Le 13 janvier 2016, le collège des commissaires a tenu un premier débat d’orientation sur l'octroi par l'UE du statut d'économie de marché (SEM) à la Chine. Ce débat a lieu en raison de l'expiration, en décembre 2016, de certaines dispositions du protocole d'adhésion de la Chine à l'OMC.
Dans une fiche d’information publiée à l’issue de la réunion, la Commission indique que les discussions du collège ont porté sur toutes les implications liées à cette question, en particulier l'impact potentiel sur l'emploi en Europe. "Aucune décision n'a été encore prise, et la Commission continuera de développer les options pour la voie à suivre dans cette affaire", indique la Commission dans son document.
La Commission indique également être en train d’ "évaluer attentivement l'impact potentiel de tout changement dans la méthode de calcul des droits antidumping" sur les produits chinois sous l’effet de l’octroi à la Chine du SEM, en "associant pleinement toutes les parties prenantes - y compris l'industrie". Et de souligner que cette évaluation prendra du temps, car elle couvrira "tous les secteurs concernés et tous les États membres". "L'objectif du débat d'orientation tenu par le Collège aujourd'hui était, par conséquent, de ne pas prendre une décision formelle sur ce sujet à ce stade précoce, mais d'avoir une discussion ouverte sur la voie à suivre", lit-on dans la fiche d’information.
"Il n'y a pas de définition commune à l'OMC de ‘statut d'économie de marché’", note encore la Commission, soulignant que la manière dont un membre accorde ce statut à un pays donné dépendait des règles et procédures internes de celui-ci. "Cela vaut également pour l'UE", signale la Commission.
La Chine est membre de l'OMC depuis le 11 décembre 2001. A ce moment, la possibilité de traiter la Chine comme une "économie en transition" dans les enquêtes en matière de défense commerciale pendant 15 années au maximum avait été adoptée et inscrite dans le protocole d'adhésion de la Chine à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) signé en 2001, si bien que cette possibilité arrive à échéance cette année, et plus précisément le 11 décembre 2016.
L'octroi à la Chine, par ses partenaires commerciaux, du statut d'économie de marché devrait rendre plus difficile à ceux-ci le lancement d’enquêtes en matière de défense commerciale, alors que la Chine est aujourd'hui la cible de près de la moitié des enquêtes lancées par l'UE à l'encontre de pratiques commerciales "déloyales" hors de ses frontières. Pékin est en outre ciblé par 52 mesures anti-dumping de l’UE, couvrant 1,38 % des importations européennes de Chine.
Dans le cadre de ces enquêtes (antidumping et antisubventions) les autorités doivent utiliser les prix et les coûts communiqués par les sociétés concernées pour établir l'existence d'un dumping ou de subventions. Dans le cas où la Chine deviendrait un pays à économie de marché, les prix et les coûts chinois seraient utilisés pour la branche de production faisant l'objet de l'enquête pour déterminer la comparabilité des prix. Dans le cas des économies en transition, dont fait actuellement partie la Chine, il est présumé que les prix et les coûts sont soumis à l'influence des États, si bien que les autorités chargées de l'enquête utilisent, conformément aux règles de l’OMC, les prix et les coûts de sociétés d'un pays tiers à économie de marché (un "pays analogue"), et non les prix et les coûts "intérieurs".
L'octroi de ce statut modifierait ainsi la méthode de calcul utilisée pour évaluer d'éventuelles ventes à prix de dumping des producteurs chinois et "réduirait considérablement les marges de dumping pour définir des taxes décidées dans le cadre de recours antidumping par les producteurs des pays partenaires de la Chine", comme l'indique l’Agence Europe dans son édition du 13 janvier 2016.
Dans ce contexte, selon une étude réalisée en septembre 2015 par le groupe de réflexion européen Economic Policy Institute, l'octroi par l'UE du statut d'économie de marché à la Chine provoquerait en effet une baisse de 1 à 2 % du PIB de l’UE (par rapport à 2011, la production annuelle de référence) et menacerait 1,7 à 3,5 millions d'emplois en Europe.
La Commission indique par ailleurs que plus de 250 000 postes de travail dans les industries européennes qui sont "directement concernés par les mesures contre le dumping chinois".
La perspective que l'UE octroie le statut d'économie de marché à la Chine a ainsi suscité une levée de boucliers d’une partie de l’industrie (en particulier les secteurs de l'acier, de la céramique, du textile et de l'énergie solaire) et des organisations syndicales européennes au cours des derniers mois.
Dans un communiqué diffusé le 11 janvier, la Confédération européenne des syndicats (CES) a insisté sur le risque qu’encourraient l’industrie et l’emploi européens. "L’UE a adopté des critères précis pour le statut d’économie de marché", a ainsi déclaré Luca Visentini, le secrétaire général de la CES, "et la Chine n’y répond pas".
