Portugal et l'Espagne, et pour les États membres qui constituent leur principal point d'accès au marché intérieur de l'énergie.
La réduction de la dépendance énergétique de l’UE et l’accroissement de sa sécurité énergétique sont restés, comme en juin 2014, à l’ordre du jour des discussions des chefs d’Etat et de gouvernement. Ils se sont entendus sur toute une série de mesures avec pour objectif de faire le point sur la question en 2015.
Tout à la fin de leurs conclusions, les chefs d’Etat et de gouvernement de l’UE évoquent la mise en place d’un "système de gouvernance fiable et transparent, sans charges administratives superflues" visant à "contribuer à ce que l'UE atteigne les objectifs de sa politique énergétique". Ce système de gouvernance "offrira la souplesse nécessaire aux États membres et respectera pleinement la liberté de ces derniers de déterminer leur propre bouquet énergétique", est-il précisé.
Ce système s’appuiera sur les principaux éléments existants, tels que les programmes nationaux pour le climat et les plans nationaux pour les énergies renouvelables et l'efficacité énergétique. Les volets relatifs à la planification et à l'établissement de rapports, actuellement distincts, seront rationalisés et regroupés. Ce système de gouvernance devrait aussi "renforcer la transparence et la prévisibilité pour les investisseurs" grâce à un "suivi systématique d'indicateurs clés permettant de mettre en place un système énergétique abordable, fiable, compétitif, sûr et durable".
Pendant que le sommet se tenait à Bruxelles, l’eurodéputé ClaudeTurmes s’est inquiété à l’idée que les chefs d’Etat et de gouvernement puissent avoir l’intention de soustraire à la procédure de codécision des pans entiers de la législation en matière de climat et d’énergie, ce qui reviendrait à se passer du Parlement européen dans la procédure et à décider de ces questions à l’unanimité au Conseil européen. Le parlementaire écologiste dénonce là "un putsch institutionnel" qui reviendrait à mettre le Parlement européen devant des faits accomplis tout en ne lui laissant qu’une influence limitée en matière de politique énergétique et climatique.
Dans le discours qu’il a tenu devant les chefs d’Etat et de gouvernement, le président du Parlement européen, Martin Schulz, les a appelés pour sa part à "ne pas faire un pas de plus sur la voie escarpée de l’intergouvernementalisme". "Le Conseil européen ne devrait pas se mêler des détails de la législation, non seulement car c’est contraire aux traités, mais aussi parce que l’expérience nous enseigne que cela conduit à de mauvais résultats", a déclaré Martin Schulz avant d’appeler les chefs d’Etat et de gouvernement à "laisser le Conseil et le Parlement européen faire leur travail".