Les chefs d’Etat et de gouvernement de l’UE se sont réunis à Malte le 3 février 2017 pour un sommet informel organisé par le Premier ministre maltais, Joseph Muscat, et présidé par le président du Conseil européen, Donald Tusk. Le Premier ministre Xavier Bettel y représentait le Luxembourg.
Deux grands sujets étaient à l’ordre du jour de ce sommet, à savoir la dimension extérieure des migrations, et notamment la route de la Méditerranée centrale qu’empruntent de nombreuses personnes au départ de la Libye, et une discussion plus générale sur l’avenir de l’Union dans la perspective du 60e anniversaire des traités de Rome qui s’est tenue à 27, puisqu’à la date de cette célébration, le Royaume-Uni devrait déjà avoir activé l’article 50 en vue de sa sortie de l’UE.
Lors de leur première session de travail, les chefs d’Etat et de gouvernement se sont entendus sur une déclaration listant une série de mesures opérationnelles dont l’objectif est de "remédier à la situation le long de la route de la Méditerranée centrale". Les chefs d’Etat et de gouvernement constatent en effet que "le long de la route de la Méditerranée centrale, plus de 181 000 arrivées ont été détectées en 2016 et, depuis 2013, le nombre de décès ou de disparitions en mer atteint un nouveau record chaque année" et souhaitent anticiper la recrudescence de traversées périlleuses avec l’arrivée prochaine du printemps.
Donald Tusk a listé à l’issue de cette première session de travail les "mesures opérationnelles immédiates qui devraient contribuer à réduire le nombre de migrants irréguliers et, parallèlement, à sauver des vies". L’objectif est de "briser le modèle économique" des passeurs, de sécuriser les frontières du pays ou encore d’assurer des conditions décentes aux migrants bloqués dans la région. "Nous allons former, équiper et soutenir les garde-côtes libyens pour mettre un terme aux activités des passeurs et développer les opérations de recherche et de sauvetage. Nous allons fournir une assistance économique aux communautés locales en Libye pour améliorer leur situation et les aider à héberger les migrants bloqués dans le pays. Nous allons aussi travailler avec l'Organisation internationale pour les migrations afin d'accélérer les retours volontaires depuis la Libye vers les pays d'origine", a rapporté Donald Tusk. "Il y a aussi maintenant un engagement direct avec les tribus dans le sud de la Libye qui ont jusqu'à présent collaboré avec les trafiquants et gagné entre cinq et six millions d'euros par semaine grâce à cela", a ajouté Joseph Muscat.
"Des fonds européens supplémentaires seront mis à disposition pour mettre en œuvre ces actions prioritaires", a expliqué le président du Conseil européen avant d’insister sur son intention d’agir "dans le respect absolu des droits de l'homme, du droit international et des valeurs européennes, et en étroite coopération avec des organisations telles que le HCR et l'OIM".
Les premières réactions qui ont suivi l’adoption de cette déclaration ont toutefois montré les doutes d’un certain nombre d’ONG quant aux projets des chefs d’Etat et de gouvernement visant à bloquer les migrants. "Les décisions prises au sommet de vendredi représentent littéralement une question de vie ou de mort pour des milliers d'enfants en transit ou bloqués en Libye", a ainsi déclaré le directeur adjoint de l'Unicef, Justin Forsyth. "Par cet accord, l'Union Européenne organise le refoulement vers leurs persécuteurs de personnes déjà éprouvées lors de leur premier passage en Libye", s'est alarmée de son côté Françoise Sivignon, présidente de Médecins du Monde. Le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) ont appelé dans un communiqué commun les Européens à "ne pas emprisonner automatiquement les réfugiés et les migrants dans des conditions inhumaines", mais de favoriser au contraire leur accueil dans des conditions décentes en Libye.
Les chefs d’Etat et de gouvernement se sont ensuite réunis à 27 afin de préparer le 60e anniversaire des traités de Rome, qui sera célébré le 25 mars 2017. Leurs discussions faisaient suite à la réflexion politique relative à l'avenir de l'UE à 27 États membres, lancée immédiatement après que le Royaume-Uni a voté en faveur d'une sortie de l'Union européenne, le 23 juin 2016, et qui s'est poursuivie à Bratislava le 16 septembre 2016.
