Quelle est la place du Luxembourg dans l’Union économique et monétaire (UEM), comment la zone euro a-t-elle fait face à six années de crise, et à quels défis l’UEM est-elle désormais confrontées ? Voici quelques-unes des questions auxquelles le ministre luxembourgeois des Finances, Pierre Gramegna, a tenté de répondre à l’occasion d’une conférence lors de la dernière manifestation du Bridge Forum Dialogue, le 25 mars 2015 à Luxembourg.
Devant près d’une centaine de personnes réunies par la plate-forme de discussion interdisciplinaire, Pierre Gramegna est tout d’abord revenu sur la construction de l’UEM et de la monnaie unique, l’euro, née du traité de Maastricht signé en 1992, pour évoquer ensuite la crise de 2008 et les mesures prises au sein de l’UE pour renforcer l’UEM : refonte du Pacte de stabilité et de croissance, Union bancaire, Semestre européen et surveillance macroéconomique.
Le Luxembourg est "l’un des rares pays qui remplissent tous les critères et toutes les conditions", a déclaré le ministre lorsqu’il a abordé la question du rapport entre le Luxembourg et l’UEM. Il s’est félicité que, du fait de la mise en place d’un budget pluriannuel en 2015, le pays respecterait l’équilibre défini par la Commission pendant les quatre prochaines années. "Nous avons mis en ordre notre budget […] ce qui nous donne beaucoup de sérénité pour préparer l’avenir et surtout, renforce notre crédibilité à l’étranger", a encore dit Pierre Gramegna selon lequel, pour un pays comme le Luxembourg, "respecter tous ces critères n’est pas seulement une option mais c’est un "must"". "Pour un pays plus grand, peut-être y a-t-il un degré de latitude, mais je préfère alors être un petit pays qui est dans l’obligation de respecter ces critères plutôt que d’être dans la situation inverse et de devoir interpréter les règles et d’éventuellement ne pas s’y conformer, parce que la sérénité [qui en découle] est porteuse de bons conseils et permet d’investir davantage dans l’avenir", a-t-il dit.
L’euro serait en tous les cas largement bénéfique au Luxembourg, le pays "de loin le plus ouvert de toute l’UE" selon Pierre Gramegna, notamment parce que la monnaie unique a garanti "la liberté de mouvement des capitaux", une tradition luxembourgeoise qui n’était pas partagée partout dans l’UE. "Cette liberté a favorisé et renforcé encore notre place financière", a poursuivi le ministre, évoquant un développement "spectaculaire" ces 15 à 17 dernières. Outre cet élément, "le plus important pour le Luxembourg" selon Pierre Gramegna, l’euro a également permis de gommer les risques liés aux taux de change, un élément "très important pour un pays qui exporte et importe beaucoup" comme le Grand-Duché, a noté le ministre. Enfin, l’euro a également apporté au Luxembourg une plus grande stabilité des prix, "puisque l’évolution des prix est aussi dictée par la solidité de la monnaie", a-t-il souligné, cela d’autant plus que le pays a tendance à avoir des taux d’inflation plus importants que ses voisins.
Néanmoins, la monnaie unique a aussi des désavantages, bien que "nettement inférieurs en importance", selon le ministre. L’euro encourage ainsi notamment une spécialisation sectorielle qui participe à l’attractivité du pays "mais en même temps, la place financière pèse pour 25 % du PIB du pays, ce qui oblige à des stratégies de diversification", a indiqué Pierre Gramegna. Par ailleurs, l’absence de taux de change ne permet plus d’ajuster les prix "ou en d’autres termes de compenser des pertes de compétitivité" à travers des dévaluations de la monnaie, ce qui a beaucoup touché des pays comme la France ou l’Italie, a-t-il encore dit.
Si le Luxembourg ou l’Allemagne sont moins concernés, c’est parce que "une monnaie unique assez forte ne dérange pas, même en tant que puissance d’exportation, quand les produits que vous exportez sont des produits leaders dans le monde", a souligné le ministre, qui cite l’industrie automobile allemande, "que le monde entier s’arrache", en exemple. "Ce n’est pas grave qu’elles soient plus chères puisque les gens les achètent quand même, en revanche, si vous produisez des voitures peu chères, comme c’est le cas en France, vous serez concurrencés par des producteurs qui jouent dans le même créneau".
Le ministre s’est ensuite penché sur les avantages de l’UEM par rapport à la dynamique du marché unique. Si le second est une condition à l’existence de la première, l’UEM "renforce" également le marché unique, a dit Pierre Gramegna. Or "les moteurs du marché unique", à savoir notamment les principes de reconnaissance mutuelle et du pays d’origine, "ont été remis en cause ces dernières années de manière sournoise, parfois de manière évidente" selon le ministre qui note que "la machine s’est un peu grippée à partir de 2006". A cette époque, la proposition de directive service (dite Bolkestein) qui prévoyait une libéralisation totale a suscité un mouvement public et politique d’opposition. "La directive revisitée n’a de sorte que très partiellement atteint ses objectifs et c’est depuis que la dynamique du marché unique s’est affaiblie", a souligné le ministre.
