Après un débat entre les dirigeants des groupes politiques du Parlement européen, le Président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, et la ministre néerlandaise, Jeanine Hennis-Plasschaert, représentant la présidence tournante du Conseil de l'Union européenne, le Parlement européen a voté le 28 juin 2016 une résolution sur la voie à suivre après le référendum sur la sortie du Royaume-Uni de l’UE. Le texte, qui a été approuvé par 395 voix en faveur, en majorité des députés des groupes PPE, S&D, Libéraux et Verts européens, 200 voix contre, avec 71 abstentions, dit que le Royaume-Uni doit respecter la volonté de la majorité de ses citoyens, entièrement, pleinement et le plus rapidement possible, en se retirant officiellement de l'UE avant que tout accord sur une nouvelle relation ne puisse avoir lieu. Les députés soulignent également le besoin urgent de réformes pour veiller à ce que l'Union soit à la hauteur des attentes de ses citoyens. Le Parlement appelle également à l'annulation de la présidence britannique du Conseil de l'UE en 2017.
Pour le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, "l'expression de la volonté majoritaire des Britanniques demande le respect de tout le monde". Mais comme "expression il y a eu, conséquence il doit y avoir". Jean-Claude Juncker a donc demandé "une clarification non pas immédiate, parce que le système britannique est plus compliqué que nous le pensions, mais dès que possible". Ce qu'il demandera au Premier ministre britannique, car "nous ne pouvons pas nous installer dans une incertitude prolongée". Il a rejeté l’idée "qu'il pourrait y avoir des négociations secrètes, en chambre assombrie, à rideaux tirés, entre des représentations du Royaume-Uni, des gouvernements nationaux, des Commissaires, et des Directeurs généraux" selon le principe : "No notification, no negotiation."
Même si "le vote britannique a coupé certaines de nos nombreuses ailes", a déclaré le président de la Commission, "nous continuons à voler". Il a mis en avant que de nombreux dirigeants dans le monde "sont très inquiets parce qu'ils s'interrogent sur la voie que l'Union européenne va poursuivre", de sorte qu'il "faut rassurer et les Européens et ceux qui nous observent de plus loin". La trajectoire de l’UE mène "vers un objectif prédéterminé par les Traités et par la volonté de nombreux Européens". Ce sont entre autres les dix priorités de la Commission, comme la lutte pour moins de bureaucratie en Europe, pour une Europe sociale qui "va retrouver la place noble en Europe qui lui revient", le dépassement de la seule austérité comme réponse à la crise économique, financière et sociale et la flexibilisation, "mais dans le sens noble du terme, [de] l'interprétation du Pacte de stabilité", le projet sur l'Union de l'énergie pour "nous couper de la dépendance à l'égard de la Russie et sécuriser l'approvisionnement énergétique en Europe" et son agenda numérique.
Pour Jean-Claude Juncker, "le bon sens dicte que nous devons arriver à établir une nouvelle relation avec la Grande-Bretagne". Mais cette nouvelle relation ne dépendra pas seulement des intentions des négociateurs britanniques, mais aussi de ceux de l’UE : "Nous déterminerons l’ordre du jour et non pas ceux qui veulent quitter l’UE." Il faudra œuvrer en faveur de "la revitalisation de l’ambition continentale", "avoir une vue d’ensemble du corps continental", et réaffirmer, "même si cela paraît vieux jeu", que "l’Europe reste un projet de paix", et qu’il ne faut pas commencer à fragmenter l’Europe en petits morceaux, alors qu’elle ne représentera à terme que 4 % de la population mondiale, qu’elle n’est déjà plus la puissance dominante et que sa part dans la production de valeurs ira en diminuant.
"L'Europe doit changer, mais nous voulons l’améliorer et non la détruire", a déclaré Manfred Weber au nom du groupe PPE. "Les politiciens qui se sont battus pour le Brexit avaient le privilège de vivre dans une Europe sans murs ni nationalisme. Ils sont maintenant en train d’ériger de nouveaux murs", a-t-il accusé en reconnaissant qu’après "cette victoire des populistes, l’Europe est à la croisée des chemins". "Nous devons nous lever et nous battre (…) pour l’idée d’une Europe unie, pacifique et tolérante", a poursuivi le leader conservateur qui regrette d’avoir commis l’erreur d’être resté silencieux pendant la campagne. "Mais maintenant nous parlons d’une meilleure Europe", a-t-il lancé en écartant l’idée d’un changement de traité. Dans les négociations à venir, une longue phase d’insécurité serait toxique pour les deux parties, a encore argué Manfred Weber.