Dans sa lettre sur l'avenir de l'Europe adressée aux 27 chefs d'État ou de gouvernement le 31 janvier 2017, le président Donald Tusk avait identifié trois grandes menaces pour la stabilité de l'Europe, à savoir la nouvelle situation géopolitique, marquée selon lui par la tendance de la Chine à s'affirmer de plus en plus, par la politique agressive de la Russie envers l'Ukraine et ses voisins, par les guerres, le terrorisme et l'anarchie au Moyen-Orient et en Afrique, ainsi que par les déclarations inquiétantes de la nouvelle administration américaine. Autant d'éléments qui "rendent notre avenir extrêmement imprévisible", selon le président du Conseil européen. Il évoque comme deuxième menace la situation intérieure, marquée elle par la montée d'un sentiment nationaliste, de plus en plus xénophobe, au sein même de l'Union européenne. Enfin, Donald Tusk évoque l'état d'esprit des élites pro-européennes, en s’inquiétant du déclin de la foi dans l'intégration politique, de la soumission aux arguments populistes ainsi que de la remise en question des valeurs fondamentales de la démocratie libérale.
Dans cette lettre, le président Donald Tusk appelait les dirigeants à rester unis.
"À Rome, nous devrions réaffirmer avec force ces deux vérités fondamentales, mais oubliées: premièrement, nous nous sommes unis pour éviter que ne se reproduise une autre catastrophe sans précédent et, deuxièmement, l'histoire de l'Europe, vieille de plusieurs siècles, n'a jamais été aussi heureuse que depuis que l'Europe est unie", indiquait-il. "Il faut être parfaitement clair: la désintégration de l'Union européenne ne rendra pas à ses États membres une souveraineté intégrale, quelque peu mythique; en réalité, elle les inféodera de fait aux grandes superpuissances que sont les États-Unis, la Russie et la Chine. "Ce n'est qu'ensemble que nous pouvons être totalement indépendants".
Les déclarations et décisions du président américain, Donald Trump, depuis son investiture semblent avoir été un des grands sujets de cette discussion au vu des déclarations qui ont été faites au sortir de la réunion.
Si Donald Tusk a assuré que les relations avec les Etats-Unis restent "la plus haute priorité politique" de l'Union européenne, il a aussi insisté sur le fait que la situation actuelle ne laisse "aucune autre option" à l'UE que de "regagner confiance en sa propre force". La volonté de discuter avec Washington est "la même", mais les dirigeants ont exprimé leur inquiétude "à propos de certaines décisions prises", de "certaines attitudes", a expliqué de son côté Joseph Muscat. Le président Trump "n'a pas à se mêler de ce qu'est la vie de l'Union européenne", s'est exclamé pour sa part le président français François Hollande, tandis que la chancelière allemande Angela Merkel a répété que l'Europe avait son destin entre ses mains. Donald Trump défend des "valeurs qui ne sont vraiment pas celles pour lesquelles je me bats en politique", a ajouté pour sa part Xavier Bettel.
Les trois pays du Benelux ont pour leur part saisi l’occasion de cette discussion pour transmettre aux États membres leur vision du futur de l'Europe susceptible de permettre à l'Union de faire face aux "eaux troubles" qu'elle traverse.
Dans une déclaration commune qu’ils présentent comme une contribution à la "déclaration de Rome" qui devrait être adoptée en mars prochain, la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas plaident pour une coopération future qui renforce "les quatre libertés, le marché interne, la dimension sociale – y compris une économie sociale de marché – et une zone euro forte et concurrentielle". Ces trois pays insistent aussi sur le fait que le respect de la dignité humaine, de la liberté, de la démocratie, de l’Etat de droit et des droits de l’homme sont la colonne vertébrale et le fondement de la coopération entre Etats membres de l’UE.
Néanmoins, précisent-ils, au nom du respect des principes de subsidiarité et de proportionnalité, l’UE "ne fera que ce que les États membres ne sont pas en mesure de réaliser à titre individuel pour leurs citoyens", mais elle "devra agir avec fermeté dans des domaines où son intervention constitue une valeur ajoutée européenne incontestable".
Attachés à la méthode communautaire et favorables à des processus décisionnels plus "démocratiques et transparents", les trois pays du Benelux n'excluent cependant pas l'hypothèse de "parcours d’intégration différents et de coopérations renforcées pour répondre aux défis qui se posent de manière différente aux Etats membres".
Une option que la chancelière allemande n’a pas exclu elle non plus lorsqu’elle a expliqué à la presse que l’histoire récente de l'UE a montré qu'"il y aura une Union européenne à différentes vitesses, que tous ne vont pas participer à chaque fois à toutes les étapes d'intégration". Ce constat pourrait se retrouver dans la déclaration attendue à l'occasion des cérémonies du 60e anniversaire du traité de Rome, a précisé la chancelière.