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Fiscalité
L’avocat général de la CJUE estime que l’administration fiscale française ne peut pas refuser une exonération à une société établie au Luxembourg au seul motif que cette société est contrôlée par une société établie en Suisse
19-01-2017


CJUEL’avocat général Juliane Kokott a rendu le 19 janvier 2017 ses conclusions dans l’affaire C-6/16 Eqiom et Enka. L’enjeu était de savoir si l’administration fiscale française peut refuser l’exonération sur des dividendes versés par une société établie en France à une société établie dans un autre État membre, à savoir le Luxembourg, au motif que cette dernière société est contrôlée par une société établie dans un pays non UE (en l’occurrence, la Suisse) et n’a pas apporté la preuve d’une absence d’abus fiscal.

La société française Euro Stockage est une filiale de la société luxembourgeoise Enka, laquelle est détenue par la société chypriote Waverley Star Investments, elle-même entièrement contrôlée par la société suisse Campsores Holding.

En 2005 et 2006, Euro Stockage a versé des dividendes à sa société mère Enka. L’administration fiscale française a refusé d’exonérer la société luxembourgeoise de la retenue à la source, alors que le droit français prévoit une telle exonération pour les bénéfices distribués à une société mère établie dans un État membre. Selon l’administration fiscale, l’exonération ne s’applique pas lorsque des dividendes distribués bénéficient à une société contrôlée directement ou indirectement par une société établie dans un État non membre de l’Union, (en l’occurrence, la Suisse) à moins que cette société ne justifie que la chaîne de participations n’a pas comme objectif principal celui de tirer avantage de l’exonération.

Saisi de cette affaire, le Conseil d’État français demandait à la Cour de justice si une telle réglementation est compatible avec le droit de l’Union.

Dans ses conclusions rendues le 19 janvier 2017, l’avocat général Juliane Kokott relève tout d’abord que la directive mères-filiales n’empêche pas que l’exonération de la retenue à la source soit refusée lorsque la société bénéficiaire fait partie d’une chaîne de participations qui a essentiellement été mise en place pour des motifs fiscaux. En effet, cette directive combat l’évasion fiscale et interdit ainsi les abus tels que ceux qui peuvent résulter de structures de participation dont le seul but est de profiter d’avantages fiscaux.

En revanche, l’avocat général considère que le fait d’imposer au bénéficiaire des dividendes l’obligation de démontrer que la chaîne de participations n’a pas pour objectif principal d’obtenir un avantage fiscal va au-delà de ce qui est nécessaire pour éviter l’évasion fiscale et sort ainsi du cadre de la directive.

Selon l’avocat général, l’administration fiscale doit avoir des indices suffisants d’évasion fiscale pour imposer une telle obligation, étant entendu que la simple référence au contrôle direct ou indirect par un détenteur établi dans un État tiers ne constitue pas un indice sérieux et se fonde sur une présomption d’évasion fiscale trop générale. Autrement dit, l’administration fiscale doit toujours procéder à un examen du cas concret avant d’obliger le bénéficiaire de dividendes de justifier de l’absence d’un abus fiscal.

L’avocat général relève également que la réglementation française restreint la liberté d’établissement, dans la mesure où elle rend l’exercice de cette liberté moins attrayant pour les sociétés des autres États membres (celles-ci pouvant être amenées à renoncer à l'acquisition, à la création ou au maintien d'une filiale en France). Selon l’avocat général, cette restriction à la liberté d’établissement n’est pas justifiée par la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, car la réglementation française 1) ne constitue pas un moyen approprié pour faire face à des montages purement artificiels, dépourvus de réalité économique et visant à l’obtention d’un avantage fiscal et 2) va au-delà de ce qui est nécessaire pour lutter contre l’évasion fiscale, du fait que la charge de la preuve de l’absence d’abus pèse sur le bénéficiaire de dividendes.

En résumé, l’avocat général propose à la Cour de répondre que l’administration fiscale ne peut pas refuser l’exonération en cause à une société établie dans un autre État membre au seul motif que cette société est contrôlée par une société établie dans un pays non UE. Pour que la société soit tenue de prouver que sa structure ne repose pas sur des motifs purement fiscaux, il faut que l’administration fiscale soupçonne de manière justifiée un abus.