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Agriculture, Viticulture et Développement rural - Environnement
L’accaparement des terres est un phénomène limité, mais rampant dans l’UE selon une étude du Transnational Institute commanditée par le Parlement européen
16-06-2015


La couverture du rapport sur l'accaparement des terres réalisé par Transnational Institute pour le compte du Parlement européenConcentré dans les Etats membres de l'Est de l’Union européenne (UE), le phénomène de l'accaparement des terres agricoles est bien une réalité au sein de l'UE où il est "limité" par rapport à d’autres régions du monde (Afrique, Asie et Amérique latine notamment) mais "rampant", selon une étude du Transnational Institute présentée le 16 juin 2015 aux membres de la commission de l'agriculture (AGRI) du Parlement européen.

Commanditée par le Parlement européen, cette étude remet ainsi en cause la conviction selon laquelle le phénomène de l’accaparement des terres agricoles, mesuré à l’aune du degré élevé de terres détenues par des étrangers, de l’augmentation des transactions foncières à grande échelle, ainsi que des irrégularités relevées dans diverses de ces transactions, serait concentré dans les pays à faible ou à moyen revenu.

En se basant sur plusieurs bases de données et études existantes, elle fait, au contraire, état de "preuves significatives mais partielles, que l'accaparement des terres agricoles est en cours dans l'UE aujourd'hui" et relève à cet égard que le phénomène touche d’abord dans l’Union les pays d’Europe orientale, notamment la Roumanie, la Bulgarie, la Hongrie et la Pologne.

Un phénomène aux causes multiples

Selon les auteurs de l’étude, de multiples moteurs poussent à l’expansion du phénomène d’accaparement des terres agricoles dans l'UE. Leur recherche relève à cet égard plusieurs éléments, notamment :

  • la différence de prix des terrains entre les pays de l’Est de l'UE et eux de l’Ouest "qui a encouragé la spéculation" et un phénomène "d’artificialisation des terres", à savoir la conversion des terres agricoles vers un usage non-agricole "qui permet les plus importants retours sur investissement ;
  • les conséquences involontaires des réformes agraires, des programmes de privatisation et de remembrement des terres dans les Etats membres d'Europe orientale "qui ont entraîné l'émergence de structures agraires duales dans laquelle l'utilisation des terres est à la fois très concentrée et très fragmentée" et ont ainsi favorisé les grands exploitants au détriment des plus petits ;
  • le lien entre le contrôle des terres et l'accès aux paiements en vertu de la Politique agricole commune (PAC) "qui a conduit à la concentration des exploitations en termes de superficie agricole utilisée et de capital, et donc, à la concentration des terres" ;
  • et une variété d'autres politiques sectorielles de l'UE liées à l'alimentation, à l'énergie, au commerce, à la finance et à l'investissement.

Une rupture profonde avec le modèle européen diversifié d’agriculture familiale

L’augmentation des transactions foncières de grande ampleur au sein des Etats membres au cours de la dernière décennie est donc mise en avant par les auteurs pour confirmer l’existence du phénomène, de même que "l'absence de transparence" qui les entoure. Une opacité qui permettrait de mettre en évidence que le phénomène ne repose pas seulement sur le fonctionnement normal du marché foncier mais implique une "force extra-économique" : il s’agit notamment des conditions spéciales offertes par les pouvoirs publics à tous les niveaux (national, régional et local), des bonnes relations politiques entretenues par les acteurs ainsi que de certaines pratiques de "contournement de la loi", détaillent les auteurs.

Selon les auteurs, la taille des exploitations résultant de ces transactions, parfois de "plusieurs milliers d'hectares", poserait dans ce contexte question, en ce qu’elle représente "une rupture profonde avec l'exploitation familiale qui caractérisait jusque-là l'agriculture européenne". Elle pousserait notamment à la marginalisation de l'agriculture à petite échelle en Europe et bloquerait l’entrée dans le secteur des jeunes et des aspirants agriculteurs européens.

