Le Comité économique et social (CES) a organisé le 25 janvier 2016 la première réunion inaugurant le "dialogue social annuel sur le semestre européen", cycle annuel de concertation régulière entre le gouvernement et les partenaires sociaux représentatifs sur le plan national portant sur le semestre européen.
Ce fut l’occasion pour les parties prenantes, gouvernements, syndicats et patronat, de présenter leurs positions respectives, disponibles sur le site internet du CES.
La note présentée lors de la réunion au CES par l’Union des entreprises luxembourgeoises (UEL) présente la situation économique de la zone euro et du Luxembourg, les "défis classiques" du Luxembourg et les enjeux qui se présentent au Grand-Duché. Europaforum.lu a traité des positions du gouvernement et des syndicats OGBL, LCGB et CGFP dans deux autres articles distincts.
En introduction, l’UEL souligne que les problèmes qu’elle a mis en avant il y a un an "restent presque identiques". Pour le patronat, il est "essentiel, voire existentiel pour un petit pays comme le nôtre qui doit toute sa stabilité économique et sociale à l’ouverture des marchés, d’être un élève modèle dans sa zone monétaire". "A défaut de structures économiques sur-performantes et de comptes publics solides et soutenables, le Luxembourg perdrait très vite sa capacité à attirer les investissements et, du même coup, verrait sa performance économique et son capital politique réduit au niveau de ses dimensions démographiques", met en garde l’UEL, qui souligne également que dans son examen annuel de la croissance 2016, la Commission européenne rappelle l’importance stratégique de la convergence économique pour soutenir l’investissement, l'emploi et la croissance. Dans ce contexte, l’UEL appelle à "investir dans les infrastructures matérielles et immatérielles comme dans le capital humain, attaquer les réformes structurelles afin de moderniser nos économies et rechercher sans cesse une productivité plus élevée afin d’asseoir la croissance sur un pilier qualitatif".
L’UEL décrit une situation économique de la zone euro qui ne s’est que peu améliorée, et attribue cela aux réformes du marché du travail qui ne sont introduites "qu’à des doses homéopathiques" et à un marché unique qui "reste à approfondir".
Selon les prévisions d’automne 2015 de la Commission européenne, la zone euro connaîtra une croissance limitée à 1,8 % en 2016, contre 2,8 % aux Etats-Unis, rappelle l’UEL, le PIB en volume de la zone euro n’aura augmenté que de 2,5 % de 2007 (dernière année "avant crise") à 2016 contre quelque 13 % aux Etats‐Unis. Sur la même période, l’emploi total se sera réduit à raison de 500 000 unités en zone euro, alors qu’il aura augmenté à concurrence de 4,5 millions aux Etats‐Unis.
L’UEL rappelle également que la croissance du PIB en 2015 a été de 3,1 % au Luxembourg, selon les données de la Commission européenne – à comparer à 1,6 % pour la zone euro dans son ensemble. L’UEL souligne que "le Luxembourg se permet depuis une décennie cette croissance spectaculaire sans gain de productivité". L’UEL regrette de ne pas avoir trouvé d’interlocuteurs pour parler de la productivité, ni de son lien avec l’évolution salariale. "C’est manifestement un sujet qui fâche", indique-t-elle.
En effet, pour le patronat, ces chiffres cachent le fait que le niveau de productivité d’avant-crise n’a toujours pas été retrouvé. Et de plus, ce "décrochage de la productivité" est couplé à une augmentation constante des salaires et des emplois.
L’UEL souligne que ces dernières années, la croissance de l’emploi a surtout été soutenue par la création d’emplois dans le secteur non marchand (administration publique, enseignement, santé et action sociale) où le nombre de salariés est passé de quelque 60 000 en 2007 à 81 000 en 2014, alors que celui du secteur marchand est passé pendant la même période de 273 000 à 314 000 salariés.
Ainsi, l’emploi non marchand connaît une progression annuelle plus forte de l’ordre de 4,3 % et celle du secteur marchand n’est que de 2 %, "sachant qu’il revient aux activités économiques marchandes de financer les emplois du secteur non marchand". La conséquence en est un recul du revenu moyen par habitant, souligne le patronat.
Pour le patronat, le Luxembourg doit impérativement avoir une stratégie de développement compétitif s’appuyant non seulement sur la compétitivité-coût, mais également sur des éléments hors coût. Ainsi, pour ce qui est de la compétitivité hors coût, il est nécessaire d’accroître l’effort de recherche, de combattre les réglementations paralysantes, d’accélérer la simplification administrative et d’améliorer le système d’éducation, de formation et d’apprentissage, souligne-t-il.
L’UEL évoque aussi la formation des salaires au Luxembourg, qui est largement dominée par des automatismes, en premier lieu l’échelle mobile ou la fixation du salaire social minimum (SSM). "Ces automatismes et le niveau du SSM qui sont uniques en Europe défavorisent l’insertion professionnelle des peu qualifiés et des jeunes, dont la productivité tend à être inférieure au SSM au début de leur carrière. Il est dommage de mettre précisément "hors-jeu" les franges les plus vulnérables de notre société", note le patronat luxembourgeois.
Pour le patronat, la résultante de ces deux mouvements, (le décrochage de la productivité et la part des salaires rigidifiés par des automatismes), est "une dérive marquée de nos coûts salariaux unitaires (CSU)".
L’UEL souligne également qu’il n’est pas facile de vivre avec un SSM au Luxembourg. L’une des raisons en est le prix du logement qui a continué à progresser de manière soutenue, en raison d’une demande de logements nettement et systématiquement supérieure à l’offre.
