Dans le contexte du lancement du Semestre européen 2016, la Chambre des salariés (CSL) avait convié la presse le 7 janvier 2016 à Luxembourg afin de présenter son analyse des premiers documents publiés par la Commission européenne en novembre 2015 pour démarrer le nouveau cycle annuel de coordination des politiques européennes.
Pour rappel, le Semestre européen est le cycle annuel d’orientation et de surveillance des politiques européennes (économiques, budgétaires et structurelles) au bout duquel l’Union européenne (UE) formule des recommandations aux États membres et contrôle la mise en œuvre au plan national de celles-ci.
La première étape de ce cycle se conclut par la publication au mois de novembre précédant l’année visée de l’Examen annuel de la croissance (économique en Europe) – EAC, du Rapport sur le mécanisme d’alerte – RMA (dans le cadre de la procédure sur les déséquilibres macroéconomiques – PDM) et du Rapport conjoint sur l’emploi (et la société en Europe) – RCE. Ce sont ces trois documents qui ont fait l’objet de l’analyse de la CSL.
Dans sa note intitulée : "Semestre européen 2016 : le long et difficile chemin vers le triple A social", la Chambre des salariés revient sur les principales conclusions de l’Examen annuel de la croissance réalisé par la Commission européenne. Elle y juge notamment que l’économie de l’UE connaît une légère reprise, mais que celle-ci reprise profite de facteurs positifs temporaires comme les prix bas du pétrole, un euro relativement faible et des politiques monétaires accommodantes. Le chômage pour sa part recule dans l’UE selon l’institution qui relève néanmoins qu’il reste "à un niveau historiquement haut", la Commission s’inquiétant par ailleurs dans son rapport de niveaux d’endettement élevés qui pénalisent l’investissement.
Dès lors, les recommandations de la Commission, d’ailleurs "identiques à celles de l’année précédente", selon Sylvain Hoffmann, directeur adjoint de la CSL, portent sur trois éléments : la relance de l’investissement, la poursuite des réformes structurelles (qui peuvent désormais être conditionnées à l’octroi de certains fonds structurels) et la réalisation de politiques budgétaires responsables, c’est-à-dire en équilibre.
Dans ce contexte, le Luxembourg "reste un élève modèle", a indiqué Sylvain Hoffmann. Il a ainsi souligné que le Luxembourg, contrairement à 18 Etats membres, ne faisait pas l’objet d’un bilan approfondi et que, par ailleurs, le budget du pays avait été approuvé par la Commission. Le Rapport sur le mécanisme d’alerte met pour sa part en évidence un environnement économique en "amélioration progressive" ainsi que des "risques réduits", a-t-il poursuivi.
Néanmoins, ces bons résultats dans les volets économique et budgétaire ne se reflètent pas dans le volet social, dont les indicateurs ne sont d’ailleurs "pas aussi contraignants" que les indicateurs économiques puisque les déséquilibres constatés ne peuvent pas donner lieu à des sanctions, a regretté le responsable de la CSL. Ainsi, en termes d’inégalités, si le Luxembourg reste légèrement en dessous de la moyenne européenne, il est l’un des Etats membres à voir les inégalités progresser le plus fortement, le Rapport conjoint sur l’emploi relevant "des problèmes à surveiller" au Luxembourg dans ce contexte.
Concernant la pression fiscale sur le revenu du travail, le Rapport conjoint sur l’emploi relève "des augmentations relativement fortes" les 4 dernières années au Luxembourg pour les salaires moyens et inférieurs. "Ces tendances sont un sujet de préoccupation, compte tenu des taux de chômage toujours élevés dans de nombreux États membres", lit-on dans le rapport qui ajoute que "des réductions de la pression fiscale, financées de manière adéquate, se traduiraient par une augmentation de la demande et de la croissance, favoriseraient la création d’emplois et contribueraient au bon fonctionnement de l’UEM". Selon la CSL, la réforme fiscale planifiée au Grand-Duché sera l’occasion de revenir sur ces augmentations, a dit Sylvain Hoffmann.
