La Commission européenne peut retirer une proposition législative si des amendements apportés par le Conseil ou le Parlement dénaturent la proposition dans un sens contraire à son objectif, estime la Cour de justice de l’UE (CJUE) dans un arrêt publié le 14 avril 2015. Toutefois, ce pouvoir de retrait ne peut pas investir la Commission d’un droit de véto qui serait contraire aux principes de l’attribution des compétences et de l’équilibre institutionnel, juge la Cour qui a conclu que dans l’affaire C‑409/13, la décision de la Commission "n’a méconnu ni le principe d’attribution de compétences, ni le principe de l’équilibre institutionnel, ni le principe de coopération loyale (…) et non plus que le principe de démocratie". C’est la première fois que la Cour est appelée à apprécier la validité du retrait d’une proposition législative par la Commission.
Dans cette affaire, le Conseil, soutenu par dix Etats membres (Allemagne, Espagne, Finlande, France, Italie, Pays- Bas, République tchèque, Royaume-Uni, Slovaquie, Suède) a introduit en juillet 2013 auprès de la CJUE un recours en annulation contre la décision de la Commission de retirer le 8 mai 2013 une proposition de règlement-cadre concernant l’assistance macrofinancière (AMF) à des pays tiers. Présentée en juillet 2011, cette proposition prévoyait de rendre l’AMF "plus rapide et plus efficace" et d’accélérer la prise de décision pour chaque opération d’AMF qui doit être approuvée par le Conseil et le Parlement européen en conférant à la Commission le pouvoir de l’adopter via un acte d’exécution, mais "sous le contrôle d’un comité composé de représentants des États membres". La Commission avait notamment critiqué des "retards entre la demande d’aide présentée par un pays et l’approbation" de l’AMF ce qui "amoindrit l’efficacité de cet instrument" et évoqué des éléments du processus décisionnel qui ont "tendance à nuire à l’efficacité et à la transparence de l’AMF".
Mais le Conseil et certains Etats membres ont fait valoir que les traités "ne confèrent pas à la Commission une prérogative générale lui permettant de retirer les propositions qu’elle a soumises au législateur de l’Union". Ils estimaient entre autres que "le fait de reconnaître que la Commission dispose d’un pouvoir discrétionnaire de retrait d’une proposition législative chaque fois qu’elle est en désaccord avec des amendements convenus entre les colégislateurs ou qu’elle n’est pas satisfaite du résultat final d’une négociation reviendrait à accorder à cette institution un moyen de pression injustifié sur le déroulement des travaux législatifs ainsi qu’un droit de véto sur l’action législative". Le Conseil et l’Allemagne jugeaient qu’un tel pouvoir discrétionnaire de retrait serait contraire au principe de démocratie.
Pour le Conseil et les Etats membres, une dénaturation de la proposition n’avait pas eu lieu. Ils estimaient en revanche que, en adoptant la décision attaquée, la Commission "a empêché le Parlement et le Conseil d’exercer leurs prérogatives législatives en s’opposant, sans raison objective et en fonction de pures considérations d’opportunité politique, au compromis que ces derniers s’apprêtaient à finaliser". Ils reprochent par ailleurs à la Commission de ne pas avoir fait part aux colégislateurs "en temps utile" de son intention de retirer sa proposition de règlement-cadre et "d’avoir ainsi empêché ces derniers d’éviter le retrait envisagé en modifiant leur orientation commune".
Dans son arrêt, la Cour rappelle que le pouvoir de la Commission dans le cadre de la procédure législative ordinaire ne se résume pas à présenter une proposition et, par la suite, à favoriser les contacts et à chercher à rapprocher les positions du Parlement et du Conseil. Elle insiste sur le fait que la Commission a, aussi longtemps que le Conseil n’a pas statué, le pouvoir de modifier sa proposition voire, au besoin, de la retirer.
Mais ce pouvoir de retrait ne peut pas investir la Commission d’un droit de véto qui "serait contraire aux principes de l’attribution des compétences et de l’équilibre institutionnel", explique la Cour. La Commission doit donc "exposer au Parlement et au Conseil les motifs de ce retrait et les étayer, en cas de contestation, par des éléments convaincants".
La Commission peut retirer une proposition lorsque celle-ci est dénaturée par un amendement du Parlement et du Conseil qui "fait obstacle à la réalisation de ses objectifs et qui, partant, la prive de sa raison d’être". Selon la Cour, le refus du Parlement et du Conseil de transférer à la Commission le pouvoir de prendre des décisions pour l’octroi de l’AMF "aurait dénaturé un élément essentiel de la proposition d’une manière inconciliable avec l’objectif poursuivi par cette dernière" (à savoir améliorer l’efficacité de la politique de l’Union en matière d’AMF). Par ailleurs, la Cour constate que la Commission s’est efforcée de trouver une solution de compromis qui aurait pris en compte les préoccupations du Parlement et du Conseil et n’a retiré sa proposition que lorsqu’il s’est avéré que le Conseil et le Parlement envisageaient d’amender cette proposition dans un sens contraire à ses objectifs. Ce faisant, la Commission n’a pas, selon la Cour, violé le principe de coopération loyale.
La Cour souligne néanmoins qu’un retrait de proposition peut faire l’objet d’un recours en annulation étant donné qu’une telle décision "empêche le Parlement et le Conseil d’exercer, comme ils l’auraient voulu, leur fonction législative".