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Droits fondamentaux, lutte contre la discrimination
La Cour de Justice de l’UE estime que le projet d'accord sur l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme n'est pas compatible avec les dispositions du droit de l'Union
18-12-2014


CJUELa Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ("CEDH") est un accord international multilatéral conclu au sein du Conseil de l’Europe. Elle est entrée en vigueur le 3 septembre 1953. Tous les membres du Conseil de l’Europe sont Parties contractantes à cette convention.

Par un avis de 1996, la Cour avait déjà considéré que, vu l’état du droit communautaire en vigueur à l’époque, la Communauté européenne n’était pas compétente pour adhérer à la CEDH.

Depuis lors, le Parlement européen, le Conseil de l’Union européenne et la Commission ont, en 2000, proclamé la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ("Charte"), à laquelle le traité de Lisbonne, entré en vigueur le 1er décembre 2009, a conféré la même valeur juridique que les traités. Ce traité a également modifié l’article 6 du traité UE qui maintenant prévoit, d’une part, que les droits fondamentaux, tels qu'ils sont garantis par la CEDH et tels qu'ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, font partie du droit de l'Union en tant que principes généraux et, d’autre part, que l'Union adhère à la CEDH. À ce dernier égard, le protocole n° 84 dispose cependant que l'accord d’adhésion doit remplir certaines conditions visant notamment à refléter la nécessité de préserver les caractéristiques spécifiques de l’Union et du droit de l’Union et à garantir que l’adhésion de l’Union n’affecte ni ses compétences ni les attributions de ses institutions.

À la suite d’une recommandation de la Commission, le Conseil a, le 4 juin 2010, adopté une décision autorisant l’ouverture des négociations pour un accord d’adhésion. La Commission a été désignée en tant que négociateur. Le 5 avril 2013, les négociations ont abouti à un accord sur les projets d’instruments d’adhésion. Dans ce contexte, la Commission s'est adressée, le 4 juillet 2013, à la Cour de justice afin de recueillir son avis sur la compatibilité du projet d'accord avec le droit de l'Union, conformément à l’article 218, paragraphe 11, TFUE.

Dans son avis prononcé le 18 décembre 2014, la Cour, après avoir rappelé que le problème de l’absence d’une base juridique pour l’adhésion de l’Union à la CEDH a été résolu par le traité de Lisbonne, souligne que, l’Union ne pouvant pas être considérée comme étant un État, cette adhésion doit tenir en considération les caractéristiques particulières de l’Union, ce qui est précisément exigé par les conditions que les traités eux-mêmes ont posées à l’adhésion.

convention-europenne-des-droits-de-lhommeCela étant précisé, la Cour observe tout d’abord que, du fait de l’adhésion, la CEDH, comme tout autre accord international conclu par l’Union, lierait les institutions de l’Union et les États membres et ferait, dès lors, partie intégrante du droit de l’Union. Dans cette hypothèse, l’Union, comme toute autre Partie contractante, serait soumise à un contrôle externe ayant pour objet le respect des droits et des libertés prévus par la CEDH. L’Union et ses institutions seraient ainsi soumises aux mécanismes de contrôle prévus par cette convention et, en particulier, aux décisions et aux arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme ("Cour EDH").

La Cour constate qu’il est certes inhérent à la notion même de contrôle externe que, d’une part, l’interprétation de la CEDH fournie par la Cour EDH lierait l’Union et toutes ses institutions et que, d’autre part, l’interprétation donnée par la Cour de justice de l’UE d’un droit reconnu par la CEDH ne lierait pas la Cour EDH. Toutefois, elle précise que cela ne peut en être ainsi en ce qui concerne l’interprétation que la Cour elle-même fournit du droit de l’Union et, notamment, de la Charte.

À cet égard, la Cour souligne en particulier que, dans la mesure où la CEDH accorde aux Parties contractantes la faculté de prévoir des standards de protection plus élevés que ceux garantis par la convention, il convient d’assurer une coordination entre la CEDH et la Charte. En effet, lorsque les droits reconnus par la Charte correspondent à des droits garantis par la CEDH, il faut que la faculté accordée aux États membres par la CEDH demeure limitée à ce qui est nécessaire pour éviter de compromettre le niveau de protection prévu par la Charte ainsi que la primauté, l’unité et l’effectivité du droit de l’Union. La Cour constate qu’aucune disposition du projet d’accord n’a été prévue pour assurer une telle coordination.

