Après une séance publique au cours de laquelle le Premier ministre, Xavier Bettel, s’est attaché à présenter les grandes orientations politiques du gouvernement et les grandes lignes de son "paquet d'avenir", le ministre des Finances, Pierre Gramegna, a présenté le 15 octobre 2014 le projet de budget 2015 à la Chambre des députés. C’est également à cette date qu’il a été remis à la Commission européenne dans le cadre du semestre européen, avec le projet de budget pluriannuel que le Luxembourg doit soumettre dans le cadre du pacte budgétaire européen. Le paquet législatif soumis aux députés comprend aussi un projet de loi de modernisation budgétaire.
Lors de sa présentation d’un budget dont tous les chiffres sont accessibles sur le site www.budget.public.lu, le ministre des Finances a inscrit ce projet dans un contexte fortement marqué par la conjoncture internationale.
Les enjeux des dernières discussions du FMI et de la Banque mondiale ont été de renouer avec la croissance et de créer de nouveaux emplois, deux objectifs qui concernent aussi le Luxembourg. En effet, estime Pierre Gramegna, le monde n’est pas sorti de la crise et, pour ce qui est plus précisément de la zone euro, "tout n’y est pas rose non plus". Car si certains pays affichent une reprise, d’autres risquent encore une nouvelle crise. Et cet environnement peu favorable n’est pas sans incidence sur le Luxembourg.
Pour Pierre Gramegna, le Luxembourg fait face à une nouvelle réalité qui devrait durer : certes la croissance devrait être de 2,8 % cette année, ce qui n’est pas mal, mais qui reste loin des taux de croissance auquel le Grand-Duché était habitué avant la crise. Et il n’y aura pas de retour en arrière, a prévenu le ministre. Cela se ressent au niveau des recettes avec la chute des recettes provenant de la TVA sur le commerce électronique, une perte que le ministre évalue autour de 4 milliards d’euros d’ici 2018, dont 700 millions au moins dès 2015.
Certes, a souligné le ministre, le fait que le Luxembourg ait pu maintenir son triple AAA auprès des agences de notation témoigne du fait que le pays s’en sort relativement bien dans un environnement difficile. Mais cela ne va pas de soi : la Finlande a perdu son triple AAA la semaine dernière et le Luxembourg court le même risque, met en garde Pierre Gramegna qui appelle par conséquent à agir "sérieusement". Le ministre pointe à cet égard notamment le fossé qui se creuse depuis des années entre dépenses et recettes, dénonçant un déficit toujours plus grand et une dette toujours plus élevée.
Au-delà des agences de notation, Pierre Gramegna ne perd pas non plus de vue que la Commission doit regarder à la loupe les finances publiques luxembourgeoises. Or, à ses yeux, "en tant qu’Etat fondateur de l’UE et de l’Euro", le Luxembourg devrait présenter des chiffres "exemplaires".
"Pour maîtriser nos finances, il est nécessaire d’agir", tel fut le mot d’ordre d’un ministre qui n’a pas manqué d’évoquer d’une part les réformes structurelles conduites en Allemagne il y a dix ans déjà, "une chance que nous avons manquée" selon lui, ni d’autre part les "mesures très brutales" auxquelles ont dû se résoudre d’autres pays, comme l’Irlande, l’Espagne ou la France. Cette voie, le gouvernement luxembourgeois n’entend pas la suivre, a martelé Pierre Gramegna en insistant sur les investissements d’avenir que le Luxembourg va mener sans pour autant laisser les générations futures en payer le prix.
Le ministre a dressé un tableau de la situation : la dette publique s’élève à 14000 euros par habitant, le montant de la dette étant passé d’un peu plus d’un milliard à onze milliards en moins de dix ans, et ce alors que le sauvetage des banques n’a coûté que 2,5 milliards. En poursuivant sur la même lancée, en 2018, la dette publique dépasserait 16 milliards, ce qui serait "une situation très dangereuse pour un petit pays comme le Luxembourg". Sans compter le coût des intérêts que cette dette implique, qui s’élève actuellement à un peu plus de 200 millions par an.
Après de premiers efforts faits en 2014 pour économiser 230 millions d’euros, le gouvernement propose donc "la mise en œuvre d’un pacte d’avenir" en vue du budget 2015, mais aussi des années 2016, 2017 et 2018. Cet ensemble de 258 mesures s’oriente autour de 4 grandes idées :
Résultat, le gouvernement entend avoir économisé 1061 millions d’euros d’ici 2018.
