Le 21 janvier 2016, le Parlement européen réuni en session plénière a adopté, par 406 voix pour, 212 contre et 51 abstentions, une résolution au sein de laquelle il s’est penché sur les implications de la décision sans précédent de la France d'invoquer la clause d’assistance mutuelle du traité de l'UE, en présence de Federica Mogherini, Haut Représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité.
Dans leur résolution, qui a été déposée par les groupes PPE, S&D et ALDE, les eurodéputés estiment que l'activation de cette clause pour la première fois est "une occasion unique d'établir les bases d'une Union européenne de la défense forte et durable". Ils plaident pour un rôle accru des institutions européennes, invitant Federica Mogherini à proposer des modalités pratiques ainsi que des lignes directrices qui pourraient permettre aux institutions européennes de jouer un rôle de facilitateur.
Lors du Conseil "Affaires étrangères" de l’UE en formation Défense du 17 novembre 2015 après les attentats terroristes à Paris, la France avait appelé les États membres de l'UE à lui fournir aide et assistance, y compris l'échange de renseignements, pour lutter contre l'État islamique. Elle avait invoqué l'article 42 (7) du Traité sur l'UE selon lequel "si un État membre est l'objet d'une agression armée sur son territoire, les autres États membres ont envers lui une obligation d'aide et d'assistance par tous les moyens". Paris demandait plus précisément un soutien aux opérations menées par la France en Irak et en Syrie, et un soutien aux opérations menées par la France dans d’autres régions afin de redéployer des troupes françaises si nécessaire.
L’article ne prévoit aucune procédure formelle, comme l’a souligné Federica Mogherini devant les eurodéputés. Il ne requiert pas expressément une assistance de nature militaire et n’entend par ailleurs pas affecter "le caractère spécifique de la politique de sécurité et de défense de certains États membres", ni l'appartenance des pays de l'UE à l'OTAN. Dans ce contexte, depuis sa demande d'assistance invoquée le 17 novembre, la France organise des pourparlers bilatéraux avec les autres États membres afin de savoir quel type d'assistance est possible. Certains pays ont exprimé leur volonté de rejoindre les opérations menées en Syrie et en Irak. D'autres sont prêts à renforcer leur présence dans le cadre de missions internationales, ce qui permettrait aux troupes françaises d'être transférées ailleurs.
A titre d’exemple, le Luxembourg a décidé de porter assistance à la France en envoyant un militaire supplémentaire au sein de la mission de formation militaire de l’UE EUTM Mali, en offrant à Paris des capacités de transport stratégique, et en apportant des contributions financières en faveur du renforcement de l’armée malienne et pour la lutte contre l’extrémisme.
Pour ce qui est du rôle de l’UE, le type d'assistance requis étant convenu entre les États à un niveau bilatéral, le rôle de l'Union européenne est plutôt limité, note le Parlement européen dans une fiche d’information sur la clause de défense mutuelle. "Pourtant, l'Union pourrait faciliter et coordonner le processus", lit-on encore.
Dans leur rapport, les députés se félicitent de l'appui unanime apporté à la France par tous les États membres de l'UE et les encouragent à continuer à contribuer aussi longtemps que nécessaire.
Ils estiment néanmoins que gérer de façon bilatérale l'aide et l'assistance de la clause de défense mutuelle, comme cela a été fait jusqu'à présent, ne sera pas possible pour tous les États membres. D’où la nécessité, selon les eurodéputés, que les États membres utilisent le plein potentiel des institutions de l'UE en tant que facilitateurs.
Regrettant que le manque de lignes directrices sur la façon dont la clause de défense mutuelle doit fonctionner ait incité les États membres à prendre des mesures ad hoc, ils demandent à Federica Mogherini de proposer "des modalités pratiques et des lignes directrices" pour assurer une réponse collective efficace dans de futures circonstances similaires.
L'activation de la clause de défense mutuelle est "une occasion unique d'établir les bases d'une Union européenne de la défense forte et durable [...] prête à affronter les énormes menaces et enjeux de sécurité intérieure et extérieure", souligne la résolution.
Les députés invitent les États membres de l'UE à chercher des moyens pour construire une coopération plus efficace entre les agences de gestion des frontières, la police et d'autres services répressifs et améliorer l'échange de renseignements sur la circulation des armes, des explosifs et des suspects terroristes. Ils suggèrent également la mise en place d'un quartier général civil et militaire permanent aux niveaux stratégique et opérationnel. Cette structure devrait être chargée de la planification des mesures d'urgence stratégiques et opérationnelles, notamment pour ce qui est de la défense collective prévue à l'article 42, paragraphes 2 et 7 du traité UE et de l'application future de ces articles en étroite coopération avec les structures correspondantes de l'OTAN.
"Les attentats de Paris ont montré d’une façon horrible que les frontières entre sécurité et défense intérieures et extérieures deviennent floues", a indiqué l’eurodéputé Michael Gahler, porte-parole du PPE pour la sécurité et la défense, selon ses propos repris dans un communiqué de presse. D’où l’importance selon lui d’utiliser dans l’UE les possibilités contractuelles de coopération en la matière.
