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Perturbateurs endocriniens – Alors que plusieurs rapports mettent en évidence leur impact sur la santé, une consultation publique a été ouverte par la Commission pour faciliter la mise en place de critères de définition
17-11-2014


Un rapport du Conseil nordique met en évidence l'impact des perturbateurs endocriniens chimiques sur la fertilité des hommesUn rapport publié le 17 novembre 2014 par le Conseil nordique met en évidence l'impact des perturbateurs endocriniens chimiques sur la santé reproductive des hommes et les coûts importants qu'ils représentent pour les budgets de santé. Le rapport du Conseil auquel participent le Danemark, la Finlande, l'Islande, la Norvège et la Suède estime que ces coûts s’élèvent à un montant entre 59 millions et 1,2 milliard par an pour l’Union européenne.

Les perturbateurs endocriniens sont des substances chimiques d'origine naturelle ou artificielle étrangères à l'organisme qui peuvent interférer avec le fonctionnement du système endocrinien et induire ainsi des effets délétères pour l'organisme. Les sources d'exposition sont principalement l'eau et l'alimentation, mais aussi l'air et certains produits industriels (médicaments, cosmétiques, produits phytosanitaires,…), mais aussi des composés chimiques présents dans certains biocides et pesticides. Une substance connue est le bisphénol A qui a été interdit dans les biberons dans l’Union européenne à partir de mars 2011.

Le rapport du Conseil nordique est intitulé "Les coûts de l’inaction : Analyse socio-économique des coûts liés aux effets des perturbateurs endocriniens sur la santé reproductive masculine". Selon ce texte, les perturbateurs endocriniens ont des effets nocifs non seulement sur la fertilité, mais peuvent également causer des cancers, des troubles métaboliques comme le diabète ou l’obésité, des changements comportementaux ainsi qu’une détérioration du système immunitaire. Mais le rapport se focalise sur les effets nocifs sur la fertilité masculine, puisque la preuve scientifique établissant un lien de causalité entre l’exposition et les atteintes à la santé y est plus importante que pour les autres effets nocifs.

La Commission s’était engagée à présenter pour décembre 2013 des mesures de détermination des perturbateurs endocriniens

Pour rappel, la Commission européenne avait élaboré en 1999 une stratégie concernant les perturbateurs endocriniens et produit ensuite quatre rapports sur sa mise en œuvre, dont le dernier date de 2011. Le 26 octobre 2000, le Parlement européen avait adopté une résolution sur les perturbateurs endocriniens. La révision de la stratégie avait été inclue dans le programme de travail de la Commission de 2012.

En 2010, la Commission a créé deux groupes d’experts, l’un pour les aspects politiques, l’autre pour les aspects scientifiques. Le "groupe consultatif d’experts" qui appartient au centre commun de recherche (JRC en anglais) de l’UE a publié en juillet 2014 un rapport sur les "questions scientifiques clés quant à l’identification et la caractérisation des perturbateurs endocriniens".

La question touche notamment la législation sur la mise sur le marché de pesticides (dits produits phytopharmaceutiques, voir règlement 1107/2009), des produits biocides (règlement 528/2012) ou encore le règlement sur l’autorisation des substances chimiques (REACH, 1907/2006) et celui sur les cosmétiques. Dans le premier règlement, la Commission s’était engagée à présenter pour décembre 2013 "des propositions de mesures concernant les critères scientifiques spécifiques pour la détermination des propriétés de perturbation endocrinienne".

Une feuille de route en juin 2014 et une consultation publique en septembre 2014

Six mois après ce délai, la Commission a publié en juin 2014 une feuille de route qui propose plusieurs options en vue d’une définition des perturbateurs endocriniens. Pour le réseau d’action pesticide (PAN) qui regroupe 600 organisations environnementales, cette feuille de route «ne mène nulle part", puisque les options qui y sont présentées "ralentissent l’effectivité de ces textes législatifs en matière de protection de la santé", selon un communiqué publié le 18 juin 2014. Pour le PAN, le retard est dû au fait que "l’industrie perçoit comme une menace de son business les critères pour les perturbateurs endocriniens". La Fédération Inter-environnement Wallonie avait pour sa part dénoncé en janvier 2014 des "tergiversations inacceptables" de la Commission européenne.

