Le 17 janvier à Strasbourg, l'ex-Premier ministre italien et ex-président de la Commission européenne, Mario Monti, a présenté devant le collège des commissaires européens les conclusions du groupe de haut niveau sur l'avenir des ressources propres de l'UE.
Le groupe avait été créé en février 2014 afin de mener une réflexion "pour trouver des moyens de financement de l'UE plus transparents, simples, équitables et démocratiquement responsables". Sous la présidence de Mario Monti, il était composé d'experts et de personnalités provenant des trois institutions de l'UE, dont les commissaires européens Kristalina Georgieva, Pierre Moscovici et Frans Timmermans, ainsi que les eurodéputés Guy Verhofstad (ADLE), Alain Lamassoure (PPE) et l'ancien eurodéputé Ivailo Kalfin (S&D).
"Le budget de l'UE est l'un des principaux outils à disposition de l'UE pour atteindre ses objectifs. Il a besoin d'être repensé en profondeur. Il devrait davantage se concentrer sur les défis communs tels que la sécurisation des frontières extérieures, la stabilisation du voisinage ou le défi du changement climatique. En même temps, de nouvelles ressources nous aideraient à bouger vers un système plus simple, transparent, loyal et démocratiquement responsable", a déclaré à cette occasion le président du groupe, Mario Monti, selon des propos repris dans un communiqué de presse.
A l'issue de la présentation du rapport, la Commission européenne a fait savoir qu'elle "prend note des conclusions de ce groupe et en tiendra compte dans les travaux préparatoires" sur le prochain cadre financier pluriannuel (CFP) de l'Union européenne, comme l'avait d'ailleurs déjà fait le nouveau commissaire au Budget, Günther Oettinger, le 9 janvier devant les commissions compétentes du parlement européen.
La note de synthèse diffusée à cette occasion prévient que le rapport met l'accent sur ce qui peut être réformé dans le cadre du dispositif institutionnel actuel, en tenant compte du fait que la fiscalité reste une compétence nationale et dans le respect de l'impératif de neutralité budgétaire afin que la réforme envisagée des ressources propres ne crée pas de charge fiscale supplémentaire pour les citoyens de l'Union. Il rappelle par ailleurs que le budget de l'Union est "principalement un budget d'investissement, assorti de certaines fonctions redistributives entre les États membres", servant avant tout à soutenir les politiques et objectifs communs de l'Union, à l'appui de l'acquis communautaire sur une base pluriannuelle, et à fournir un capital de départ pour des investissements à moyen et long terme.
Les traités ne confèrent pas à l'Union le pouvoir de percevoir des taxes mais la dotent de "ressources propres" pour atteindre ses objectifs (article 311 du TFUE), tout en respectant les prérogatives fiscales des États membres, rappelle-t-il.
Le rapport analyse par ailleurs comment la notion de valeur ajoutée européenne, qui peut se définir comme la valeur découlant d'une intervention de l'Union qui vient s'ajouter à la valeur normalement créée par l'action isolée de l'État membre, peut orienter les décisions budgétaires futures en matière de dépenses. Le groupe de haut niveau constate que chaque euro dépensé dans un pays est considéré comme un "coût" pour tous les autres, faisant fi de la valeur ajoutée européenne découlant des politiques de l'Union qui profitent à certains ou à l'ensemble des États membres. Certes, il ne condamne pas le fait que chaque État membre calcule le bénéfice "propre" qu'il retire du budget de l'Union, considérant ce comportement "bien naturel ou, du moins, inévitable".
Le rapport plaide toutefois pour une mesure plus large des bénéfices collectifs découlant des politiques, synergies économiques, effets transfrontaliers et résultats extérieurs positifs de l'Union. "Cela permettrait de surmonter le problème du juste retour, qui a transformé le budget de l'Union, et par extension l'Union elle-même, en un jeu à somme nulle au lieu du partenariat gagnant-gagnant qu'il est censé être". Cette méthode ayant été introduite pour calculer le rabais accordé au Royaume-Uni, le Brexit et l'abandon du "rabais britannique", ainsi que des "rabais sur le rabais", sont vus comme "une occasion unique de revoir la manière dont nous mesurons les coûts et les bénéfices réels de l'Union".
Le groupe de haut niveau constate des éléments positifs dans le budget, auxquels il n'y a pas lieu de toucher. Il en va ainsi des ressources propres dites traditionnelles (droits de douane), directement liées à l'existence du marché unique et de l'union douanière. Elles sont jugées comme "un modèle de véritables recettes de l'Union, (...) dont le processus de collecte est satisfaisant". Il en va ensuite du principe d'équilibre du budget de l'Union, qui est important pour assurer la discipline budgétaire, et enfin de la ressource propre sur base du revenu national brut (RNB), si elle est utilisée "en tant que ressource d'équilibrage véritablement résiduelle".