La Cour considère que l’approche retenue dans le projet d’accord, qui consiste à assimiler l’Union à un État et à réserver à cette dernière un rôle en tout point identique à celui de toute autre Partie contractante, méconnaît précisément la nature intrinsèque de l’Union. En particulier, cette approche ne tient pas compte du fait que les États membres, en ce qui concerne les matières faisant l’objet du transfert de compétences à l’Union, ont accepté que leurs relations soient régies par le droit de l’Union, à l’exclusion de tout autre droit. En imposant de considérer l’Union et les États membres comme des Parties contractantes non seulement dans leurs relations avec les Parties qui ne sont pas membres de l’Union, mais également dans leurs relations réciproques, la CEDH exigerait que chaque État membre vérifie le respect des droits fondamentaux par les autres États membres, alors même que le droit de l’Union impose la confiance mutuelle entre ces États membres. Dans ces conditions, l’adhésion est susceptible de compromettre l’équilibre sur lequel l’Union est fondée ainsi que l’autonomie du droit de l’Union. Or, rien n’est prévu dans l’accord envisagé afin de prévenir une telle évolution.

La Cour relève que le protocole n° 16 à la CEDH, signé le 2 octobre 2013, mais qui n'est pas encore en vigueur, autorise les plus hautes juridictions des États membres à adresser à la Cour EDH des demandes d’avis consultatif sur des questions de principe relatives à l’interprétation ou à l’application des droits et libertés garantis par la CEDH ou ses protocoles. Étant donné que, en cas d’adhésion, la CEDH ferait partie intégrante du droit de l’Union, le mécanisme instauré par ce protocole pourrait affecter l’autonomie et l’efficacité de la procédure de renvoi préjudiciel prévue par le traité FUE, notamment lorsque des droits garantis par la Charte correspondent aux droits reconnus par la CEDH. En effet, il n’est pas exclu qu’une demande d’avis consultatif introduite au titre du protocole n° 16 par une juridiction nationale puisse déclencher la procédure dite de "l’implication préalable" de la Cour.  Cette procédure est envisagée par le projet d’accord lui-même et vise à permettre à la Cour d’être impliquée dans les affaires dont est saisie la Cour EDH et dans lesquelles le droit de l’Union est en cause mais n’a pas encore été interprété par la Cour. Cela créerait un risque de contournement de la procédure de renvoi préjudiciel. La Cour estime à cet égard que le projet d’accord ne prévoit rien quant à l’articulation entre ces deux mécanismes.

Ensuite la Cour rappelle que le traité FUE prévoit que les États membres s’engagent à ne pas soumettre un différend relatif à l’interprétation ou à l’application des traités à un mode de règlement autre que ceux prévus par les traités. Par conséquent, lorsque le droit de l’Union est en cause, la Cour est exclusivement compétente pour connaître de tout litige entre les États membres ainsi qu’entre ces derniers et l’Union au sujet du respect de la CEDH. Le fait que, selon le projet d’accord, les procédures devant la Cour ne doivent pas être considérées comme des modes de règlement des différends auxquels les Parties contractantes ont renoncé au sens de la CEDH ne saurait suffire à préserver la compétence exclusive de la Cour. En effet, le projet d’accord laisse subsister la possibilité que l’Union ou les États membres saisissent la Cour EDH d’une demande ayant pour objet une violation alléguée de la CEDH par un État membre ou par l’Union en relation avec le droit de l’Union. L’existence même d’une telle possibilité porte atteinte aux exigences du traité FUE. Dans ces circonstances, le projet d’accord ne pourrait être compatible avec le traité FUE que si la compétence de la Cour EDH était expressément exclue pour les litiges qui opposent les États membres entre eux ou les États membres et l’Union au sujet de l’application de la CEDH dans le cadre du droit de l’Union.

