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Economie, finances et monnaie
La Cour de justice de l’Union européenne estime que les détenteurs d'obligations grecques peuvent poursuivre la Grèce au civil, tout en précisant que leur plainte ne semble pas fondée
11-06-2015


La grande salle d'audience de la Cour de Justice de l'UE (@ CJUE)En procédant en 2012 à la restructuration de sa dette, l'État grec n'a pas agi en tant que puissance publique, cette action devant donc relever du droit civil ou commercial. Néanmoins, il ne semble pas que cette restructuration ait causé un préjudice tel que celui allégué par certains particuliers, notamment allemands. Telle est la conclusion de l’arrêt aux affaires jointes C-226/13, C-245/13, C-247/13 et C-578/13, rendu le 11 juin 2015 par la Cour européenne de justice de l’UE (CJUE) qui siège à Luxembourg.

Le règlement n°1393/2007 de l’Union vise à améliorer et accélérer la transmission des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale. Dans ce cadre, le règlement prévoit notamment l’utilisation de formulaires types ainsi qu’une transmission directe et dans les meilleurs délais entre les entités désignées par les États membres à cette fin. Toutefois, le règlement indique expressément qu’il ne couvre pas la responsabilité de l’État pour des actes ou des omissions commis par celui-ci dans l’exercice de la puissance publique.

Le contexte

Le Landgericht Wiesbaden (tribunal régional de Wiesbaden, Allemagne) et le Landgericht Kiel (tribunal régional de Kiel, Allemagne) avaient posé une question préjudicielle à la CJUE, lui demandant si des actions en indemnité, en exécution contractuelle et en dommages-intérêts introduites par des détenteurs privés d’obligations contre l’État émetteur relèvent de la notion de "matière civile ou commerciale" au sens du règlement, de sorte que celui-ci serait applicable.

Ces juridictions sont saisies d’actions introduites contre l’État grec par des titulaires d’obligations d’État grecques domiciliés en Allemagne. Ces titulaires s’estiment lésés suite au fait que la Grèce les a, selon eux, forcés, au mois de mars 2012, à échanger leurs titres contre de nouvelles obligations d’État d’une valeur nominale sensiblement réduite.

Afin de faire face à une grave crise financière, la Grèce avait en effet adopté, en février 2012, une loi prévoyant la soumission d’une offre de restructuration aux détenteurs de certaines obligations d’État grecques. Cette loi prévoyait également l’introduction d’une clause de restructuration dans les contrats d’émission concernés, de manière à ce que les conditions d’émission initiales des titres puissent être modifiées au moyen de décisions adoptées à la majorité qualifiée du capital restant dû. Aucun des particuliers concernés en l’espèce n’a accepté l’offre d’échange soumise par l’État grec sur la base de cette loi. Dans le cadre de la procédure de notification des actions à l’État grec (partie défenderesse), la question s’est posée de savoir si ces actions concernent la matière civile ou commerciale au sens du règlement (la notification pouvant alors être effectuée sur la base du règlement) ou bien s’ils ont pour objet un acte ou une omission d’un État commis dans l’exercice de la puissance publique (dans ce dernier cas, le règlement ne serait pas applicable).

L’arrêt

Dans son arrêt du 11 juin 2015, la CJUE répond que des actions juridictionnelles telles que celles en cause, introduites par des détenteurs privés d’obligations contre l’État émetteur, rentrent dans le champ d’application du règlement dans la mesure où il n’apparaît pas qu’elles ne relèvent manifestement pas de la matière civile ou commerciale.

En ce qui concerne plus spécialement les actions introduites devant le Landgericht Wiesbaden et le Landgericht Kiel, la Cour constate qu’il ne peut pas être conclu que ces affaires ne relèvent manifestement pas de la matière civile ou commerciale au sens du règlement. Dès lors, le règlement est applicable à ces affaires.

La Cour signale ainsi que "l’émission d’obligations ne présuppose pas nécessairement l’exercice de pouvoirs exorbitants par rapport aux règles applicables dans les relations entre les particuliers". Ensuite, la Cour constate que les conditions financières des titres en cause n'ont pas été fixées, dans le cadre de la restauration de la dette grecque, de façon unilatérale par l'État grec, mais plutôt selon des conditions de marché qui règlent l'échange et la rentabilité de ces instruments financiers, l'État grec ayant ainsi souhaité rester dans le cadre réglementaire de nature civile.

"Il est vrai que la loi grecque en cause s’inscrit dans le cadre de la gestion des finances publiques et, tout particulièrement, de la restructuration de la dette publique afin de faire face à une grave crise financière et c’est d’ailleurs dans ce but que la Grèce a introduit la possibilité d’un échange des titres dans les contrats en question", indique la Cour dans son arrêt. Elle relève cependant que le fait que cette possibilité ait été introduite par une loi n’est pas déterminant en soi pour conclure que l’État a exercé sa puissance publique.

Elle estime en outre qu’il n’apparaît pas "de manière manifeste" que l’adoption de la loi grecque en cause ait "entraîné de façon directe et immédiate des modifications quant aux conditions financières des titres en cause" et ait donc causé le préjudice allégué par les particuliers.