Principaux portails publics  |     | 

Institutions européennes - Economie, finances et monnaie
Dans une interview donnée au quotidien espagnol El País, Jean-Claude Juncker fait le point sur la crise et le chômage dans l’UE, les nouveaux partis de gauche en Grèce et en Espagne, et sur les menaces qui pèsent sur l’intégration européenne
04-03-2015


el-pais-logoLe président de la Commission européenne, Jean-Claude  Juncker, a donné le 3 mars une interview au quotidien espagnol El País, dans il s’exprime avec franchise sur toute une série de sujets tout en veillant au grain. Il a notamment abordé la situation en Europe, le nouveau gouvernement grec dirigé par le parti de gauche Syriza d’Alexis Tsipras, les revendications d’autres mouvements à la gauche de la gauche qui ont, comme le parti espagnol Podemos, le vent en poupe, le rôle de l’Allemagne dans l’UE, les relations difficiles entre le Royaume-Uni et l’UE sous le signe du référendum sur son appartenance à l’UE, la reprise qu’il juge "fragile" et enfin les vieux ressentiments" qui menacent selon lui l’intégration européenne qu’il qualifie de "fleur délicate".

Pour le président de la Commission, le plus grand problème de l’UE est, à côté du "désenchantement des gens à l’égard des institutions", le chômage. Tant que le chômage atteint des chiffres élevés, et même s’ils s’améliorent, "impossible de dire aux gens et à nous-mêmes que la crise est terminée". Il ajoute : "Si nous voulons être honnêtes, nous devons dire que nous allons continuer à avoir de graves difficultés tant que le chômage ne baisse pas à des niveaux normaux. Nous sommes au milieu de la crise. Elle n’est pas encore terminée." Jean-Claude Juncker admet que "les réformes structurelles tardent à donner des résultats" et de comprendre "l’impatience des citoyens qui demandent des résultats immédiats", mais demande de "donner du temps au temps". Et même si les choses se sont améliorées depuis le début de la crise en Espagne ou en Grèce, le président de la Commission se doute bien qu’un jeune qui n’a jamais pu travailler "s’intéressera peu aux statistiques, parce qu’il est plus préoccupé par le fait de ne pas avoir d’emploi". 

Commentant ce qui se passe en Grèce, Jean-Claude Juncker estime que "Tsipras a fait un pas fondamental : il a commencé à assumer ses responsabilités. Mais il a un problème : il doit encore expliquer que certaines des promesses avec lesquelles il a remporté les élections ne seront pas tenues. Tsipras a le mérite d’avoir a posé les bonnes questions. Mais il n'a jamais donné de réponses. Et s’il en a donné, elles sont exclusivement nationales alors que, concernant la Grèce et son programme, il y a 19 opinions publiques qui comptent. Les élections ne changent pas les traités : il est clair que l'on peut envisager la crise grecque d'une autre manière. On peut faire preuve de davantage de flexibilité, mais la victoire de Tsipras n'ouvre pas le droit à tout changer."

Evoquant le parti grec Syriza et son équivalent espagnol Podemos, il estime que ce "type de nouveau parti analyse souvent la situation de manière réaliste en soulignant avec précision les énormes défis sociaux. Mais s'ils remportent les élections, ils sont incapables de tenir leurs promesses de transformer leurs programmes en réalité. Les propositions de ces partis ne sont pas compatibles avec les règles européennes : elles conduiraient à une situation de blocage total", a-t-il encore indiqué. 

En ce qui concerne l’aversion de ces partis pour la Troïka, Jean-Claude Juncker pense qu’il y a eu un problème de dignité, et ajoute : "Peut-être n’avons-nous pas été assez respectueux" des pays en crise qui "ont été obligés de négocier non pas avec la Commission ou avec l’Eurogroupe, mais avec des fonctionnaires, ce qui était déplacé". Il identifie encore un autre problème : le fait que le lancement des programmes d’aide s’est fait sans évaluation de leur impact social. Or, des conséquences comme l’expulsion de 25 % des Grecs du système de sécurité sociale doivent être connues d’avance.

Le président de la Commission pense que "l’impression que l’Allemagne dirige l’UE avec une main de fer ne correspond pas à la réalité. D’autres pays ont été plus sévères : les Pays-Bas, la Finlande, la Slovaquie, les Baltes, l’Autriche. Au cours de ces dernières semaines, l’Espagne et le Portugal ont été plus exigeants sur le dossier grec."   

Face à la perspective d’un référendum sur l’appartenance du Royaume Uni à l’UE, Jean-Claude Juncker ne craint pas "l’apocalypse", comme le lui suggère le journaliste d’El País. "Mon expérience m’a appris que les révolutions ne s’annoncent jamais : les ruptures du statu quo ne l’emportent que si elles viennent par surprise". Et d’ajouter : "Je veux méditer les proposition du Royaume-Uni. Ils ont leurs lignes rouges et j’ai les miennes : la libre circulation des personnes n’est pas négociable." Le président comprend que certains pays veulent lutter contre les abus, mais pour lui, "la réponse n’est pas de changer les règles européennes, mais la législation nationale", Car selon lui, "si l’on s’attaque aujourd’hui à la libre circulation, dans deux ans il y a aura des attaques contre d’autres libertés."

Quant au futur de l’UE, Jean-Claude Juncker juge toujours difficile "le partage des souverainetés" et "le dépassement des pulsions nationalistes qui portent en elles la désagrégation" dans le contexte d’une crise qui "a fait dramatiquement affleurer à la surface des problèmes qui couvaient depuis des années", et ce dans un monde qui est "de plus en plus compliqué et dangereux". Pour lui, la seule alternative au projet européen, ce sont "les utopies régressives défendues par certains populismes démagogiques". Et d’évoquer le retour de "vieux ressentiments que nous avions crus disparus", notamment dans les analyses que les Allemands ont faites des Grecs et dans la manière des Grecs de réagir aux décisions allemandes. Et il conclut : "Non seulement la reprise économique est fragile : l’intégration européenne est, elle aussi, menacée. Elle est une fleur délicate."