Les changements à apporter aux recettes, selon le groupe de haut niveau, s'inscrivent dans le cadre plus large d'une reconfiguration du cadre financier pluriannuel (CFP). Le groupe met en avant plusieurs principes devant guider la réforme.
Le budget de l'Union doit cibler les domaines apportant la "valeur ajoutée européenne" la plus élevée, ou les biens publics européens pour lesquels l'action au niveau de l'Union n'est pas seulement pertinente mais indispensable, ou encore les domaines où les possibilités de financement nationales sont insuffisantes pour atteindre les objectifs européens. S'agissant des dépenses, toute réforme doit inclure un test de subsidiarité pour déterminer le niveau auquel il est le plus indiqué d'engager les dépenses : infranational, national ou européen. De même, la réforme doit respecter la neutralité budgétaire, dit le groupe en faisant remarquer que l'introduction de nouvelles ressources propres ou d'autres types de recettes engendrerait des réductions des contributions basées sur le RNB, et pourrait donc "créer une certaine marge de manœuvre pour les budgets nationaux ou la politique fiscale nationale".
Le rapport plaide vivement en faveur de nouvelles ressources propres qui aideraient à mettre en œuvre certaines politiques de l'Union et à soutenir les objectifs stratégiques de l'Union, en particulier la durabilité économique, sociale et environnementale.
Le groupe a examiné en détail plusieurs nouvelles sources de recettes possibles, "mises en évidence par la plupart des analystes et universitaires". Il s'agit :
Le groupe de haut niveau se penche également sur la pertinence de la différenciation – désignant par là une politique poursuivie par un noyau d'États membres qui sont à la fois capables et désireux d'aller plus loin. Il fait remarquer que cette pratique a eu des conséquences pour les recettes, alors qu'il existe déjà un certain degré de différenciation pour les pays qui ont recours à une clause d'exemption (opt-out) ou pour les pays qui bénéficient d'un rabais. Le groupe cite par ailleurs en exemple la taxe sur les transactions financières (TTF) "récupérée" par un groupe de 10 États membres et mentionne des sources de recettes particulières qui pourraient être pertinentes dans ce contexte.
Il envisage cette différenciation pour des mesures pouvant être adaptées à la zone euro, par exemple la taxe sur les transactions financières, des contributions éventuelles du secteur bancaire ou le revenu de seigneuriage provenant de la Banque centrale européenne ou pour des politiques pouvant rassembler des précurseurs en citant les nouvelles politiques telles que la défense.
"La réforme des recettes budgétaires n'est ni une fin en soi ni la panacée pour traiter tous les maux budgétaires", prévient la note de synthèse dans sa conclusion. Elle doit être envisagée comme "un élément constitutif d'un effort constant visant à rétablir la confiance et la légitimité autour de l'action de l'Union, en rendant le système de ressources propres de l'Union plus simple, plus transparent et plus équitable et plus responsable sur le plan démocratique".
La Commission budgétaire du parlement européen a déjà approuvé le 12 janvier 2016 le rapport Monti.
Membre du groupe de haut niveau, l'eurodéputé PPE, Alain Lamassoure, avait souligné à cette occasion que ces recommandations sont "compatibles avec la souveraineté budgétaire nationale et la protection des contribuables européens" et que le but est de fournir à l'UE les ressources légales, financières et humaines pour faire face aux défis, sans ajouter un fardeau aux Etats membres. "L'intention est d'obtenir un meilleur 'rapport qualité-prix' en assurant que chaque euro dépensé au niveau européen en épargnera davantage au niveau national", avait-il souligné.
Par la voix de son porte-aprole, Bernd Koelmel, l'ECR a signifié qu'il rejetait la proposition du groupe Monti. "Une fois de plus, une des nombreuses crises de l'UE est utilisée pour demander 'plus d'Europe'", a-t-il commenté en associant l'appel du groupe pour un renforcement des ressources budgétaires propres à une demande de davantage d'Europe. "Nous savons tous qu'après un départ modeste du taux d'imposition, tôt ou tard, de plus fortes taxes seront demandées. Les désirs secrets des fonctionnaires et parlementaires européens sont déjà hors de prix. Ne leur fournissons pas un outil financier", a-t-il mis en garde.
Renvoyant à ses propositions faites en décembre 2016, le groupe Verts-ALE estime au contraire que la réforme du volet des ressources alimentant le budget de l'UE est "fondamentale". "Alimenter le budget européen par un réel système de ressources propres permettrait notamment d'en finir avec les querelles à somme nulle que se livrent en permanence les États et d'outiller l'UE pour qu'elle soit en capacité de répondre à toute une série de crises qui l'affectent", a déclaré le vice-Président du groupe Verts-ALE, Pascal Durand.