Gianni Pittella a pour sa part insisté au nom du groupe S&D pour que "l’UE redéfinisse ses nouvelles relations avec le Royaume-Uni aussi vite que possible". "Nous ne pouvons rester les otages des caprices internes des conservateurs de Londres", a-t-il lancé avant d’appeler David Cameron, qui "porte la responsabilité historique d’avoir poussé le Royaume-Uni hors de l’UE", à "avoir la décence d’engager le processus de retrait aussi vite que possible avant de disparaître à jamais de la scène publique". Pour autant, a voulu rassurer Gianni Pittella, aucun référendum ne saurait rompre les liens historiques, culturels et idéologiques entre le peuple britannique et l’Europe", et, a-t-il souligné, "tant que le Royaume-Uni n’a pas achevé le processus de sortie, tous les citoyens britanniques seront chez eux dans l’Union européenne". A ses yeux, au-delà du "jeu de roulette russe" de David Cameron, le résultat du référendum découle aussi de "la mauvaise approche qui a été faite de la mondialisation, du rôle dominant de la finance, des inégalités, de la désespérance sociale et de la peur de l’avenir", autant de raisons qui ont poussé le leader socialiste à plaider pour une Europe plus sociale et pour "un nouveau cadre institutionnel" en mesure d’améliorer la légitimité démocratique de l’UE. Un projet qui sera à l’ordre du jour d’une convention socialiste à l’automne, a-t-il annoncé en appelant de ses vœux une Europe réformée.
Syed Kamall, qui compte parmi les conservateurs britanniques et avait pris le parti du Brexit en amont de la campagne, s’est exprimé au nom du groupe ECR. "Nous avons besoin d’une pause" afin de "commencer à réfléchir à nos stratégies de négociations", a-t-il expliqué en appelant les deux parties à "réfléchir à court terme sur la meilleure relation pour les deux parties sur le long terme". Evoquant les désaccords qui existent tant entre leaders européens qu’entre représentants britanniques sur la voie à suivre, l’eurodéputé a estimé que "l’UE doit être claire et le Royaume-Uni doit préparer son propre plan". S’il s’agit de respecter les traités et de donner des certitudes aux marchés sur le calendrier des négociations, Syed Kamall estime que l’important n’est pas "la vitesse à laquelle les négociations sont conclues, mais l’accord qui en sortira à la fin". "Quelle que soit la manière dont nous allons procéder, le Royaume-Uni et l’UE continueront de rester des partenaires proches dans les années à venir", a-t-il encore assuré.
Guy Verhofstadt, qui s’exprimait au nom du groupe ADLE, a déclaré que l'Union européenne doit accepter le choix du peuple britannique et le Royaume-Uni déclencher l’article 50 dès que possible, afin de mettre fin au climat toxique pour les entreprises, les investissements et les citoyens. "Déclencher l'article 50 n’est pas une punition envers ceux qui ont voté pour un départ. Au contraire, cela respecte un choix démocratique, c’est pourquoi la notification doit donc être soumise le plus tôt possible", a-t-il expliqué en refusant l’idée que l’Europe ait à "attendre l'issue d'une campagne interne au parti conservateur destinée à savoir qui deviendra Premier ministre du double royaume d'Angleterre et du Pays de Galles "."Nous, les Britanniques et les Européens, ne pouvons pas nous permettre de vivre dans l’incertitude", a argué le leader libéral en appelant à "aller de l'avant, avec courage, avec conviction, unis vers un nouvel horizon. Un nouvel avenir pour notre vieux continent. " Cet avenir, il l’a décrit en évoquant "un gouvernement européen efficace pour l'Union et la zone euro, un corps européen de garde-frontières et de garde-côtes afin de préserver la libre circulation, une capacité européenne de lutte contre le terrorisme et la criminalité transnationale et une communauté de la Défense."