En termes d’emploi et de situation sociale, si la Commission constate une amélioration lente malgré des disparités persistantes entre Etats membres, ainsi qu’une tendance à la baisse du chômage, celui-ci reste à des niveaux très élevés, une douzaine de pays affichant des taux supérieurs à 10 %. C’est également le cas pour le chômage des jeunes qui se maintient à des niveaux encore plus importants (plus de 20 %) tandis que le chômage à longue durée progresse. Dans ce contexte, alors que dès 2011, le chômage aux Etats-Unis a diminué, dans l’UE il "stagne" à des niveaux élevés, a relevé Sylvain Hoffmann qui a noté que selon les économistes qui réalisent l’Examen annuel de la croissance indépendant (iAGS), il faudra à ce rythme attendre 2022 pour revenir aux niveaux d’avant-crise.
Le responsable de la CSL a par ailleurs tenu à mettre en avant l’importance de la qualité de l’emploi, alors que les chiffres montrent notamment une progression des emplois à temps partiel involontaires dans l’UE. "Il y a une tendance croissante au sous-emploi", a-t-il poursuivi, notant que si le Luxembourg faisait mieux que la moyenne européenne, cette tendance y était néanmoins identique. De même, le nombre de personnes à la recherche d’un second emploi, bien qu’il reste à des niveaux faibles (4,1 % dans l’UE et 3,2 % au Luxembourg), progresse aussi.
Dans ce contexte, la CSL s’est par ailleurs interrogée sur le lien entre réformes structurelles et taux de chômage, alors que la Commission considère que les premières favorisent la réduction du second. En se basant sur les chiffres publiés par les économistes de l’iAGS, Sylvain Hoffmann a souligné que les réformes structurelles, qui consistent principalement à flexibiliser le marché du travail, à diminuer l’imposition sur le travail, et à s’assurer que les prestations sociales ne sont pas trop attractives, avaient plutôt l’effet inverse. "On voit que les pays qui ont fait le moins de réformes au sens de la Commission sont ceux qui ont les niveaux de chômage les plus bas", a dit Sylvain Hoffmann pour qui il n’y a donc pas de corrélation, même s’il reconnaît l’existence d’autres facteurs explicatifs.
La CSL regrette que l’UE continue à prôner une stratégie de désinflation compétitive par les salaires, l’impôt et la flexibilisation de l’emploi avec pour objectif de renforcer la compétitivité des exportations européennes. Elle estime que l’état actuel de l’UE ne fait que confirmer l’échec de la politique européenne de désinflation compétitive et que c’est précisément "la poursuite incessante de réponses politiques inadaptées sur le plan européen" qui a entravé la reprise économique après la crise. "Elles maintiennent le chômage à un taux élevé et ont provoqué une augmentation de la pauvreté, contribuant ainsi à la désagrégation et à la fracture sociales en Europe", explique la CSL dans sa note. "Une des leçons de la crise que nous continuons de subir est bien qu’un modèle de croissance orienté sur les profits, la ‘compétitivité’ des salaires et, par conséquent, l’endettement des ménages n’est pas durable", signale encore la CSL.
Dans ce contexte, Sylvain Hoffmann estime que la Commission prône des réformes structurelles "de détérioration" plutôt que "de modernisation". A ses yeux, un changement de stratégie macroéconomique serait essentiel.
Dans sa note, la CSL plaide ainsi pour la mise en place de mesures concrètes, notamment des politiques contra-cycliques s’appuyant sur le renforcement des investissements, ainsi que sur la stimulation de la demande intérieure. Cette dernière résulte selon lui non seulement des investissements, mais aussi de la consommation, et donc des salaires. D’où l’importance, selon Sylvain Hoffmann, de surveiller l’évolution des salaires réels par rapport à la productivité.
