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Droits fondamentaux, lutte contre la discrimination - Emploi et politique sociale - Marché intérieur
Selon la CJUE, le Royaume-Uni peut exiger que les bénéficiaires des allocations familiales disposent d’un droit de séjour dans cet État dans la mesure où cette différence de traitement est justifiée par un objectif légitime
14-06-2016


Dans un arrêt rendu le 14 juin 2016, une dizaine de jours à peine avant le référendum qui va se tenir au Royaume-Uni sur le maintien du pays dans l’UE, la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) donne raison au Royaume-Uni lorsqu’il exige que les bénéficiaires des allocations familiales et du crédit d’impôt pour enfant disposent d’un droit de séjour dans cet État.

Le recours en manquement formé par la Commission

Le règlement sur la coordination des systèmes de sécurité sociale fixe une série de principes communs que doivent respecter les législations des États membres en la matière, de manière à ce que les différents systèmes nationaux ne désavantagent pas les personnes qui font usage de leur droit de libre circulation et de séjour au sein de l’Union. L’un des principes communs que les États membres doivent respecter est le principe d’égalité. Dans le domaine spécifique de la sécurité sociale, le principe d’égalité se traduit par l’interdiction de toute discrimination fondée sur la nationalité.

La Commission a reçu de nombreuses plaintes émanant de citoyens de l’Union non britanniques qui résident au Royaume-Uni. Ces citoyens ont dénoncé le fait que les autorités britanniques compétentes leur avaient refusé le bénéfice de certaines prestations sociales au motif qu’ils ne jouissaient pas d’un droit de séjour dans ce pays. Estimant que la législation britannique n’est pas conforme aux dispositions du règlement, la Commission a formé un recours en manquement contre le Royaume-Uni. La Commission a relevé en effet que la législation britannique impose de vérifier que les demandeurs de certaines prestations sociales – parmi lesquelles figurent des prestations familiales telles que les allocations familiales et le crédit d’impôt pour enfant, en cause dans la présente affaire – séjournent légalement sur le sol britannique. Selon la Commission, cette condition serait discriminatoire et contraire à l’esprit du règlement, dans la mesure où ce dernier prendrait uniquement en compte la résidence habituelle du demandeur.

Les allocations familiales (« child benefit ») et le crédit d’impôt pour enfant (« child tax credit ») sont des prestations en espèces financées par l’impôt et non par les cotisations des bénéficiaires. Elles ont pour objectif commun de contribuer à couvrir les charges de famille. Pour pouvoir bénéficier de ces prestations, le demandeur doit, selon la législation britannique, se trouver au Royaume-Uni. Cette condition n’est remplie que si le demandeur (a) se trouve physiquement au Royaume-Uni, (b) a sa résidence ordinaire au Royaume-Uni et (c) jouit du droit de séjour dans ce pays.

Face à ces arguments, le Royaume-Uni, qui invoque l’arrêt Brey, soutient que l’État d’accueil peut légitimement exiger que les prestations sociales ne soient octroyées qu’aux citoyens de l’Union qui remplissent les conditions pour disposer d’un droit de séjour sur son sol, ces conditions étant, pour l’essentiel, prévues dans la directive 2004/38/CE. Par ailleurs, bien que reconnaissant que les conditions d’ouverture du droit aux prestations sociales en cause sont remplies plus facilement par ses propres ressortissants (ceux-ci jouissant, par définition, d’un droit de séjour), dans tous les cas la condition relative au droit de séjour est une mesure proportionnée visant à garantir que les prestations sont versées à des personnes suffisamment intégrées au Royaume-Uni.

L’arrêt de la Cour

Dans son arrêt rendu le 14 juin 2016, la Cour rejette le recours de la Commission.

La Cour constate tout d’abord que les prestations en cause sont des prestations de sécurité sociale et entrent ainsi dans le champ d’application du règlement.

Ensuite, la Cour rejette l’argument principal de la Commission selon lequel la législation britannique impose une condition supplémentaire à celle de la résidence habituelle, contenue dans le règlement.

À cet égard, la Cour rappelle que le critère de la résidence habituelle, au sens du règlement, n’est pas une condition nécessaire pour pouvoir bénéficier de prestations, mais une « règle de conflit » qui a pour but d’éviter l’application simultanée de plusieurs législations nationales et d’empêcher que les personnes qui ont exercé leur droit de libre circulation soient privées de protection. Selon la Cour, le règlement n’organise pas un régime commun de sécurité sociale, mais laisse subsister des régimes nationaux distincts. Il ne détermine ainsi pas les conditions de fond de l’existence du droit aux prestations, car il appartient, en principe, à la législation de chaque État membre de déterminer ces conditions. Dans ce cadre, la Cour relève que rien ne s’oppose à ce que l’octroi de prestations sociales à des citoyens de l’Union économiquement non actifs soit subordonné à l’exigence que ceux-ci remplissent les conditions pour disposer d’un droit de séjour légal dans l’État membre d’accueil.

Quant à l’argument subsidiaire de la Commission selon lequel le contrôle du droit de séjour constitue une discrimination, la Cour juge que la condition du droit de séjour au Royaume-Uni crée une inégalité puisque les ressortissants nationaux peuvent la remplir plus aisément que les ressortissants des autres États membres.

Cependant, la Cour considère que cette différence de traitement peut être justifiée par un objectif légitime tel que la nécessité de protéger les finances de l’État membre d’accueil, à condition qu’elle n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif.

À cet égard, la Cour constate que les autorités nationales procèdent à la vérification de la régularité du séjour conformément aux conditions énoncées dans la directive sur la libre circulation des citoyens. Ainsi, ce contrôle n’est pas effectué systématiquement par les autorités britanniques pour chaque demande, mais seulement en cas de doute. Il en résulte que la condition ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif légitime poursuivi par le Royaume-Uni, à savoir la nécessité de protéger ses finances.