Philippe Lamberts, qui s’est exprimé au nom du groupe des Verts / ALE, a lancé une mise en garde : "l’issue du référendum britannique peut porter un coup d’arrêt historique au projet d’intégration politique de notre continent". Selon lui, trois options se présentent : celle du "repli nationaliste", qu’il refuse car "il n’existe aujourd’hui de souveraineté que partagée", la poursuite de la politique néo-libérale qui est menée depuis près d’un quart de siècle, qu’il accuse d’être "la principale cause de l’euroscepticisme", et enfin l’alternative offerte par son groupe qui vise à "assurer la paix par l’extension des libertés démocratiques et par une prospérité durable et partagée". "Le temps nous est compté : si nous ignorons le signal envoyé par le référendum britannique, si nous nous méprenons sur son interprétation, c’en sera fait du projet européen", a-t-il mis en garde avant de conclure que "l’Europe a suffisamment connu le pire pour ne pas seulement espérer, mais aussi construire le meilleur".
Prenant la parole pour le groupe GUE /NGL, Gabi Zimmer a expliqué pourquoi son groupe n’allait pas voter en faveur de la résolution. Elle a estimé qu’il était erroné de continuer à avancer sans réfléchir à ce qui s’est passé, sans faire d’autocritique, notamment des derniers dix ans et sur "la manière brutale dont l’UE avait traité la Grèce, l’Espagne, le Portugal" pendant la crise. "C’est cette gestion de la crise qui s’est incrustée dans la mémoire des citoyens", et nombreux sont selon elle les électeurs qui ont voté pour le Brexit parce qu’ils craignent pour leur emploi et leur assurance sociale. Les personnes en déshérence sociale n’ont selon la députée de la Gauche aucune raison de se prononcer en faveur d’une UE qui devient de plus en plus néolibérale, comme le prouve encore l’accord entre l’UE et le Royaume-Uni de février 2016 qui a mis à mal le principe du salaire égal pour un travail égal, et qui a troqué la méthode communautaire contre la méthode intergouvernementale. L’important est maintenant que vienne la notification des Britanniques pour que les négociations puissent commencer, et que celles-ci ne compromettent pas la paix en Irlande du Nord.
Le dirigeant du parti UKIP qui a été un des grands acteurs de la campagne du Brexit, Nigel Farage, a nargué ses collègues au nom du groupe EFFD : "N'est-il pas drôle, quand je suis venu ici (à Bruxelles) il y a 17 ans en disant vouloir mener une campagne pour faire sortir le Royaume-Uni de l'UE, vous avez tous ri de moi. Vous ne riez plus maintenant, n'est-ce pas?" Il a accusé ses collègues d'être "dans le déni" et a ajouté : "Je fais une prédiction: le Royaume-Uni ne sera pas le dernier Etat membre à quitter l'UE." Partisan d’une sortie rapide de son pays de l’UE, il s‘est néanmoins dit d'accord sur au moins un point avec ses homologues : la décision de notifier le départ du Royaume-Uni, et donc d'activer la clause de retrait (article 50) du Traité de Lisbonne de 2009, doit, elle aussi, se faire rapidement. Ce qu’il veut : un accord commercial entre l’UE et le Royaume-Uni qui abolisse les droits de douane afin de laisser le Royaume-Uni "poursuivre son ambition globale orientée vers l’avenir."
Le Parlement appelle le gouvernement britannique à respecter la décision démocratique de son peuple par le biais d'une mise en œuvre rapide et cohérente de la procédure de retrait, à savoir en activant l'article 50 du Traité sur l'Union européenne afin de permettre que les négociations de retrait débutent dès que possible.
Pour éviter l'incertitude préjudiciable à tous et protéger l'intégrité de l'Union, le Premier ministre britannique devrait notifier le résultat du référendum au Conseil européen des 28 et 29 juin afin de lancer dès que possible la procédure de retrait et les négociations, exhortent les députés.
Les députés rappellent que l'approbation du Parlement pour l'accord de retrait et toute relation future est requise en vertu des traités, et qu'il doit être pleinement associé à toutes les étapes des différentes procédures.
Le Parlement demande également au Conseil de modifier l'ordre de ses présidences afin d'éviter que le processus de retrait n'affecte la gestion des affaires courantes de l'Union. Il est prévu que le Royaume-Uni assure la présidence lors du second semestre 2017. Le Parlement modifiera également son organisation interne afin de refléter la volonté des citoyens du Royaume-Uni de se retirer de l'Union européenne.
Les défis actuels exigent une réforme pour rendre l'Union "meilleure et plus démocratique", et pour "répondre aux attentes des citoyens", insistent les députés. "Alors que certains États membres peuvent décider d'intégrer l'Union plus lentement ou à un degré moindre, le noyau dur européen doit être renforcé et les solutions à la carte devraient être évitées", dit le texte.