Le 29 avril 2009, un médecin de l’Établissement français du sang à Metz (France) a refusé le don de sang que souhaitait faire M. Léger au motif que celui-ci avait eu une relation sexuelle avec un homme et que le droit français exclut de manière permanente du don de sang les hommes ayant eu de telles relations sexuelles. M. Léger ayant contesté cette décision, le tribunal administratif de Strasbourg (France) a saisi la Cour de Justice de l’UE (CJUE) d’une question préjudicielle dans laquelle il demandait à la Cour de justice si cette exclusion permanente est compatible avec la directive 2004/33/CE de l’Union. Selon cette directive, les personnes dont le comportement sexuel les expose à un risque élevé de contracter des maladies infectieuses graves transmissibles par le sang sont exclues de manière permanente du don de sang.
Dans son arrêt rendu le 29 avril 2015, la Cour de justice de l’UE (CJUE) déclare tout d’abord que le tribunal administratif de Strasbourg devra déterminer si, dans la situation d’un homme ayant eu des rapports sexuels avec un homme, il existe, en France, un risque élevé de contracter des maladies infectieuses graves transmissibles par le sang. Aux fins de cette analyse, le tribunal administratif de Strasbourg devra prendre en compte la situation épidémiologique en France qui, selon le gouvernement français et la Commission, présenterait un caractère spécifique.
À cet égard, la Cour souligne que, d’après les données qui lui ont été fournies, la quasi-totalité des contaminations par le VIH a été due, pour la période allant de l’année 2003 à l’année 2008, à un rapport sexuel, la moitié des nouvelles contaminations concernant des hommes qui ont eu des relations sexuelles avec des hommes. Toujours sur la même période, ceux-ci représentaient la population la plus touchée par la contamination par le VIH, avec un taux 200 fois supérieur à celui de la population hétérosexuelle française. Enfin, c’est en France que la prévalence du VIH dans le groupe des hommes ayant eu des rapports sexuels avec des hommes serait la plus élevée parmi tous les États d’Europe et d’Asie centrale. Le tribunal administratif de Strasbourg devra donc vérifier si, à la lumière des connaissances médicales, scientifiques et épidémiologiques actuelles, ces données sont fiables et toujours pertinentes.
Même dans l’hypothèse où le tribunal administratif de Strasbourg considérerait que les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes sont exposés, en France, à un risque élevé de contracter des maladies telles que le VIH, se poserait, selon la Cour, la question de savoir si la contre-indication permanente au don de sang est conforme aux droits fondamentaux de l’Union et, notamment, au principe de non-discrimination fondée sur l’orientation sexuelle inscrit dans l’article 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
Vu que la législation française est susceptible de comporter, à l’égard des personnes homosexuelles masculines, une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle, la Cour rappelle que toute limitation de l’exercice des droits et des libertés reconnus par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ne peut être apportée que si elle est nécessaire et répond effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui.
À cet égard, la Cour juge que, si l’exclusion prévue par la réglementation française contribue à réduire au minimum le risque de transmission d’une maladie infectieuse aux receveurs et, partant, à l’objectif général d’assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine, le principe de proportionnalité pourrait ne pas être respecté.
En effet, il ne peut pas être exclu que le VIH puisse être détecté par des techniques efficaces à même d’assurer un niveau élevé de protection de la santé des receveurs. Le tribunal national devra vérifier si de telles techniques existent, étant entendu que les tests doivent être pratiqués selon les procédures scientifiques et techniques les plus récentes.
Dans le cas où de telles techniques n’existeraient pas, le tribunal administratif de Strasbourg devra vérifier s’il n’existe pas de méthodes moins contraignantes que l’exclusion permanente du don de sang pour assurer un niveau élevé de protection de la santé des receveurs et, notamment, si le questionnaire et l’entretien individuel avec un professionnel du secteur médical peuvent permettre d’identifier plus précisément les comportements sexuels à risque.
En conséquence, la CJUE conclut son arrêt en disant "pour droit" que les textes en question doivent être interprétés "en ce sens que le critère d’exclusion permanente du don de sang visé et relatif au comportement sexuel couvre l’hypothèse dans laquelle un État membre, eu égard à la situation prévalant dans celui-ci, prévoit une contre-indication permanente au don de sang pour les hommes ayant eu des rapports sexuels avec des hommes lorsqu’il est établi, sur la base des connaissances et des données médicales, scientifiques et épidémiologiques actuelles, qu’un tel comportement sexuel expose ces personnes à un risque élevé de contracter des maladies infectieuses graves susceptibles d’être transmises par le sang et que, dans le respect du principe de proportionnalité, il n’existe pas de techniques efficaces de détection de ces maladies infectieuses ou, à défaut de telles techniques, de méthodes moins contraignantes qu’une telle contre-indication pour assurer un niveau élevé de protection de la santé des receveurs". "Il appartient à la juridiction nationale de vérifier si, dans l’État membre concerné, ces conditions sont remplies", précise la Cour.