Si aucun principe général du droit de l’Union n’interdit, en soi, les discriminations fondées sur l’obésité, cette dernière relève de la notion de "handicap" lorsque, dans certaines conditions, elle fait obstacle à la pleine et effective participation de la personne concernée à la vie professionnelle sur un pied d’égalité avec les autres travailleurs, a estimé la Cour de Justice de l’UE dans un arrêt publié le 18 décembre 2014.
Afin de préciser le principe d’égalité de traitement, la directive 2000/78 CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, établit un cadre général pour lutter contre les discriminations en matière d’emploi et de travail. En vertu de cette directive, les discriminations fondées sur la religion, les croyances, le handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle sont interdites dans le domaine de l’emploi.
M. Karsten Kaltoft a travaillé pendant quinze ans pour la municipalité de Billund (Danemark) en qualité d’assistant maternel. Dans le cadre de cette activité, il était chargé de garder des enfants chez lui. Le 22 novembre 2010, la municipalité a mis fin à son contrat de travail. Si le licenciement était motivé par une baisse du nombre d’enfants à garder, la municipalité n’a pas indiqué les raisons pour lesquelles son choix s’est porté sur M. Kaltoft.
Pendant toute la durée de son contrat de travail, M. Kaltoft a été considéré comme obèse au sens de la définition fournie par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Bien que l’obésité de M. Kaltoft ait été évoquée lors de l’entretien de licenciement, les parties sont en désaccord sur la manière dont cette question a été discutée.
Ainsi, la municipalité nie que l’obésité ait fait partie des raisons du licenciement de M. Kaltoft. Considérant que ce licenciement découle d’une discrimination illégale fondée sur l’obésité, le Fag og Arbejde (FOA), une organisation syndicale agissant pour le compte de M. Kaltoft, a saisi une juridiction danoise pour faire constater cette discrimination et réclamer des dommages-intérêts.
Dans le cadre de l’examen de cette demande, le tribunal de Kolding, Danemark (retten i Kolding), demande à la Cour de justice de préciser si le droit de l’Union interdit de manière autonome les discriminations fondées sur l’obésité.
À titre subsidiaire, elle demande si l’obésité peut constituer un handicap et si elle relève ainsi du champ d’application de la directive précitée.
Dans son arrêt du 18 décembre 2014, la Cour relève tout d’abord que le principe général de non-discrimination est un droit fondamental qui fait partie intégrante des principes généraux du droit de l’Union. Ce principe lie donc les Etats membres lorsqu’une situation nationale relève du champ d’application du droit de l’Union.
À cet égard, la Cour rappelle qu’aucune disposition des traités et du droit dérivé de l’Union dans le domaine de l’emploi et du travail ne contient une interdiction des discriminations fondées sur l’obésité en tant que telle. En particulier, la directive sur l’égalité de traitement en matière d’emploi ne mentionne pas l’obésité comme motif de discrimination et il n’y a pas lieu d’étendre le champ d’application de cette directive au-delà des discriminations fondées sur les motifs énumérées de manière exhaustive. En outre, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne n’a pas davantage vocation à s’appliquer à une telle situation.
En l’occurrence, la Cour constate que le dossier ne contient aucun élément permettant de considérer qu’un licenciement prétendument fondé sur l’obésité en tant que telle relèverait du champ d’application du droit de l’Union.
La Cour conclut par conséquent que, dans le domaine de l’emploi et du travail, le droit de l’Union ne consacre pas de principe général de non-discrimination en raison de l’obésité en tant que telle.
S’agissant de la question de savoir si l’obésité peut constituer un "handicap" au sens de la directive, la Cour rappelle que l’objet de celle-ci est d’établir un cadre général pour lutter, dans le domaine de l’emploi et du travail, contre les discriminations fondées sur l’un des motifs énumérés dans la directive, au nombre desquels figure le handicap.
La notion de "handicap" au sens de la directive doit être entendue comme visant une limitation, résultant notamment d’atteintes physiques, mentales ou psychiques durables, dont l’interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à la pleine et effective participation de la personne concernée à la vie professionnelle sur la base de l’égalité avec les autres travailleurs. La Cour souligne que cette notion doit être entendue comme visant non pas uniquement une impossibilité d’exercer une activité professionnelle, mais également une gêne à l’exercice d’une telle activité. En effet, la directive a pour objet de mettre en œuvre l’égalité de traitement et vise notamment à ce qu’une personne handicapée puisse accéder à un emploi ou l’exercer. De plus, il irait à l’encontre de l’objectif de la directive si l’origine du handicap avait une importance pour l’application de celle-ci.
Par ailleurs, la Cour relève que la définition de la notion de "handicap" précède la détermination et l’appréciation des mesures d’aménagement appropriées que les employeurs doivent, conformément à la directive, mettre en place en fonction des besoins de chaque situation particulière afin de permettre à une personne handicapée d’accéder à l’emploi, de participer à un travail ou de progresser professionnellement (à moins que ces mesures n’aboutissent à l’imposition d’une charge disproportionnée pour l’employeur). Dès lors, la seule circonstance que de telles mesures d’aménagement n’auraient pas été prises à l’égard de M. Kaltoft ne suffit pas pour conclure qu’il ne pourrait pas être considéré comme une personne handicapée au sens de la directive.
Par ces motifs, la Cour conclut que si, dans des circonstances données, l’état d’obésité du travailleur entraîne une limitation, résultant notamment d’atteintes physiques, mentales ou psychiques, dont l’interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à la pleine et effective participation de cette personne à la vie professionnelle sur la base de l’égalité avec les autres travailleurs et si cette limitation est de longue durée, un tel état relève de la notion de "handicap" au sens de la directive. Tel serait notamment le cas si l’obésité du travailleur fait obstacle à cette participation du fait d’une mobilité réduite ou de la survenance de pathologies empêchant la personne d’accomplir son travail ou entrainant une gêne dans l’exercice de l’activité professionnelle.
Il incombe à la juridiction nationale de déterminer si l’obésité de M. Kaltoft relève de la définition de "handicap".