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Commerce extérieur - Traités et Affaires institutionnelles
CETA - Jean Asselborn a présenté à la presse le contenu détaillé de la déclaration interprétative conjointe sur le traité de libre-échange avec le Canada
10-10-2016


Le samedi 8 octobre 2016, plus de 4000 personnes ont répondu présentes à l’appel lancé par la plateforme Stop TTIP à manifester dans la capitale luxembourgeoise contre l’adoption du CETA par l’UE le 18 octobre et sa signature le 27, et pour la cessation des négociations pour le TTIP. Un an auparavant, une manifestation similaire avait mobilisé moitié moins de monde, signe que la mobilisation contre les accords de commerce CETA et TTIP est loin de faiblir dans la société civile luxembourgeoise. Pour les 20 organisations de la plateforme Stop TTIP, ces deux traités risquent de reléguer la protection des êtres humains, des acquis sociaux et de l’environnement derrière les intérêts des entreprises. En ce qui concerne le TTIP, le huis clos des négociations est dénoncé, tandis que le CETA continue d’être présenté comme "la porte arrière" du TTIP. Une des demandes formulées par les manifestants est ainsi de suspendre la ratification du CETA tant que les nombreux doutes qu’ils soulèvent  n’auront pas été levés.

asselborn-161010-cdp-ceta-bisDeux jours plus tard, au cours d’une conférence de presse tenue à l’issue d’une entrevue avec la commission des affaires étrangères et européennes de la Chambre des députés, le ministre des Affaires étrangères et européennes, Jean Asselborn, qui est aussi en charge du commerce extérieur, a donné d’amples explications sur la déclaration interprétative conjointe sur le CETA demandée avant tout par cinq Etats membres de l’UE - l’Allemagne, la France, les Pays-Bas, l’Autriche et le Luxembourg - pour permettre aux gouvernements de ces pays de prendre le chemin de son approbation par leurs parlements. Jean Asselborn a estimé que cette déclaration est aussi le fruit des efforts de ces gouvernements qui ont écouté leurs sociétés civiles.

Une déclaration interprétative sert dans le cadre de la Convention de Vienne de 1969 à livrer à ceux qui sont en charge de résoudre un éventuel litige entre parties d’un traité des indications plus précises sur la volonté des Etats qui sont parties du traité. Jean Asselborn a souligné qu’en cas de litige, une telle déclaration interprétative doit donc être consultée. Pour lui conférer la valeur juridique nécessaire, elle sera adoptée par les parties, et l’UE l’adoptera en même temps que sa décision de signer le CETA. De ce fait, la déclaration conjointe devient "un acte juridique formel de l’UE" et elle sera publiée dans le Journal officiel de l’UE ensemble avec le texte du CETA. Elle règle de manière juridiquement contraignante l’interprétation que les parties doivent avoir du CETA, y compris, en cas de litige, devant une cour.       

Jean Asselborn a décliné le contenu du préambule de la déclaration. Il y est dit que le CETA donne un cadre au libre-échange avec le Canada, que le droit des Etats parties de légiférer n’est pas touché, que la qualité des normes en vigueur ne sera pas abaissée et que les produits exportés devront respecter  - "et j’insiste là-dessus, devront", a dit le ministre -  les normes en vigueur dans les pays importateurs et que le principe de précaution inscrit dans l’art. 191 TFUE sera respecté.

Le droit de légiférer ne sera pas touché. L’environnement, la protection des consommateurs, la politique de santé, l’éducation, la sécurité et la politique sociale sont mentionnés, mais cette liste n’est pas limitative.

Conscient du fait que la coopération en matière de régulation est particulièrement critiquée par la société civile qui craint que les instances en charge de cette coopération ne s’octroient le droit de réguler en contournant les instances de décision démocratiques, Jean Asselborn a précisé que ces instances n’auront pas le droit de prendre des décisions politiques qui resteront réservées aux gouvernements et aux parlements .     

Selon Jean Asselborn, "le texte de la déclaration ne laisse aucun doute sur le fait que les Etats garderont à tous les niveaux de gouvernance le droit d’organiser les services publics de la manière qu’ils estimeront appropriée. La "recommunalisation" de services publics déjà privatisés sera possible, tout comme la création de nouveaux services publics ou la qualification de certains services comme services publics. La construction de logements par des autorités publiques sera considérée comme un service public, de même que les prestions sociales.