La moitié de ces économies résulterait d’une "utilisation plus efficace des ressources". L’autre moitié proviendrait de nouvelles recettes, et notamment de l’augmentation du taux de la TVA au 1er janvier 2015, qui ne va pas être augmenté pour tout, ainsi que l’a souligné le ministre, et qui va qui plus rester avec 17 % le plus bas de l’UE. Autre recette escomptée, une nouvelle contribution de crise qui se veut socialement juste.
"L’équilibre budgétaire n’est pas une fin en soi", a argué Pierre Gramegna pour souligner que l’enjeu de ces économies était de permettre des investissements nécessaires. "Pour sortir de la crise nous devons combiner réformes structurelles et investissements intelligents", dit en effet avoir plaidé Pierre Gramegna auprès de ses pairs de l’Ecofin.
Pierre Gramegna s’est donc essayé tout au long de son discours à démontrer que les économies faites visaient à réinvestir pour une politique plus ciblée et plus efficace. En matière de politique familiale, il s’agit par exemple de regrouper toutes les prestations dans une seule caisse d’avenir dans un souci d’une "gestion plus simple et efficace". "Nous ne prenons rien à personne", a martelé le ministre à ce sujet. Pour ce qui est des économies faites sur la préretraite solidarité ou les aides au réemploi, il s’agit de réinvestir les 20 millions économisés chaque année dans la réforme d’un système scolaire afin qu’il prépare au mieux à l’emploi. Le budget alloué à l’Université va lui aussi augmenter, de même que celui du Fonds national de la Recherche, ce qui découle notamment de l’engagement européen du Luxembourg à augmenter ses investissements en R&D de 2,3 à 2,6 % du PIB. Les infrastructures de transport feront elles-aussi l’objet d’importants investissements, a mis en avant Pierre Gramegna qui n’a pas manqué d’évoquer la hausse prévue des investissements du gouvernement en matière de logement. Moderniser l’Etat aura été un autre mot clef du discours du ministre qui entend par là, entre autres, supprimer les vieux privilèges, mais aussi moderniser le fonctionnement de la Caisse de Santé.
Les efforts du Luxembourg en matière de coopération resteront de l’ordre de 1 % du RNB, tandis que la contribution du Luxembourg à l’effort de l’UE et de l’OTAN en matière de défense va passer progressivement de 0,4 à 0,6 % du PIB.
En 2015, les investissements directs représenteront 3,56 % du PIB, ce qui représente une hausse de 16 % par rapport à 2014, et ce qui est "absolument conforme à toutes les recommandations du FMI et de l’UE". Pierre Gramegna se félicite de savoir que le Luxembourg investit ainsi proportionnellement plus que ses voisins.
Comme l’a rappelé le ministre des Finances, l’objectif du programme de coalition était d’atteindre l’Objectif à Moyen Terme en 2018, qui est d’avoir un solde structurel de + 0,5 %, et il avait alors été calculé qu’un effort de 1040 millions serait nécessaire. L’objectif affiché par le gouvernement luxembourgeois devrait être atteint en 2018 grâce au plan d’avenir du gouvernement, preuve s’il en est que le gouvernement ne prend pas des mesures de court terme, mais agit bien de façon structurelle, ainsi que l’a expliqué Pierre Gramegna.
Ce souci du long terme, le ministre l’a décliné en évoquant l’inversion de tendance prévue par le gouvernement en matière de dette, puisqu’il est prévu de la réduire de près de 900 millions d’euros par rapport aux prévisions à politique inchangée. De même, a assuré Pierre Gramegna, le gouvernement va veiller à anticiper toute baisse de recettes pouvant affecter les finances publiques, comme la baisse des revenus provenant de la TVA sur le commerce électronique, et ce en créant un Fonds souverain, autrement dit, un livret d’épargne ouvert à tous ceux qui viennent. L’Etat y versera chaque année 50 millions d’euros provenant de revenus comme la TVA sur le commerce électronique ou le tourisme à la pompe. D’ici 20 ans, au moins 1 milliard d’euros auront été épargné, et auront porté leurs fruits, prévoit le gouvernement.