Le 8 juillet 2016, la banque d'affaires américaine Goldman Sachs a annoncé avoir engagé l'ancien président de la Commission Européenne (2004-2014) José Manuel Barroso comme président non-exécutif de Goldman Sachs International, branche internationale du groupe américain basée à Londres. Dans un communiqué, la banque explique que "José Manuel va apporter une analyse et une expérience immense à Goldman Sachs, et notamment une profonde compréhension de l'Europe. Nous sommes impatients de travailler avec lui alors que nous continuons à aider nos clients à évoluer au sein d'un contexte économique et de marché incertain et délicat." Une allusion euphémistique au Brexit et aux inquiétudes des grandes banques américaines, qui ont d'importantes activités dans le centre financier de Londres, et qui craignent les conséquences du Brexit pour leur accès au marché unique européen.
La banque Goldman Sachs est une banque emblématique dans le cadre de la crise, notamment en raison de son rôle dans la crise des subprimes aux Etats-Unis en 2008 et de l’aide qu’elle a prêtée au début des années 2000 à l'Etat grec pour masquer ses déficits afin de pouvoir rester dans l'euro.
L’engagement de José Manuel Barroso a soulevé un immense tollé dans le monde politique et médiatique européen, mais aussi dans les institutions européennes. Même des membres de gouvernements ne se sont pas retenus. "Desservir les citoyens, se servir chez Goldman Sachs: #Barroso, représentant indécent d'une vieille Europe que notre génération va changer", a ainsi tweeté le secrétaire d'Etat français au Commerce extérieur, le socialiste Matthias Fekl.
"Goldman Sachs a conseillé les autorités grecques pour maquiller les comptes publics de la Grèce. Et M. Barroso était le président de la Commission. Ça veut dire que Golden Sachs a enfumé M. Barroso pendant des années ! Il y a là un rapprochement que je trouve insupportable, choquant", a déclaré l’ancien ministre français de l’Economie, le député européen Jean Arthuis, président de la commission budget du Parlement européen et membre du groupe des libéraux, sur le site du Sénat français. "Ce qui m’étonne, c’est que nos chefs d’Etat et de gouvernement aient pu si longtemps faire confiance à M. Barroso" ajoute-t-il. Il a encore tweeté, versant dans l’humour noir: "Barroso a de la suite dans les idées. Il veut comprendre comment Goldman Sachs l'a enfumé sur la sincérité des comptes publics de la Grèce!"
L'eurodéputée libérale française Sylvie Goulard a estimé qu'il appartient au président français, à la chancelière allemande et aux autres dirigeants nationaux, notamment portugais, "d'exprimer publiquement leur réprobation. Ils pourraient demander à José Manuel Barroso de démissionner et, s'il refusait de les entendre, indiquer qu'il trouverait porte close auprès d'eux", estime-t-elle.
Le syndicat de fonctionnaires européens U4U a lui aussi réagi par une lettre ouverte publiée le 9 juillet. On y lit : "Cette nomination au service d'intérêts financiers particuliers d'un ancien chef de l'exécutif européen soulève des questions éthiques. En particulier quand on se rappelle que J.-M. Barroso a présidé la Commission durant la crise dite des subprimes, en réalité une crise bancaire, dans laquelle Goldman Sachs a joué un rôle important. Cette nomination ne peut qu'alimenter la propagande europhobe de tous les populismes et extrémismes selon laquelle l'intégration européenne est au service des seuls intérêts de la Finance". Evoquant "le Code de conduite qui régit, entre autres, les conflits d'intérêt et les principes d'intégrité et de responsabilité", ils estiment qu’il "ne s'agit pas ici d'un banal conflit d'intérêt, mais d’un événement qui pourrait rendre encore plus impopulaire la construction européenne et qui pourrait discréditer notre institution". Et de décliner les potentiels conflits d’intérêts : "Il serait particulièrement malvenu que l’ancien Président de la Commission puisse, pour le compte de son nouvel employeur, intervenir dans les dossiers toujours ouverts concernant l’union bancaire, la supervision des banques, les questions financières et fiscales et celles relatives au ‘passeport unique’ qui, dans le cadre du retrait britannique, doit fortement préoccuper Goldman Sachs."
José Manuel Barroso a, quant à lui, déclaré à l’hebdomadaire portugais Expresso qu’ "après avoir passé plus de trente ans dans la politique et le service public, c'est un défi intéressant et stimulant qui me permet d'utiliser mes compétences dans une institution financière mondiale". Il a ajouté : "Si l'on reste dans la vie politique, on est critiqué pour vivre aux crochets de l'Etat, si l'on va dans le privé, on est critiqué pour tirer profit de l'expérience acquise dans la politique."
