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Migration et asile - Droits fondamentaux, lutte contre la discrimination - Justice, liberté, sécurité et immigration
Pour l’avocat général de la CJUE, les États membres doivent délivrer un visa humanitaire lorsqu’il existe des motifs avérés de croire qu’un refus exposera des personnes en quête de protection internationale à la torture ou à des traitements inhumains
07-02-2017


CJUEL’avocat général  Paolo Mengozzi est d’avis que les États membres doivent délivrer un visa humanitaire lorsqu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’un refus exposera des personnes en quête de protection internationale à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants. C’est ce qui ressort des conclusions qu’il a rendues le 7 février 2017 dans une affaire portée en urgence devant le Cour de Justice de l’Union européenne concernant l’interprétation du code des visas, ainsi que de la Charte des droits fondamentaux.

Le 12 octobre 2016, un couple syrien ainsi que leurs trois enfants mineurs en bas âge, de nationalité syrienne, vivant à Alep (Syrie), ont introduit des demandes de visa auprès de l’ambassade de Belgique à Beyrouth (Liban). Ils sont retournés en Syrie le 13 octobre 2016. Les demandes visaient à obtenir des visas à validité territoriale limitée, sur la base du code des visas de l’UE, afin de permettre à cette famille de quitter la ville assiégée d’Alep dans le but d’introduire une demande d’asile en Belgique. L’un d’eux déclare, notamment, avoir été enlevé par un groupe armé, battu et torturé, avant d’être finalement libéré contre rançon. Ils insistent particulièrement sur la dégradation de la situation sécuritaire en Syrie en général et à Alep en particulier, ainsi que sur le fait que, étant de confession chrétienne orthodoxe, ils risquent d’être persécutés en raison de leurs croyances religieuses. Ils ajoutent qu’il leur est impossible de se faire enregistrer comme réfugiés dans les pays limitrophes, eu égard, notamment, à la circonstance que la frontière entre le Liban et la Syrie a entre-temps été fermée.

Le 18 octobre 2016, l’Office des étrangers de Belgique a rejeté ces demandes. Il estime que, en sollicitant un visa à validité territoriale limitée pour introduire une demande d’asile en Belgique, la famille syrienne en question avait manifestement l’intention de séjourner plus de 90 jours en Belgique. De surcroît, l’Office souligne, en particulier, que les États membres ne sont pas obligés d’admettre sur leur territoire toute personne vivant une situation catastrophique.

La famille syrienne a dès lors saisi le Conseil du contentieux des étrangers de Belgique de la suspension de l’exécution des décisions de refus de visa. Cette juridiction a décidé, en urgence, d’interroger la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) au sujet de l’interprétation du code des visas, ainsi que des articles 4 (interdiction de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants) et 18 (droit d’asile) de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Les conclusions de l’avocat général Paolo Mengozzi

Dans ses conclusions présentées le 7 février 2017, l’avocat général Paolo Mengozzi arrive tout d’abord à la conclusion que la situation de la famille syrienne en question est régie par le code des visas et, dès lors, par le droit de l’Union.

Il est également d’avis que, en adoptant une décision au titre du code des visas, les autorités d’un État membre mettent en œuvre le droit de l’Union et sont, dès lors, tenues au respect des droits garantis par la Charte.

L’avocat général Mengozzi souligne à cet égard que les droits fondamentaux consacrés par la Charte, dont le respect s’impose à toute autorité des États membres agissant dans le cadre du droit de l’Union, sont garantis aux destinataires des actes adoptés par une telle autorité indépendamment de tout critère de territorialité.

Sur la question de savoir si un État membre est tenu de délivrer un visa humanitaire, en présence d’une situation où il existe un risque avéré de violation, notamment, de l’article 4 de la Charte, l’avocat général répond par l’affirmative et ce indépendamment de l’existence ou non d’attaches entre la personne et l’État membre sollicité.

L’avocat général s’oppose à une interprétation du code des visas selon laquelle celui-ci ne confère aux États membres qu’une simple habilitation à délivrer de tels visas. Sa position se fonde tant sur le libellé et la structure des dispositions du code des visas que sur la nécessité pour les États membres, dans l’exercice de leur marge d’appréciation, de respecter les droits garantis par la Charte lorsqu’ils appliquent ces dispositions.

Dans ce contexte, la marge d’appréciation dont disposent les États membres est nécessairement encadrée par le droit de l’Union.

Pour l’avocat général, il est indéniable que les requérants étaient exposés en Syrie, à tout le moins, à des risques réels de traitements inhumains d’une extrême gravité relevant clairement du champ d’application de l’interdiction prévue à l’article 4 de la Charte. Au vu, notamment, des informations disponibles sur la situation en Syrie, l’État belge ne pouvait pas conclure qu’il était exonéré de satisfaire à son obligation positive en vertu de l’article 4 de la Charte.

Dès lors, l’avocat général Mengozzi propose à la Cour de répondre au Conseil du contentieux des étrangers que l’État membre, auquel un ressortissant d’un pays tiers demande la délivrance d’un visa à validité territoriale limitée pour raisons humanitaires, est tenu de délivrer un tel visa s’il existe des motifs sérieux et avérés de croire que le refus de procéder à la délivrance de ce document conduira à la conséquence directe d’exposer ce ressortissant à subir des traitements prohibés par l’article 4 de la Charte, en le privant d’une voie légale pour exercer son droit de solliciter une protection internationale dans cet État membre.