Pour mémoire, en 2008, dans un document de travail sur les progrès réalisés par la Chine pour être qualifiée d’économie de marché, l’UE avait défini cinq critères techniques qui permettent de définir une économie de marché et visent à déterminer si les conditions économiques dans le pays concerné ont évolué, de sorte que les prix et les coûts puissent être utilisés de façon fiable aux fins des enquêtes en matière de défense commerciale. Pour obtenir techniquement le SEM dans le cadre de ces enquêtes, les cinq critères doivent être satisfaits. Ces critères stipulent que le pays doit démontrer :
De plus, selon la CES, lui accorder un tel statut exposerait l’UE à un flot continu de marchandises chinoises à bas prix sur notre marché, ce qui "une catastrophe" pour le secteur manufacturier et l’emploi en Europe. "Les principales industries européennes seront notamment confrontées à des pratiques commerciales déloyales : l’efficacité du système de défense commerciale de l’UE se verra compromise et le marché européen sera exposé au dumping sans limite de la Chine", indique la CES dans une résolution adoptée le même jour.
"La Chine ne reconnaît pas le droit à la négociation collective et les décisions y sont prises de façon centralisée. Elle n’est en aucune manière une économie de marché et ne peut donc prétendre aux privilèges qui y sont associés.", a encore dit Luca Visentini. A ce sujet, dans sa résolution, la CES attire l’attention sur le fait que, pour accorder le SEM à un pays, le ministère du Commerce des États-Unis examine "dans quelle mesure les taux de salaire [...] sont déterminés par des négociations libres entre les syndicats et le patronat", un critère qui n’est pas pris en compte dans l’approche de l’UE.
"Ce serait une grave erreur de la part de l’UE de se soumettre aux pressions allant dans ce sens en échange de concessions dans le contexte des négociations du traité bilatéral d’investissement qui pourrait bien s’avérer illusoire", a conclu Luca Visentini.
Dans un communiqué diffusé le 12 janvier, l'association européenne des producteurs d'acier, Eurofer, appelle les décideurs politiques à "mener une évaluation rigoureuse, transparente et exhaustive" de l’impact qu’aurait l’octroi du SEM à la Chine en termes d’emplois, de croissance et de perspectives d'investissement de l'UE.
Elle estime que la Chine ne répond, à ce stade, qu'à un seul des cinq critères établis par l'UE pour définir comment le pays pourrait être considéré comme une économie de marché, si bien qu’elle ne peut pas encore être considérée comme une économie de marché.
"Si le statut d'économie de marché devait être octroyé à la Chine, les mesures antidumping, qui protègent des centaines de milliers d'emplois de l'UE contre la concurrence déloyale chinoise dans toute une gamme d'industries stratégiques, deviendraient inefficaces. D'autres mesures de défense commerciale de l'UE sont soit en panne, soit insuffisantes pour se défendre contre la marée montante des produits chinois de dumping, en particulier l'acier", a mis en garde l’association.
Dans son communiqué, Eurofer insiste également sur le fait que les surcapacités chinoises de production d'acier atteignent près de 400 millions de tonnes - soit plus du double de la production d'acier de l'UE (170 millions de tonnes) – et que les volumes d'importation d'acier chinois dans l'UE ont doublé depuis la mi-2014, avec un effondrement des prix de près de 40 %. Ainsi, l’octroi du SEM à la Chine viendrait aggraver les conditions de marché dans l'UE, "déjà désastreuses" en raison du dumping chinois, et menacerait la totalité des 330 000 emplois dans le secteur européen de l'acier.
Pour mémoire, le 9 novembre 2015, lors d’une réunion extraordinaire du Conseil Compétitivité organisée sous Présidence luxembourgeoise, les ministres de l’UE en charge de la Compétitivité avaient déjà fait état de la gravité de la situation de l’industrie sidérurgique et du besoin de prendre des mesures qui assureront la pérennité du secteur européen de l’acier.
Dans un communiqué de presse diffusé le 12 janvier, l'association européenne AEGIS, qui représente 30 secteurs manufacturiers, a elle aussi mis en avant "l’immense impact négatif sur l’industrie européenne" de l’octroi du SEM à Pékin. "Le modèle économique agressif de Pékin orienté sur l’exportation encourage les entreprises à faire du dumping sur les marchés étrangers, ainsi que de favoriser la manipulation de change financière et monétaire pour soutenir l’économie chinoise", estime Milan Nitzschke, porte-parole de l’association.
L’association patronale européenne BusinessEurope avait, dans un communiqué diffusé le 15 décembre 2015, mis en avant "les préoccupations profondes parmi une grande partie de le communauté des entreprises européennes en ce qui concerne les implications sur les procédures européennes antidumping et sur la compétitivité industrielle". Elle estime qu’il n’y a "pas d’obligation d'accorder automatiquement le SEM à la Chine" et que la question du statut devrait être traitée conformément aux règles de l'OMC et de l'UE et "être basée sur ses propres mérites"
Business Europe a également souligné la nécessité pour l'UE de coordonner et de tenir compte des positions des autres membres principaux de l'OMC tels que les Etats-Unis.
Et de souligner toutefois que la Chine est un "partenaire commercial majeur de l'UE" et que "nos relations bilatérales sont très importantes à la fois en termes de commerce que d’investissements".
L’association des industries céramiques européennes (Cerame-Unie) avait elle aussi fait part de ses préoccupations, dans un communiqué de presse diffusé le 14 décembre 2015.