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Environnement - Justice, liberté, sécurité et immigration
La criminalité environnementale n’est que trop peu sanctionnée par les Etats membres, selon un récent rapport d’Eurojust
21-11-2014


Le rapport d'Eurojust sur la criminalité environnementale publié le 21 novembre 2014Bien qu’elle génère d’énormes profits et soit le plus souvent le fait de groupes criminels organisés, la criminalité environnementale ne fait que très rarement l’objet de poursuites par les autorités nationales des Etats membres, a estimé Eurojust, l’unité de coopération judiciaire de l’Union européenne (UE), dans un rapport dédié à ce phénomène publié le 21 novembre 2014.

Le contexte

Présenté à Bruxelles le jour de sa publication, le rapport a été élaboré dans le cadre du "Projet stratégique sur la criminalité environnementale" lancé au printemps 2013 à l’initiative d’Eurojust. L’organe relevait en effet un "intrigant paradoxe", à savoir que malgré "une prise de conscience croissante" de la gravité de  la criminalité environnementale qui "implique souvent une dimension transfrontalière et des organisations criminelles", dans le même temps, les statistiques des poursuites en la matière dans les États membres "ne semblaient pas refléter l'impact réel de ce type de crime", lit-on dans le préambule du rapport, qui souligne que "le nombre de cas soumis à Eurojust à cette époque était aussi très faible".

Or, la criminalité environnementale "affecte la société dans son ensemble, son impact se faisant sentir non seulement au niveau de la santé humaine et animale, mais aussi en termes de qualité de l'air, du sol et de l'eau", poursuivent les auteurs du projet. Ceux-ci s’étonnaient donc que malgré ses "conséquences potentiellement graves", en particulier dans les domaines du trafic illicite de déchets et du trafic d’espèces en voie de disparition, "sa gravité [soit] encore souvent sous-estimée au niveau national et international". Un constat d’autant plus étonnant que les profits liés à cette criminalité seraient énormes : selon les estimations de l’OCDE, les gains de ce type de trafic se chiffreraient entre 30 et 70 milliards de dollars par an (soit entre 24,17 et 56,4 milliards d’euros).

Concrètement, le rapport relève que la criminalité environnementale est rentable et revêt de multiples formes : Trafic de cornes de rhinocéros et d’autres espèces menacées – singes et oiseaux rares tout particulièrement –, déchetteries illégales dans l’UE, trafics illicites de déchets depuis l'Europe – notamment depuis l’Italie et l’Irlande – vers l'Afrique ainsi que différentes formes de pollution des eaux de surface – entre autres en Grèce, en Hongrie et en Suède – ne sont ainsi que quelques-uns des crimes de ce type à être mis en lumière par ses auteurs.

Des profits élevés, mais des poursuites rares et des sanctions légères

Selon les principales conclusions du rapport, les profits engendrés par les crimes environnementaux sont donc très élevés, tandis que les poursuites en la matière sont rares et les sanctions légères. Un constat valable selon les auteurs tant pour ce qui est des trafics d’espèces menacées, des trafics de déchets et des autres formes de pollutions "volontaires".

Ainsi, pour ce qui est du trafic d’espèces menacées, les auteurs soulignent ainsi que la plupart des États membres qui ont répondu au questionnaire soumis par Eurojust ont reconnu "le faible nombre de cas" auxquels ils sont confrontés en la matière. Une situation que les pays ont attribué non à l’absence de ce type de crime dans leur législation, "mais à une conjonction de facteurs, à commencer par le manque de sérieux avec lequel ces crimes sont "étiquetés" au niveau national", avance le rapport.

S’ajoute par ailleurs une certaine complexité du cadre légal en matière de protection des espèces en danger – qui repose à la fois sur le droit international et sur plusieurs directives européennes – qui ne facilite pas sa mise en pratique au niveaux nationaux. La mise en application de la législation de l’UE au niveau national diffère en outre d’un Etat membre à l’autre, ce qui représenterait "une entrave à une approche transfrontalière harmonisée pour lutter contre le crime environnemental", plaident les auteurs. Dès lors, et malgré une législation communautaire contraignante à la fois du point de vue de la protection animale et du droit pénal, les cas de trafic d'espèces en voie de disparition "ne conduisent qu’à des sanctions très indulgentes", souligne le rapport.

Les auteurs relèvent encore dans ce contexte un manque de coordination entre les autorités compétentes tant au niveau national qu’international. Ainsi alors qu’un certain nombre d'autorités nationales sont considérées cruciales pour la lutte contre ces trafics, à commencer par les autorités douanières, "certains États membres ont souligné que, même parmi les autorités administratives, la coopération peut être faible", notent les auteurs. Or, ces difficultés en termes de coordination et de coopération nationale "ne contribuent pas à la bonne gestion des affaires qui nécessitent une coopération européenne et internationale".

Par ailleurs, de nombreux cas ne seraient pas soumis à Eurojust parce que "les autorités nationales ne saisissent pas toujours l'importance d’une approche transfrontalière pour résoudre ces affaires", poursuit le rapport, qui relève encore que certains Etats membres ne possèdent tout simplement pas de structures adéquates en place, notamment des unités de police ou des procureurs dédiés au cas de crimes environnementaux comme c’est le cas en Suède, au Royaume-Uni et aux Pays-Bas entre autres.

Enfin, les auteurs du rapport mettent en avant que les liens entre la criminalité environnementale, les organisations criminelles et d’autres types de criminalités sont peu couverts dans les enquêtes ou ne font tout simplement pas l’objet d’une attention particulière.

Nécessité d’une approche multidisciplinaire transfrontalière

Alors que le constat est relativement similaire pour ce qui est des autres crimes environnementaux traités dans le rapport d’Eurojust, à savoir le trafic illicite de déchets et les pollutions des eaux de surface, ses auteurs recommandent d’améliorer l’approche des Etats membres en la matière.

Ainsi, selon le rapport, les renseignements, jugés "essentiels" pour ce type de criminalité, doivent faire l’objet "au niveau des Etats membres" d’une collecte plus systématique "grâce à une approche multidisciplinaire, dans laquelle les différentes autorités collaborent mieux, et à un partage des meilleures pratiques et de l’expertise".

Par ailleurs, le rapport plaide pour une implication plus importante d’Eurojust "dès le début dans la coordination des enquêtes et des poursuites" ainsi qu’à un "recours plus systématique aux outils proposés par l’unité" –  à savoir les équipes d’enquête communes, les réunions de coordination et les centres de coordination – pour lutter plus efficacement contre les crimes environnementaux transfrontaliers.

"Ce rapport est un signal d’alarme pour tous les praticiens et les décideurs politiques quant aux conséquences graves de ce type de criminalité relativement nouveau et de plus en plus fréquent", a notamment estimé la présidente d’Eurojust, Michèle Coninsx, citée dans un communiqué diffusé par l’unité le 21 novembre 2014. "C’est parce que les peines sont légères que les organisations criminelles sont actives dans la criminalité environnementale. Cette situation requiert une action transfrontalière et que les structures organisationnelles adéquates soient mises en place dans les Etats membres", a-t-elle conclu.