Interrogé sur la position de la Commission européenne actuelle sur le passage de son ancien président à la banque américaine, le porte-parole de la Commission, Margaritis Schinas, a estimé lors d’un point de presse le 11 juillet 2016 que José Manuel Barroso n’avait enfreint aucune règle ni traité de l’UE.
La règle est celle du Code de conduite des commissaires. Il prescrit que les anciens commissaires ont l'obligation de notifier à la Commission, dans les dix-huit mois qui suivent la cessation de leurs fonctions, les activités qu'ils entendent mener après leurs fonctions dans l'institution. La Commission décide d'autoriser ou non ces nouvelles fonctions dans le privé, après avis du comité d'éthique ad hoc. Passé cette période de 18 mois, les anciens commissaires ne sont plus tenus de notifier à la Commission leurs nouvelles fonctions. Ce délai a expiré pour José Manuel Barroso le 1er mai 2016, donc deux mois et 8 jours avant son passage chez Goldman Sachs. Ensuite, les règles de transparence s'appliquent et les anciens commissaires ne sont plus tenus qu'à une obligation de discrétion, d'intégrité et au secret professionnel, comme le prescrivent l'article 245, paragraphe 2 et l'article 339 TFUE.
Margaritis Schinas a précisé que José Manuel Barroso avait informé son successeur, Jean-Claude Juncker, après l’annonce de son passage à la banque américaine, puisqu’il n’y avait plus d'obligation formelle de notification préalable. Finalement, le porte-parole de la Commission a jugé que le Code de conduite des commissaires, qui date d'avril 2011, était suffisamment contraignant et qu'il ne fallait pas le revoir à la lumière de cette nomination.
Le Médiateur européen, Emily O'Reilly, ne l’entend pas de la même oreille. Faisant explicitement référence aux "derniers événements" et à la "dernière controverse" suscitée par le cas de l’ex-président Barroso, elle a demandé le 12 juillet 2016 à la Commission européenne, de renforcer les règles sur les postes que les présidents de la Commission et les anciens commissaires occupent après avoir quitté l'institution, car elle se demande si les règles sont "suffisantes pour protéger l'intérêt public".
Emily O’Reilly note que "les anciens commissaires doivent techniquement notifier à la Commission s'ils envisagent d'exercer une activité professionnelle dans les 18 mois après leur mandat, de manière à évaluer les conflits d'intérêts potentiels. Mais le respect technique des règles établies et mises en œuvre par la Commission elle-même pourrait ne pas être pleinement conforme à l'article 245 du traité. L'article ne fait aucune référence à une échelle de temps à cet égard." Cet article stipule que les membres de la Commission doivent respecter, "pendant la durée de leurs fonctions et après la cessation de celles-ci", les obligations découlant de leur charge, notamment les devoirs d'honnêteté et de délicatesse quant à l'acceptation, après cette cessation, de certaines fonctions ou de certains avantages.
Emily O'Reilly aborde ensuite le problème de la confiance des citoyens dans l’UE. "Toute suggestion selon laquelle l'esprit de la loi est bafoué risque de miner la confiance des citoyens. Elle mine également les mesures positives prises à ce jour par la Commission sur les questions éthiques et nuit fortement à tous les représentants de l’UE qui travaillent consciencieusement et durement. Le ’droit de travailler’ doit être mis dans la balance avec le droit du public à une administration éthique, et cela surtout quand cela touche à ceux qui exercent ou ont exercé des fonctions dirigeantes." Elle rappelle que "le traité de l'UE stipule que les anciens commissaires doivent se comporter avec intégrité et discrétion en ce qui concerne certains postes ou avantages. Les citoyens ont besoin de clarté sur ce que cela signifie précisément en pratique."
Le Médiateur conclut en indiquant qu’elle a déjà demandé récemment à la Commission de réviser le Code de conduite et de prévoir des sanctions en cas de violation de ce code. Emily O’Reilly a en effet demandé cette révision suite à une enquête commencée en 2014 et conclue le 30 juin 2016 notamment sur les activités d’un commissaire de la Commission Barroso, dont le nom n’est pas révélé, après qu’il a quitté ses fonctions. Le Médiateur en a conclu que "la Commission Barroso n’a pas su traiter de manière adéquate la violation du Code de conduite par l’ancien commissaire et n’a pas mené correctement son enquête sur la compatibilité du contrat du commissaire avec les traité européens, et ce malgré les préoccupations formulées au sein du comité consultatif chargé de ce genre d’affaires." Le Médiateur termine par une remarque discrète, mais ferme : "Il est intéressant de souligner que le Code de conduite a été rédigé par la Commission. Cela semblerait approprié que le Code soit réévalué à la lumière des récents événements."