L’eurodéputée française Michèle Rivasi (Verts) avait alors salué une "première victoire". "Jusque-là, des dissensions internes ont mené la Commission à se limiter de façon éhontée à la défense farouche de l’industrie chimique mondialisée", a-t-elle déclaré le 18 juin 2014.

Une des options présentée dans la feuille de route prévoit de faire une catégorisation des perturbateurs endocriniens entre substances perturbatrices "avérées" et substances "suspectées". Si ces deux catégories ouvraient à l’exclusion des produits pesticides, "de nombreuses substances pourraient disparaître", s’alarmait Jean-Charles Bocquet, directeur général de l’Union nationale des industrie de protection des plantes (UIPP), le syndicat professionnel des industriels de la protection des cultures en France, dans un article de l’Agrapresse du 15 juillet 2013. Jean-Charles Bocquet y estimait que 40 % du marché phyto-européen serait "en péril".

Le 29 septembre 2014, la Commission européenne a par ailleurs lancé une consultation publique dans l’objectif de "faciliter la définition de critères applicables aux perturbateurs endocriniens". La législation en vigueur relative aux produits biocides et aux produits phytopharmaceutiques impose à la Commission de spécifier des critères scientifiques pour la détermination des propriétés de perturbation endocrinienne des substances chimiques, explique le communiqué. Dans l'attente de la définition des nouveaux critères, des critères provisoires de protection sont en place. La consultation sera ouverte jusqu’au 16 janvier 2015.

La France élabore sa propre stratégie nationale et critique le "retard" du dossier au niveau européen

La France a décidé d’agir en élaborant une stratégie nationale dont l’objectif est de réduire l’exposition de la population et de l’environnement aux perturbateurs endocriniens. Soutenue par le Danemark et la Suède ainsi que la Belgique, l’Autriche et la Pologne, elle avait en plus demandé l’inscription des enjeux des perturbateurs endocriniens pour la santé à l’ordre du jour du Conseil Environnement du 12 juin 2014 et souligné "la nécessité d’agir au niveau européen dès à présent pour prévenir les risques et limiter l’exposition des populations et de l’environnement", selon les conclusions de la délégation française.

Le texte note : "Le dossier des perturbateurs endocriniens, et notamment la question de la définition des critères, a pris du retard au niveau européen. Plus précisément, ni les critères réglementaires permettant l’identification des perturbateurs endocriniens, ni un projet de nouvelle stratégie n’ont encore été proposés." La France demande "une définition européenne cohérente avec les spécificités toxicologiques et écotoxicologiques des perturbateurs endocriniens" et une "pleine mise en œuvre des clauses d’exclusion des perturbateurs endocriniens dans les règlements phytopharmaceutiques et biocides".

L’EFSA a élaboré un avis sur les critères scientifiques utilisés pour identifier un perturbateur endocrinien

Suite à une demande formulée en 2012 par la Commission européenne, le comité scientifique de l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a élaboré en mars 2013 un avis qui clarifie les critères scientifiques utilisés pour identifier un perturbateur endocrinien. De manière générale, l’EFSA adopte la définition donnée par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) d'un perturbateur endocrinien, tout en soulignant que "toutes les substances actives sur le système endocrinien ne sont pas nécessairement des perturbateurs endocriniens". L’EFSA a examiné les tests standards (au niveau international) permettant d’identifier les substances actives sur le système endocrinien et souligné la nécessité de développer d’autres stratégies expérimentales pour tester ces substances de façon systématique et transparente, selon les notes.