Pierre Gramegna cite en outre l’exemple de la TVA sur le commerce électronique qui se basait jusqu’à la modification de la réglementation entrée en vigueur en 2015 sur le pays d’origine de l’entreprise, et qui désormais relèvera du pays de la transaction. Ainsi, selon le ministre, deux logiques s’opposent, à savoir celle du marché unique, "qui est transnationale", et celle de la fiscalité "qui est purement nationale" et où "chaque Etat veut assurer le maximum de recettes fiscales". "Cette intersection produit parfois des incohérences au marché unique et nous le regrettons en tant que Luxembourg, car c’est de notre intérêt que le marché unique joue à plein", a estimé Pierre Gramegna. Il ne s’agit cependant pas de faire "une critique excessive" de ce fonctionnement mais de souligner une réalité "parfois passée sous silence", a-t-il dit.
Pour ce qui est des défis de l’UEM à l’avenir, Pierre Gramegna souligne que l’exemple de la Grèce illustre selon lui que la politique européenne en vertu du Pacte de stabilité et de croissance "n’est pas toujours appréciée par la population". "Elle est associée à une série de réformes, en particulier structurelles. A partir du moment où vous ne pouvez plus dévaluer pour compenser une perte de compétitivité, le seul moyen d’en regagner est de mener des réformes, qui ne sont jamais très populaires, ni en Grèce, ni ailleurs", a-t-il dit. "Face aux défis qui sont les nôtres, on peut agir vite et bien ou laisser trainer les problèmes et se retrouver confrontés à des situations inextricables, ce qui est le cas de la Grèce", a-t-il poursuivi.
L’amélioration de l’UEM passera donc selon Pierre Gramegna par une approche davantage intégrée et harmonisée, en rapprochant les législations, ainsi qu’en faisant en sorte que les réformes préconisées par l’Europe et les mécanismes de surveillance soient mieux compris par les institutions nationales et les populations. "Il faut faire en sorte que les partenaires sociaux et les Parlements nationaux soient associés davantage à ces réformes", a indiqué le ministre, qui a souligné que ce serait le cas au Luxembourg où une procédure de partage d’informations sur le Semestre européen a été mise en place au sein du Conseil économique et social. "Grâce à ces institutions nationales impliquées il sera plus facile d’expliquer aux populations ce que nous sommes en train de faire".
L’application des règles communes est une autre exigence, pour laquelle "il y va de notre crédibilité". "Il ne s’agit pas de les appliquer aveuglément", à préciser le ministre, soulignant que le délai de quatre mois accordé à la Grèce était destiné à analyser les projets grecs "sans se précipiter" mais "à la fin il faut respecter les règles". La simplification de règles jugées parfois trop complexes serait également une nécessité selon le ministre qui appelle à la clarté. Pour Pierre Gramegna, l’UEM serait donc perfectible, mais l’euro a permis "un saut qualitatif exceptionnel". "Je pense que nous avons digéré les maladies infantiles avec l’Union bancaire, et l’euro sort renforcé de cette crise", a dit le ministre des Finances qui a appelé à "veiller à ce que le développement d’intégration économique et monétaire aille de pair avec des marchés qui restent ouverts et qui permettent de développer le commerce, un souci important de notre pays".
Lors de la séance de questions qui a suivi la conférence, Pierre Gramegna est revenu sur les différences supposées dans le respect des règles entre grands et petits pays de l’UEM, utilisant l’expression : "Max as Max an Här as Här" pour insister sur le fait que seul, le Luxembourg ne pouvait rien, même dans des dossiers très importants pour lui, et qu’il devait en conséquence "trouver des alliés". "Notre rôle est de créer des ponts, pas de montrer du doigt les uns ou les autres" pour qu’ils respectent les règles, a dit le ministre, notant que le projet européen était "un projet entre pays et entre personnes". Selon le ministre, la réalité est la même que dans une famille : "les règles sont là, il s’agit de rester crédible et il y a des limites à ne pas franchir et comme dans une famille, il faut espérer que tout le monde joue le jeu jusqu’à un certain point".
Pierre Gramegna a d’ailleurs insisté sur la nécessité, dans le cadre de l’euro, de mener des réformes structurelles, notamment sur le marché du travail, pour retrouver de la compétitivité. "Si un pays refuse durablement de faire les ajustements, il ne respecte plus les règles de l’euro et il ne peut donc pas garder l’euro. Cela signifie un retour à la monnaie nationale qui dévaluera de manière spectaculaire par rapport à la monnaie unique", a-t-il dit. "L’euro a également un prix, il faut s’adapter", a-t-il ajouté. Quant au débat sur la justification et la justesse des politiques menées "qui monte actuellement", le ministre la trouve justifiée au regard de la faible croissance de l’UE qui contraste avec la reprise aux USA. Selon Pierre Gramegna, l’UE a appris des Etats-Unis en mettant en place le programme de rachat massif d’actifs de la BCE, "mais ce n’est pas suffisant, il faut des réformes structurelles", a-t-il insisté.
Aux USA, ces réformes seraient plus faciles, notamment en raison d’une moindre protection sociale et d’une flexibilité dont l’UE ne dispose pas. Constatant que "nos populations ne veulent pas d’un tel système, le ministre a conclu : "Nous voulons ces filets de sécurité qui coûtent cher et nous rendent parfois moins compétitifs […] donc la recette n’est pas simple", a-t-il ajouté, notant qu’il s’agissait donc de "réduire les écarts économiques et sociaux et créer un élan de solidarité, non par des flux d’argent du nord vers le sud, mais par des mesures d’accompagnement […] pour que les pays s’aident eux-mêmes". Et de souligner encore qu’il est favorable à ce que la Grèce puisse décider elle-même de ses réformes plutôt de se les voir imposer par la Troïka en "laissant le choix des mesures pour atteindre les objectifs", ce qui permet "de concilier le cadre européen et la souveraineté des pays".