Pour ce qui est des investissements, la CSL relève d’ailleurs que "là où l’Europe avait investi en moyenne 22 % de son PIB de 2004 à 2008, le niveau de 2014 n’est plus que de 19,5 %". Par ailleurs relève la CSL, la reprise actuelle de l’investissement au sein de la zone euro présente un moindre dynamisme par rapport à l’ensemble des reprises observées par le passé, "où il n’y avait pas de Pacte de stabilité et de croissance ni les règles budgétaires actuelles", a dit Sylvain Hoffman. Par ailleurs, la tendance constatée chez les ménages à diminuer l’épargne et les investissements, et donc à consommer toujours plus leurs revenus, pèse également sur l’investissement en raison des craintes des entreprises sur la demande future. "On voit d’un côté une incapacité des ménages et des entreprises à investir, et de l’autre un freinage des investissements publics en raison des carcans que l’on s’est imposés nous-mêmes", a-t-il dit.
La CSL plaide donc dans ce contexte pour la mise en place d’une "véritable règle d’or des finances publiques qui exclue l’investissement public du calcul des déficits".
Enfin, Sylvain Hoffmann a souligné la nécessité de mettre la dimension sociale au cœur de la gouvernance européenne, en donnant aux indicateurs sociaux le même poids qu’aux indicateurs économiques.
En faisant le bilan de l’année 2015, Jean-Claude Reding, président de la CSL, a indiqué que celle-ci avait été "difficile" au niveau européen. S’il a salué le travail de la Présidence luxembourgeoise du Conseil de l’UE, il a néanmoins souligné que celle-ci n’avait pas permis d’effacer "les problèmes de fonds" qui existent au niveau européen. "Il y a de nombreux défis qui ne sont pas pris au sérieux", a-t-il regretté, en évoquant la politique européenne industrielle et celle énergétique.
Pour ce qui est de cette dernière, le président de la CSL a souligné la nécessité de réfléchir à la manière dont la transition énergétique est organisée. Il a cité l’exemple de la Pologne, où l’industrie charbonnière pourvoit des milliers de postes de travail, soulignant l’importance de tenir compte de la manière dont la transition énergétique affecte les travailleurs et les régions concernés.
Pour Jean-Claude Reding, "l’Europe traverse trois crises dont elle ne parvient pas à trouver l’issue", à savoir une crise politique, économique et sociale. La crise politique consiste selon lui dans le fait qu’ "il n’y a plus de consensus quant aux valeurs fondamentales de l’UE et au chemin que doit prendre la construction européenne". La crise économique réside quant à elle dans le fait que la crise de 2008-2010 n’a pas encore été surmontée.
"La crise sociale s’est aggravée", a-t-il poursuivi. S’il a salué la diminution du taux de chômage dans l’UE, il a toutefois insisté sur le fait que ces chiffres doivent être analysés "avec beaucoup de prudence", car à ses yeux, ceux-ci ne reflètent pas la qualité des emplois occupés. "La diminution du chômage ne doit pas se produire via la précarisation des salariés", a-t-il souligné. Et de rappeler que dans certains pays, par exemple les pays baltiques et l’Espagne, la diminution du chômage était liée à l’émigration de nombreuses personnes. Enfin, il a signalé que le nombre d’emplois dans l’UE ne correspond pas aux niveaux de pré-crise.
Face à l’augmentation des inégalités au sein de l’UE, Jean-Claude Reding a plaidé pour la mise en place d’un salaire minimum européen, qui pourrait correspondre à deux tiers du revenu médian dans chaque pays. Il a en outre plaidé pour le maintien de conventions collectives fortes, regrettant que celles-ci soient "affaiblies" au niveau de l’UE.
Enfin, Jean-Claude Reding a plaidé pour une protection de l’emploi plus forte, ainsi que pour le maintien "à un bon niveau" du système de sécurité sociale.