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Migration et asile - Justice, liberté, sécurité et immigration
La CJUE considère que les États membres peuvent révoquer le titre de séjour d’un réfugié pour des raisons liées à la sécurité nationale et à l’ordre public, mais la perte du titre de séjour n’entraîne pas automatiquement celle du statut de réfugié
24-06-2015


CJUEUn État membre de l’UE peut-il révoquer le titre de séjour d’un réfugié pour des motifs de sécurité nationale ou d’ordre public ? Le soutien à une association terroriste constitue-t-il un tel motif ? Tel a été l’enjeu d’une procédure devant la Cour de Justice de l’UE. L’affaire a pris son départ avec la décision d’une juridiction allemande qui a déclaré caduc le titre de séjour d’un ressortissant turque d’origine kurde,  M. T., et ordonné son expulsion pour des raisons impérieuses liées à la sécurité nationale et à l’ordre public, M. T. ayant accompli des actes de soutien en faveur du PKK, interdit d’activités en Allemagne.

Le cas

M. T., né en 1956, est ressortissant turc d’origine kurde. Il vit depuis 1989 en Allemagne avec son épouse, également ressortissante turque, et leurs huit enfants communs, dont cinq ont la nationalité allemande. Depuis 1993, M. T. est reconnu comme réfugié en raison des activités politiques qu’il a menées en exil en faveur du "parti des travailleurs du Kurdistan" (ci-après le "PKK") ainsi que par la persécution politique dont il était menacé en cas de retour en Turquie. Il a alors acquis un titre de séjour à durée illimitée en Allemagne.

Suite à la modification de la situation politique en Turquie, les autorités allemandes ont interdit au PKK et à d’autres organisations en lien avec ce parti de se livrer à des activités en Allemagne. En 2012, une juridiction allemande a déclaré caduc le titre de séjour de M. T. et a ordonné son expulsion pour des raisons impérieuses liées à la sécurité nationale et à l’ordre public, M. T. ayant accompli des actes de soutien en faveur du PKK. La juridiction allemande a cependant sursis à l’exécution de l’ordre d’expulsion en tenant compte de la situation familiale de M. T. et du statut de réfugié qui lui avait été antérieurement reconnu.

M. T. a fait appel de cette décision. La juridiction d’appel allemande demande à la Cour de justice si, au regard de la directive 2004/83 sur le statut de réfugié, un État membre peut révoquer le titre de séjour d’un réfugié pour des raisons impérieuses liées à la sécurité nationale ou à l’ordre public et si le soutien apporté par un réfugié à une association terroriste constitue une telle raison.

L’arrêt de la Cour

Dans son arrêt du 24 juin 2015, la Cour rappelle que la directive prévoit uniquement la possibilité de ne pas délivrer à un réfugié un titre de séjour (à savoir lorsque des raisons impérieuses liées à la sécurité nationale ou à l’ordre public s’y opposent), et non celle de révoquer un tel titre ou d’y mettre fin. Toutefois, la Cour considère que les États membres peuvent tout de même révoquer, sur la base de la directive, un titre de séjour précédemment délivré à un réfugié. En effet, la directive n’exclut pas explicitement la possibilité de révoquer un tel titre. En outre, si les États membres sont autorisés à refuser de délivrer ou de renouveler un titre de séjour lorsque des raisons impérieuses liées à la sécurité nationale ou à l’ordre public le justifient, ils doivent être à plus forte raison autorisés à révoquer un tel titre ou à y mettre fin lorsque des raisons de cette nature interviennent postérieurement à la délivrance du titre.

S’agissant de la seconde question, la Cour rappelle que, selon le considérant 28 de la directive, les notions de "sécurité nationale" et d’"ordre public" couvrent les cas dans lesquels un ressortissant d’un pays tiers soutient une association terroriste. Il s’ensuit que le soutien apporté par un réfugié à une association terroriste peut constituer une raison impérieuse liée à la sécurité nationale ou à l’ordre public et peut ainsi motiver la révocation du titre de séjour.

La juridiction allemande devra cependant vérifier si les actes de l’organisation en question (le PKK) peuvent menacer la sécurité nationale ou l’ordre public au sens de la directive. Par ailleurs, elle devra vérifier si le soutien apporté par M. T. au PKK est tel qu’il menace la sécurité nationale ou l’ordre public allemands. À cet égard, la juridiction allemande devra examiner le rôle effectivement joué par M. T. dans le cadre de ce soutien, en recherchant notamment s’il a lui-même commis des actes de terrorisme, s’il a été impliqué dans la planification, la prise de décision ou l’instigation en vue de la commission d’actes de cette nature et s’il a financé de tels actes ou procuré à d’autres personnes les moyens d’en commettre. La Cour relève à ce sujet que M. T. a participé à des réunions légales et à des manifestations telles que la célébration du nouvel an kurde ainsi qu’à la collecte de dons pour le PKK, ce qui n’implique pas nécessairement qu’il a soutenu la légitimité d’activités terroristes ni que cette forme de soutien constitue, en elle-même, un acte de terrorisme. Enfin, la juridiction allemande devra apprécier le degré de gravité actuel de la menace pour la sécurité nationale ou l’ordre public émanant des actes commis par M. T.

 La Cour finit par préciser que le réfugié dont le titre de séjour est révoqué en application de la directive conserve son statut de réfugié jusqu’à ce qu’il soit mis fin à ce statut. Dès lors, même privé de titre de séjour, l’intéressé demeure réfugié et conserve à ce titre les avantages garantis aux réfugiés (comme notamment le droit à la protection contre le refoulement, au maintien de l’unité familiale, à la délivrance de documents de voyage, à l’accès à l’emploi et à l’éducation, à la protection sociale, aux soins de santé et au logement, à la liberté de circulation à l’intérieur de l’État membre et à l’accès aux dispositifs d’intégration). La Cour relève en l’espèce que la révocation du titre de séjour de M. T. a eu des incidences sur l’accès de celui-ci à l’emploi, à la formation professionnelle et à d’autres droits sociaux (en effet, la jouissance de ces droits est, selon la législation allemande, liée à la détention régulière d’un titre de séjour), ce qui s’avère incompatible avec la directive.

En résumé, la Cour considère que les États membres peuvent révoquer le titre de séjour d’un réfugié pour des raisons impérieuses liées à la sécurité nationale et à l’ordre public, le soutien apporté par un réfugié à une association terroriste pouvant (sous réserve d’une vérification factuelle par les juridictions nationales) constituer une telle raison. Toutefois, la perte du titre de séjour n’entraîne pas automatiquement la perte du statut de réfugié, si bien que la personne concernée conserve tous les avantages garantis aux réfugiés.