L’eurodéputé estime qu’avec l'activation pour la première fois de la clause de défense mutuelle, la France a souligné "une fois de plus" la nécessité d'une discussion sur la politique étrangère, de sécurité et de défense européenne qui soit axée sur les résultats. "Les États membres doivent enfin parvenir à un échange structuré et à une coopération opérationnelle renforcée entre les organismes de contrôle des frontières, la police et les services secrets", a souligné Michael Gahler.
Et d’évoquer le soutien de son groupe su concept de défense commune européenne. "La Commission européenne et les États membres doivent activer le potentiel de défense inutilisé du traité de Lisbonne dès maintenant, afin que nous ne dépendions plus de mesures ad-hoc", a-t-il souligné.
Au nom du groupe S&D, l’eurodéputé Gilles Pargneaux a souligné, dans ses propos repris dans un communiqué de presse, que le développement de "guerres asymétriques" impose de relancer l’Europe de la défense car "l'Europe ne peut pas se reposer seulement sur un pays comme la France, et la France ne pourra pas raisonnablement s'occuper seule de la sécurité de l'Europe". Les eurodéputés socialistes estiment que l’élaboration, à l’horizon de juin 2016, de la Stratégie globale de la politique étrangère et de sécurité de l’UE doit permettre de repenser la politique de sécurité et de défense. "C'est uniquement par plus d'Europe que nous arriverons à mater et à combattre ces terrorismes", a encore déclaré Gilles Pargneaux.
Au nom du groupe ECR, qui s’est opposé à la résolution adoptée par le Parlement européen, l’eurodéputé Geoffrey Van Orden, porte-parole de son groupe pour la sécurité et la défense, dénonce "une utilisation détournée" de la situation par ceux qui veulent faire pression pour la création d’une armée européenne. "Nous avons longtemps mis en garde contre les dangers des ambitions de défense de l'UE qui ne peuvent être réalisés qu’au détriment de notre souveraineté nationale et de l'alliance vitale de l’OTAN", a-t-il déclaré. Estimant que l’UE n’a pas "les capacités crédibles" de répondre à l’activation de la clause de défense mutuelle, il souligne que celle-ci constitue presque une copie intégrale de l’Article 5 de l’OTAN. "22 Etats membres de l’UE sont membres de l’OTAN, et les autres ont participé d’une manière ou d’une autre aux activités de l’OTAN", si bien qu’ "il n’y a pas d’excuse pour cette action", a-t-il souligné.
"Quand la France a invoqué pour la première fois la clause de défense mutuelle, tout le monde a été surpris parce que nous ne disposons pas de directives ou de dispositions pratiques pour garantir une réponse adéquate à cette demande", a déclaré l’eurodéputé Guy Verhofstadt au nom du groupe ALDE, une situation qu’il juge "inacceptable". Rappelant que son groupe politique avait proposé en juin 2015 la création d'une Union européenne de défense, assortie d'une feuille de route relative à des forces militaires intégrées (une armée européenne) d’ici 2025, l’eurodéputé a souligné l’importance que cette UE de défense devienne "un pilier européen intégré de l'OTAN" afin de renforcer la défense du territoire de l'UE complémentaire à l'OTAN et de permettre à l'UE d'agir de manière autonome dans des opérations à l'étranger, "en particulier quand il s'agit de la stabilisation de notre voisinage".
Dans une proposition de résolution qui n’a pas été retenue par les eurodéputés, le groupe GUE/NGL, rejette et dénonce l'application de la clause de défense mutuelle "qui fait de l'Union européenne une alliance militaire" et prévient que "le recours à cette disposition ne saurait constituer un précédent". Il "réfute vivement" l'interprétation selon laquelle l'article constitue une obligation de soutenir militairement la France et souligne qu'aucune opération militaire n'a jamais contenu ni arrêté le terrorisme. Le groupe GUE/NGL exige le réexamen complet de la politique étrangère de l'Union, qui devrait exclure toute intervention et mesure militaires et devrait uniquement prévoir des mesures civiles, la réduction de la pauvreté et la lutte contre ses causes profondes, le développement social et économique ainsi qu'une coopération équilibrée.
De son côté, le groupe des Verts/ALE avait exprimé dans une proposition de résolution son inquiétude quant à la nature purement militaire de la réponse à l'activation de l'article 42, paragraphe 7. Il avait également pointé "le caractère très fortement bilatéral" de la stratégie actuelle, qui à leurs yeux, affaiblit les institutions, instruments, principes et valeurs communs de l'Union. Et d’appeler le Conseil et les États membres à élaborer et à adopter au plus vite un cadre politique qui permette d'orienter la mise en œuvre de l'article en question. "Toutes les actions nationales, bilatérales et multilatérales entreprises à la suite de l'activation de l'article 42, paragraphe 7, devraient être notifiées au Conseil et simultanément rendues publiques", peut-on encore lire dans le texte. Le groupe des Verts/ALE plaide pour l'utilisation future de la clause de solidarité visée à l'article 222 du traité FUE plutôt que l'utilisation de la clause d'assistance mutuelle visée à l'article 42, paragraphe 7, "dès lors que l'article 222 du traité FUE prévoit une réponse spécifique aux menaces terroristes et au manque de coopération et de coordination entre les services répressifs nationaux en Europe".