Le 2 mai 2016, l’ONG Greenpeace et le réseau de journalistes d‘investigation "Rechercheverbund" au sein duquel coopèrent les chaînes de télévision régionales allemandes NDR et WDR ainsi que le très réputé quotidien munichois Süddeutsche Zeitung ont publié sous le titre de travail "TTIP-Leak" 248 pages de documents sur 13 chapitres consolidés du TTIP et un rapport tactique faisant état des négociations. Les textes consolidés juxtaposent les positions de l’UE et des USA et montrent où les deux parties se sont rapprochées et où elles doivent encore trouver des compromis et des accords. Sur de nombreux points, les documents révèlent pour la première fois les positions des USA.
Ces documents ne pouvaient jusque-là être consultés que par les négociateurs, les représentants des gouvernements et sous des conditions particulières, par les parlementaires élus, dans des salles de lecture spécialement sécurisées et très vite appelés "chambres noires". Les documents qui ont fuité ont été authentifiés par Greenpeace et le "Rechercheverbund" et ensuite recopiés afin d’éviter qu’avec la publication de leur contenu leur provenance puisse être identifiée. Les documents publiés ne sont donc pas les documents originaux.
Dans sa communication, Greenpeace prône l’arrêt des négociations et un débat sur ce que les documents publiés révéleraient : l’absence de référence à de très anciennes clauses de protection de l’environnement, l’absence de référence à la lutte contre le changement climatique, l’abandon du principe de précaution et la consultation ex ante des secteurs économiques, mais pas de la société civile.
"Aucun accord commercial de l'UE n'abaissera jamais notre niveau de protection des consommateurs, de sécurité alimentaire ou de protection de l'environnement", a affirmé sur son blog la commissaire européenne au Commerce Cecilia Malmström, pour qui "les unes alarmistes" autour des révélations de Greenpeace "ne sont qu’une tempête dans un verre d’eau". "Les accords commerciaux ne changeront pas nos lois sur les OGM ou sur la façon de produire de la viande de bœuf en toute sécurité, ou sur la façon de protéger l'environnement", a-t-elle insisté. "Je ne suis pas de celles qui vont abaisser les normes", a-t-elle ajouté, soulignant que les documents publiés lundi par l'ONG Greenpeace "ne traduisent pas ce qui résultera de la négociation" en cours et regrettant donc "un certain nombre de malentendus". Pour elle, les textes consolidés reflètent des positions, mais pas un résultat, et le fait que les vues entre l’UE et les USA divergent "n’est pas une surprise", puisque les deux parties cherchent à atteindre leurs objectifs respectifs. Cecilia Malmström conteste également que les négociateurs privilégient l’industrie parmi les parties prenantes. Elle a insisté sur le fait que la dernière proposition de l'UE sur la cohérence réglementaire, présentée en février 2016, inclut des références au principe de précaution et met en exergue les procédures de consultation publique bien établies dans l'UE qui sont ouvertes à toutes les parties prenantes. "Nous prenons en compte les exigences de l'industrie, mais aussi celles des syndicats, des groupes de consommateurs ou des organismes de santé ou d'environnement - qui sont tous représentés au sein du groupe consultatif" chargé de conseiller l'équipe de négociation de la Commission, souligne-telle sur son blog.
"Les interprétations faites de ces documents semblent être au mieux trompeuses et au pire totalement erronées", a déclaré un porte-parole de la Représentation américaine au Commerce extérieur (USTR), qui mène les négociations avec la Commission européenne. "Le TTIP préservera, et n'affaiblira pas, nos solides règles de protection des consommateurs, de la santé et de l'environnement et mettra les Etats-Unis et l'UE en position de promouvoir des règles plus solides à travers le monde", a affirmé le porte-parole de l'USTR dans un communiqué cité par l’AFP.
Au Luxembourg, le LSAP, parti gouvernemental, a publié au sujet du TTIP un communiqué intitulé "Sans des améliorations substantielles, il n’y aura pas d’accord". Pour le député socialiste Marc Angel, porte-parole du parti pour la politique étrangère et président de la commission parlementaire des affaires étrangères et européennes, "ces documents montrent clairement que les positions de l’UE et des USA sont encore très éloignées". Le communiqué cite les normes alimentaires, la protection des consommateurs et de l’environnement, tout comme le principe de précaution et la question de la protection des investisseurs et les cours d’arbitrage. Le TTIP-Leak "confirme le LSAP dans sa position qu’il n’y aura de TTIP que si les normes ne sont pas revues à la baisse et que le primat du politique continue de prévaloir". Dans le cas contraire, le LSAP ne soutiendra pas le texte final.
Pour déi gréng, autre parti gouvernemental, le TTIP-Leak confirme "les évaluations et les craintes des Verts". Vu les fortes divergences entre les positions européennes et américaines, le co-président du parti, Christian Kmiotek, estime que "les chances de conclure avec succès les négociations s’amenuisent de semaine en semaine".
La présidente du groupe parlementaire des Verts, Viviane Loschetter, estime que les fuites du 2 mai "prouvent que nos normes en matière de protection des consommateurs, d’environnement et sociale devraient être affaiblies voire contournées". Elle regrette que la Commission n’ait pas encore inscrit le principe de précaution dans les textes, "ce qui est inacceptable pour les Verts".
L’eurodéputé vert luxembourgeois, Claude Turmes, appelle carrément à l‘arrêt immédiat des négociations. "Les documents publiés aujourd’hui confirment nos pires craintes", écrit-il dans un communiqué. Pour lui, les négociateurs états-uniens veulent des tribunaux d’arbitrage privés sans possibilité de recours, influencer le travail législatif de l’UE, et troquer l’accès de denrées américaines sur base d’OGM contre des baisses de tarifs douaniers pour les automobiles européennes. Il reproche aussi à la Commission Juncker de retenir des informations importantes malgré ses promesses sur la transparence. Les compromis visés comportent pour lui le risque de faire prévaloir les intérêts économiques des grands groupes sur la protection des consommateurs et de l’environnement, et ce aux dépens de l’Etat de droit. Bref, "ce serait irresponsable de continuer les négociations sur la base du mandat actuel", de sorte qu’il "appelle la Commission à interrompre immédiatement les négociations".