La protection de l’investissement est un des enjeux majeurs du débat public. Jean Asselborn a souligné que le paragraphe qui lui est consacré est le plus long de la déclaration. L’ICS, le nouvel Investment Court System conçu dans le cadre du CETA est exposé dans le détail. Le droit de réguler des Etats est de nouveau confirmé, y compris quand l’exercice de ce droit a un impact négatif sur les attentes en termes de bénéfices des investisseurs. Le principe de l’égalité de traitement des investisseurs y figure, comme le fait que des entreprises boîte-à-lettres n’auront pas le droit de porter plainte auprès de l’ICS. Il est également dit que les juges du système ICS devront avoir la même qualification que les juges dans leur pays d’origine. Des règles éthiques strictes garantiront leur indépendance afin de prévenir tout conflit d’intérêt. Les parties s’engagent à soumettre l’ICS à un système de suivi pour pallier le plus rapidement possible à d’éventuels problèmes.     

La protection des travailleurs figure également dans la déclaration. Les protections accordées par le droit du travail ne pourront pas être diminuées pour attirer de l’investissement, cela pour parer à la tentation du dumping social. Le Canada signera les huit conventions de base de l’OIT et les parties s’engagent à les appliquer. Pour Jean Asselborn, ce paragraphe concrétise "un des points distinctifs de la nouvelle génération d’accords de libre-échange, dans la mesure où il n’y est pas seulement question des bénéfices des entreprises et des investisseurs, mais aussi des droits des travailleurs". Pour lui, ce passage de la déclaration est "décisif pour assurer la crédibilité de l’UE" et montre sa volonté d’exporter ses valeurs et de co-décider sur les règles du commerce mondial.

La déclaration contient également un rappel de tous les engagements internationaux que l’UE et le Canada ont pris en matière d’environnement et met en avant le fait que les parties auront le droit de légiférer en matière d’environnement comme ils l’entendront, mais qu’ils ne pourront pas abaisser les normes en vigueur pour attirer de l’investissement. L’UE et le Canada s’engagent par ailleurs à coopérer pour appliquer l’accord de Paris sur le changement climatique.  

La société civile, les syndicats et le patronat seront régulièrement consultés quand il s’agira d’appliquer certains volets du CETA. Un forum spécial, le CETA Civil Society Forum, sera créé. Les parties s’engagent à soumettre les chapitres relatifs au droit du travail et à l’environnement à une vérification pour voir si les principes qu’ils contiennent sont correctement appliqués.     

Il n’y aura pas d’obligation de privatiser l’eau. En cas de marchés publics, les critères environnementaux, sociaux et du droit du travail, notamment le respect des conventions collectives, devront être pris en considération.

Se disant à l’écoute des manifestants du 8 octobre, Jean Asselborn a dit aussi avoir retenu que ces derniers n’étaient pas opposés par principe à un traité de libre-échange. Rappelant ce qui a été obtenu lors des négociations sur le CETA – le droit de réguler, la mise en avant du principe de précaution, l’exemption des services publics de l’obligation d’être privatisés, la création d’un système de protection des investissements qui exclut les arbitrages privés et qui servira selon lui de référence à une nouvelle génération de traités de libre-échange – il a mis l’accent sur le rôle du Luxembourg lors de tous les grands moments qui ont changé le cours de la négociation, notamment en étant en pointe de la défense des services publics. Pour lui, le résultat des négociations est le meilleur possible, d’autant plus que selon lui, "aucun autre traité de libre-échange ne pourra aller en-deçà du niveau du CETA". 

Le ministre a aussi fait l’état des obstacles qui restent encore à franchir et de l’agenda des semaines à venir. Il y a d’abord une procédure en référé devant la Cour constitutionnelle fédérale allemande de Karlsruhe, où l’audition est fixée au 12 octobre et le prononcé au 13 octobre. Il y a par ailleurs des problèmes en Autriche et en Wallonie. La Roumanie voudrait par ailleurs une libéralisation du régime de visas canadien à l’égard de ses citoyens. Le texte de référence du CETA et de la déclaration conjointe sera transmis au Conseil le 12 octobre. Ce dernier se réunira le matin du mardi 18 octobre 2016 pour décider sur la signature du CETA par l’UE. Jean Asselborn, qui ira encore une fois à la Chambre le 17 octobre,  a attiré l’attention de la presse sur le fait que cinq Etats membres seulement avaient demandé qu’il y ait une déclaration interprétative conjointe, et que 23 Etats membres ne l’avaient pas fait, n’étant pas forcément préoccupés de la même manière par les problèmes invoqués. Or, il faudra l’unanimité au Conseil, faute de quoi le CETA ne pourra pas être signé le 27 octobre par l’UE et le Premier ministre canadien Justin Trudeau.