En outre, dans le projet d’accord, le mécanisme du codéfendeur a pour finalité de s’assurer que les recours formés devant la Cour EDH par des États non membres ainsi que les recours individuels soient dirigés correctement contre les États membres et/ou l’Union, selon le cas. Le projet d’accord prévoit qu’une Partie contractante devient codéfenderesse soit en acceptant une invitation de la Cour EDH soit sur décision de cette dernière à la suite d’une demande de la Partie contractante elle-même. Lorsque l’Union ou les États membres demandent à intervenir en tant que codéfendeurs dans une affaire devant la Cour EDH, ils doivent prouver que les conditions pour leur participation à la procédure sont remplies, la Cour EDH statuant sur cette demande au regard de la plausibilité des arguments fournis. Par ce contrôle, la Cour EDH serait conduite à apprécier les règles du droit de l’Union qui régissent la répartition des compétences entre cette dernière et ses États membres ainsi que les critères d’imputation des actes ou des omissions de ceux-ci. À cet égard, la Cour EDH pourrait adopter une décision définitive qui s’imposerait tant aux États membres qu’à l’Union. Permettre à la Cour EDH d’adopter une telle décision risquerait de porter préjudice à la répartition des compétences entre l’Union et ses États membres.

De même, la Cour se prononce sur la procédure de l’implication préalable de la Cour.

Elle relève premièrement que, à cette fin, la question de savoir si la Cour s’est déjà prononcée sur la même question de droit que celle faisant l’objet de la procédure devant la Cour EDH ne peut être résolue que par l’institution compétente de l’Union, la décision de cette institution devant lier la Cour EDH. En effet, permettre à la Cour EDH de statuer sur une telle question reviendrait à lui attribuer une compétence pour interpréter la jurisprudence de la Cour. Par conséquent, cette procédure devrait être aménagée de telle manière que, dans toute affaire pendante devant la Cour EDH, une information complète et systématique soit adressée à l’Union, afin que l’institution compétente soit mise en mesure d’apprécier si la Cour s’est déjà prononcée sur la question en cause et, dans la négative, d’obtenir la mise en œuvre de cette procédure.

Deuxièmement, la Cour observe que le projet d’accord exclut la possibilité de saisir la Cour afin que celle-ci se prononce sur une question d’interprétation du droit dérivé au moyen de cette procédure. Une telle limitation de la portée de cette procédure aux seules questions de validité porte atteinte aux compétences de l’Union et aux attributions de la Cour.

Enfin, la Cour analyse les caractéristiques spécifiques du droit de l’Union concernant le contrôle juridictionnel en matière de politique étrangère et de sécurité commune ("PESC"). Elle souligne à cet égard que, en l’état actuel du droit de l’Union, certains actes adoptés dans le cadre de la PESC échappent au contrôle juridictionnel de la Cour. Une telle situation est inhérente à l’aménagement des compétences de la Cour prévu par les traités et, en tant que telle, ne peut se justifier qu’au regard du seul droit de l’Union. Toutefois, en raison de l’adhésion telle que prévue par le projet d’accord, la Cour EDH serait habilitée à se prononcer sur la conformité avec la CEDH de certains actes, actions ou omissions intervenus dans le cadre de la PESC, notamment ceux pour lesquels la Cour n’est pas compétente pour exercer son contrôle de légalité au regard des droits fondamentaux. Une telle situation reviendrait à confier, en ce qui concerne le respect des droits garantis par la CEDH, le contrôle juridictionnel exclusif de ces actes, actions ou omissions de l’Union à un organe externe à l’Union. Par conséquent, le projet d’accord méconnaît les caractéristiques spécifiques du droit de l’Union concernant le contrôle juridictionnel des actes, actions ou omissions de l’Union dans le domaine de la PESC.

Eu égard aux problèmes identifiés, la Cour conclut que le projet d'accord sur l’adhésion de l’Union européenne à la CEDH n'est pas compatible avec les dispositions du droit de l'Union.

Premières réactions

Une des premières personnalités politiques à réagir a été la présidente de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE), la députée libérale luxembourgeoise Anne Brasseur. Elle "invite les négociateurs à étudier attentivement cet avis et à examiner sans délai ce qui peut être fait pour surmonter les obstacles juridiques signalés par la Cour. Nous avons engagé un processus historique, et je demeure convaincue qu’il est de notre intérêt de disposer d’un système cohérent de protection des droits de l’homme à l’échelle européenne".

"L'adhésion de l'UE à la Convention est une obligation juridique" en vertu du traité de Lisbonne de 2009, a réagi de son côté le porte-parole de la Commission, Margaritis Schinias."La Commission va analyser en profondeur l'opinion de la Cour de justice qui soulève plusieurs questions juridiques importantes", a-t-il indiqué. "La Commission prendra toutes les mesures nécessaires en consultation avec toutes les parties contractantes et avec le Parlement européen", a-t-il précisé, sans s'engager sur un calendrier.