Or, le remplacement du modèle européen diversifié d’agriculture familiale, fondé sur des pratiques saines, par un système industriel de grandes entreprises agricoles, fortement dépendantes de la monoculture et de l'utilisation intensive des produits agrochimiques, induirait des conséquences négatives dans divers domaines : la souveraineté alimentaire européenne et les cultures alimentaires locales, l’environnement, l’emploi, et potentiellement pour la sécurité alimentaire européenne à long terme, lit-on dans l’étude. Le phénomène serait ainsi "devenu un facteur actif dans la poursuite de l’affaiblissement de la viabilité socio-économique du secteur rural", écrivent encore les auteurs.

Les auteurs relèvent d’ailleurs à cet égard que le phénomène de l’accaparement des terres agricoles doit être placé dans le contexte des changements structurels plus larges au sein de l'agriculture européenne, en particulier dans une tendance de long terme de concentration des terres agricoles dans l’UE : quelque 50,6 %, en moyenne, de ces superficies étaient détenues en 2010 par 2,7 % des exploitations.

Un ensemble hétérogène d'acteurs 

Les auteurs relèvent dans ce contexte que l’accaparement des terres dans l’UE "implique un ensemble hétérogène d'acteurs", étrangers et nationaux, étatiques et non étatiques, personnes physiques et morales. Ainsi, en plus de grandes entreprises agricoles constituées en sociétés, en Europe, dont le capital est souvent internationalisé, une nouvelle classe d'investisseurs financiers (banquiers, fonds d’investissement, etc.), traditionnellement non impliqués dans le secteur agricole, a été poussée vers l'acquisition de terres dans l'UE désormais considérées comme "des atouts commerciaux".

L’étude relève encore que le phénomène implique aussi un ensemble croissant de "courtiers" qui interviennent pour faciliter les transactions en la matière, constitués de "spéculateurs et fraudeurs qui interviennent dans les intérêts fonciers des entreprises et des États", écrivent les auteurs. La part croissante de terres agricoles détenues par les acteurs financiers et les spéculateurs est en tous les cas "un sujet d’inquiétude", selon l’étude.

Les options politiques pour freiner le phénomène

Pour freiner le phénomène d'accaparement des terres agricoles dans l'UE, l'étude recommande de permettre aux Etats membres "un plus grand contrôle réglementaire", entre autres en élargissant la portée des "restrictions justifiables au principe de la libre circulation des capitaux". Il s’agirait notamment d’envisager un plafonnement pour l’acquisition de terres agricoles et de favoriser l’achat de terres pour les propriétaires se trouvant sous cette limite en créant un système de droits de préemption. L’étude suggère parallèlement la création d'un "observatoire européen" chargé de documenter les changements dans la propriété des terres agricoles.

Les auteurs préconisent aussi des "ajustements de la boîte à outils" de la politique agricole commune (PAC). Il s’agirait ainsi de : fixer à 100 % le taux de convergence des paiements directs agricoles des nouveaux Etats membres et des anciens ; fixer la part du paiement "redistributif" pour les premiers hectares dans le premier pilier de la PAC au niveau le plus élevé ; envisager un plafonnement des aides à 100 000 euros ; utiliser au maximum le régime pour les jeunes agriculteurs ; surveiller l'application des mesures de verdissement des aides ; utiliser les paiements couplés pour renforcer les secteurs en difficulté ; et adopter une définition de l'agriculteur actif "clairement ancrée sur la notion de travail à la ferme".

L’étude recommande par ailleurs l'adoption d’une réglementation environnementale européenne pour lutter contre les effets de dégradation des terres agricoles résultant du phénomène d’accaparement et d’exploitation industrielle ainsi que d'une orientation politique claire sur les terres agricoles au niveau de l'UE. "Cela pourrait prendre la forme d'une recommandation de la Commission européenne sur les terres, qui serait mise en œuvre à travers une série de directives […] qui viseraient à mettre en œuvre une approche globale, holistique et fondée sur les droits de l'homme à l’égard des terres agricoles", concluent les auteurs.