Enfin, pour le patronat, le "paradoxe de l’emploi luxembourgeois demeure : une progression de l’emploi supérieure à 2 % l’an dans les secteurs marchands s’accompagne d’une stagnation du chômage". L’UEL attribue les succès récents sur le front du chômage à la conjoncture générale, la réorganisation de l’ADEM et une collaboration plus poussée entre l’ADEM et les entreprises, comportant une augmentation du nombre total de recrutement des entreprises via l’ADEM.
En 2015, l’UEL parlait d’une détérioration à long terme des finances publiques luxembourgeoises. Si la situation n’a pas changé en un an, mais ne s’est pas détériorée non plus, c’est davantage grâce à la croissance de l’emploi qu’aux premiers résultats du "Zukunftspak", note le patronat luxembourgeois, qui relève par ailleurs que l’excédent de nos finances publiques en 2014 s’explique exclusivement par un surplus temporaire et assez artificiel de notre régime de pension.
Mais selon le patronat, le vrai défi des finances publiques au Luxembourg se situe au niveau des dépenses qui sont, par résident, "bien plus élevées pour la plupart des fonctions de l’Etat que dans tous les autres pays de l’UE". La marge de manœuvre du Luxembourg en matière fiscale est donc bien réduite, regrette l’UEL, ajoutant que la fiscalité au Luxembourg, notamment dans le chef des entreprises, est loin d’être aussi avantageuse que ne l’affirment certaines voix dans le pays.
Le patronat luxembourgeois invite vivement le gouvernement à accompagner les mesures d’uniformatisation de l’assiette par une politique volontaire de réduction du taux. "A défaut d’annonce d’une baisse significative et concrète des taux, notre pays perdra inévitablement du terrain et risque qu’un nombre d’acteurs majeurs se retirent de notre pays avec pour conséquence des déchets fiscaux majeurs", met-il en garde.
D’autre part, le financement de nos prestations sociales par une contribution accrue doit à tout prix être évité, note encore l’UEL.
L’UEL salue les importants investissements publics prévus sur l’horizon 2015-2018 (budget pluriannuel) qui, selon elle, sont en phase avec les vues de la Commission européenne. Elle rappelle également l’idée qu’elle avait émise lors de cette même présentation en 2015 et reprise du Royaume-Uni : une commission indépendante aide à identifier les priorités en matière d’investissements publics sur un horizon dépassant la durée d’une législature (un horizon de l’ordre de 10 ans par exemple). Une telle approche, "concertée avec un aménagement du territoire qui mérite son nom, serait, aux yeux de l’UEL, bien plus en phase avec notre modèle de croissance et donnerait à tous les décideurs, mais aussi au public, une visibilité sur l’évolution future de notre pays".
Dans la dernière partie de son exposé, l’UEL revient sur ce qu’elle considère être les grands enjeux pour le Luxembourg.
L’UEL évoque tout d’abord l’insoutenabilité à terme du modèle de croissance luxembourgeois, qu’elle qualifie de "géant aux pieds d’argile". Pour le patronat, l’Etat a augmenté ses dépenses bien au-delà de la croissance économique et en créant massivement des emplois bien rémunérés dans le secteur non marchand. Par ailleurs, la croissance entraîne inévitablement une consommation toujours plus grande de ressources pourtant limitées, et n’est donc pas soutenable.
Et de citer le rapport de la Commission des Finances et des Budgets qui dit que "pour pérenniser le système actuel, nous sommes condamnés à devoir créer annuellement des milliers d’emplois et d’attirer, de loger, de nourrir, de transporter, etc. des dizaines de milliers de travailleurs résidents ou frontaliers supplémentaires et ceci jusqu’à l’infini, afin de pouvoir garantir le payement des pensions venant à échéance dans quelques années et la promesse de pension donnée aujourd’hui aux jeunes qui viennent de commencer leur carrière."
L’UEL plaide pour une croissance par gains de productivité, comme le seul moyen d’enrichir une population et de générer le progrès social.
Le patronat évoque aussi la révolution technologique qui s’annonce.
Pour faire face à ces défis, il préconise de :
Au sujet de ce nouveau business model qu’est l’économie de partage, caractérisée par "un coût marginal souvent faible, voire nul et donc à moins de croissance en terme de valeur ajoutée" et qui devrait «monter en puissance" dans les années à venir, l’UEL indique qu’il en résultera sans doute une certaine remise à plat du modèle économique - et salarial - dominant. Le Luxembourg doit se préparer de manière proactive à de telles éventualités, en se posant d’ores et déjà des questions fondamentales sur le niveau de notre croissance économique et sur le modèle économique à privilégier.
Enfin, l’UEL note la nécessité de "développer l’esprit d’entreprise", regrettant que le Luxembourg ne soit "pas champion dans cet exercice". La Banque mondiale place le Luxembourg seulement à la 82e place sur 189 selon son indicateur "Starting a business", regrette le patronat. Par ailleurs, selon la Commission européenne, le Luxembourg compte parmi les cinq pays de l’Union européenne dans lesquels l’esprit d’entrepreneuriat est le moins développé.
"Si nous n’arrivons pas à retourner la tendance au Luxembourg, notre seul salut viendra des entreprises étrangères qui continueront à s’installer au Luxembourg à condition que nous sachions encore leur offrir des conditions d’implantations qui seront meilleures que celles qu’elles trouveront autour de nous ou ‐ Internet aidant ‐ sur un autre continent", met en garde l’UEL.