L'organisation HEAL chiffre les coûts à 31 milliards d’euros par an

En juin 2014, l'organisation HEAL (Health and Environment Alliance) avait publié un rapport qui soulignait déjà l'impact des perturbateurs endocriniens sur les budgets de santé, estimant que les coûts liés aux traitements pour soigner les maladies liées à une exposition à ces substances s'élevaient, selon ses propres calculs, à 31 milliards d'euros par an.

L’organisation appelait la Commission européenne à définir une nouvelle stratégie incluant la définition des perturbateurs endocriniens. "Alors que les données scientifiques sur les effets néfastes des perturbateurs endocriniens se multiplient, des pays de l’UE prennent les devants en interdisant certains perturbateurs endocriniens. La Suède a décidé d’attaquer la Commission européenne devant la Cour de Justice de l’UE pour son retard dans ce dossier", déclare Genon K Jensen, directrice exécutive de HEAL dans un communiqué.

La Suède a introduit en juillet 2014 un recours contre la Commission devant la Cour de justice

En effet, la Suède avait annoncé en mai 2014 son intention de déposer une plainte à la CJUE contre la Commission européenne pour ne pas avoir respecté le délai de décembre 2013, selon l’agence Reuters. "On veut que la Cour force la Commission à fournir les critères scientifiques pour qu’on puisse commencer à avancer vers une société sans poison", avait expliqué la ministre de l’Environnement Lena Ek. Le recours contre la Commission a finalement été introduit le 4 juillet 2014 devant la CJUE.

Dans un communiqué du 7 novembre 2014, le ministère de l’Environnement suédois a encore appelé la Commission à agir, déplorant que les efforts de la Commission sortante sur les perturbateurs endocriniens sont restés "au point mort", contrairement aux "aux efforts intenses des pays nordiques".

Le rapport publié en juin 2014 par HEAL "devrait donner le coup de grâce au lobbying industriel qui tente de ralentir la réglementation sur les perturbateurs endocriniens chimiques", a déclaré Lisette van Vliet, expert chez HEAL, à l’Agence Europe dans son édition du 19 novembre 2014.

Le rapport va encore plus loin, en estimant les coûts engendrés non seulement par les traitements, mais aussi les décès liés aux maladies causées par des perturbateurs endocriniens qui sont chiffrés pour l’Union européenne à 636 milliards par an. Au Luxembourg, les coûts s’élèveraient à 653 millions d’euros, contre 101 milliards d’euros en Allemagne. Les seuls coûts engendrés par des traitements ou des décès causés par le diabète dans l’Union y sont chiffrés à 300 milliards d’euros, suivis de ceux contre l’autisme (226 milliards).

Une "gestion irrationnelle" des produits chimiques, selon l’ONU

Un rapport publié en février 2013 par le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) et l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) avait conclu que certaines substances peuvent perturber le système endocrinien et "contribuer à la survenue de la cryptorchidie (absence d’un ou des deux testicules dans le scrotum) chez le jeune garçon, du cancer du sein chez la femme, du cancer de la prostate, de troubles du développement du système nerveux et d’un déficit de l’attention/d’une hyperactivité chez l’enfant, ainsi que du cancer de la thyroïde". Le rapport recommande entre autres de développer des "méthodes de test plus complètes pour identifier d’autres perturbateurs endocriniens éventuels", d’approfondir la recherche pour "connaître les effets des mélanges de perturbateurs endocriniens chimiques" et de renforcer la collaboration entre les scientifiques et entre les pays.

Selon Achim Steiner, secrétaire général adjoint de l’Organisation des Nations Unies et Directeur exécutif du PNUE, "les produits chimiques occupent une place de plus en plus importante dans la vie moderne et sont essentiels à beaucoup d’économies nationales mais leur gestion irrationnelle remet en cause la réalisation d’objectifs de développement essentiels et le développement durable pour tous."