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Note dans l’affaire CJCE 319/06 (Directive détachement)


Note dans l’affaire CJCE 319/06 (Directive détachement)

Commission c./ Luxembourg

 

 

 

I - Remarques introductives générales

 

L’arrêt rendu aujourd’hui prend la suite d’un certain nombre d’arrêts récents de la Cour de Justice (Rüffert, Laval, Viking) en matière de droit social européen. L’arrêt sous rubrique ajoute ainsi un élément supplémentaire à la définition de l’ordre public social national sous un angle de vue européen.

 

La question se pose dans quelle mesure l’ordre public social national peut mettre en question l’application des libertés fondamentales du Traité.

 

Deux des griefs relevés par la Commission concernent l’étendue des dispositions sociales obligatoirement applicables à l’ensemble des travailleurs, y compris donc les travailleurs détachés.

 

Deux autres concernent les moyens de contrôle de l’application de ces dispositions.

 

Si la Cour a donné raison à la Commission sur les quatre griefs, il n’en reste pas moins que les condamnations sur l’étendue du droit social ne posent pas véritablement problème. Il en est autrement pour les condamnations sur les moyens de contrôle.

 

De manière générale, la Cour ne remet pas en cause, ni notre droit du travail, ni surtout notre système des conventions collectives d’obligation générale conclues au Grand-Duché. L’arrêt n’ébranle donc pas notre droit social, mais confirme en fait sa portée et le rôle que nous avons toujours voulu lui attribuer (que ce soit par la législation ou le dialogue social que nous avons toujours soutenu).

 

Les critiques que la Cour a émises ne touchent pas véritablement l’étendue du droit social luxembourgeois applicable aux travailleurs détachés, elles touchent plutôt la forme du contrôle de son application dans le cadre de la directive détachement.

 

En effet, la Cour critique notre dispositif de contrôle de l’application du droit du travail par rapport aux travailleurs détachés.

 

Le reproche principal que la Cour adresse au Luxembourg est lié au critère de « proportionnalité » des moyens de contrôle mis en oeuvre.

 

La question à trancher par la Cour était donc : est-ce que le Grand-Duché a mis en place des mesures proportionnées pour assurer l’application de ses règles sociales ?

 

La réponse de la Cour est subtile: oui, mais pas dans tous les cas.

 

Nous appliquerons naturellement cet arrêt par des réponses et des mesures qui seront plus proportionnées que celles qui sont d’application aujourd’hui jugées non conformes par la CJCE. Mesures auxquelles le Gouvernement a évidemment réfléchi en attendant l’arrêt à intervenir et qu’il entend sous peu discuter avec les partenaires sociaux. En effet, les mesures de contrôle actuelles étaient très efficaces dans le cadre des actions « coup de poing » et ont permis d’endiguer maints abus en matière de dumping social et de concurrence déloyale. Il échet donc de le remplacer au plus vite par un nouveau système.

 

Le Ministre du Travail et de l’Emploi François BILTGEN, entend néanmoins soulever sur le plan européen la Le Ministre du Travail et de l’Emploi François BILTGEN, entend néanmoins soulever sur le plan européen la question de l’évolution jurisprudentielle en matière d’ordre public social. En effet, même si les critiques acerbes formulées par les uns ou les autres, ne sont pas toujours fondées, il n’en reste pas moins que les jurisprudences récentes suscitent des craintes parmi les citoyens quant à l’efficacité de l’Europe sociale. Voilà pourquoi le ministre avait déjà lors de la réunion des Ministres des Affaires Sociales de l’Union Européenne le 9 juin à Luxembourg demandé à la Commission de l’Union Européenne d’analyser de près l’évolution de la jurisprudence quant à la volonté initiale du législateur européen. Lors de ses entretiens d’hier avec le Ministre du Travail et de la Solidarité de la France, Xavier Bertrand, futur président du Conseil des Affaires sociales, il lui avait également suggéré de discuter le sujet sous Présidence française.

 

 

II – Analyse détaillée

 

 

Historique

 

 

La Commission estime que la législation luxembourgeoise (loi du 20 décembre 2002 portant sur la transposition de la Directive 96/71 et le contrôle de l’application du droit du travail), intégrée au Code du travail notamment sous les articles L. 010-1 et L. 141-1 et suivants du Code du Travail est contraire à la Directive 96/71 sur le détachement des travailleurs (DDT).

 

En juillet 2006, la Commission a saisi la Cour de Justice des Communautés européennes (CJCE).

 

Les conclusions de l’avocate générale datent du 13 septembre 2007.

 

La CJCE a prononcé son arrêt le 19 juin 2008.

 

 

Contenu de l’arrêt

 

1.   L’ordre public social national

 

 

La DDT établit une liste de dispositions obligatoires s’appliquant à tous les travailleurs y compris les travailleurs détachés, alors que l’article 3.10 de la directive permet aux Etats membres d’étendre cette liste à d’autres matières si ces conditions supplémentaires constituent des règles d’ordre public. Elle permet également d’étendre les conditions de travail prévues dans les conventions collectives d’obligation générale à d’autres activités que les travaux de construction mentionnés en annexe de la DDT.

 

Le Luxembourg a utilisé cette possibilité.

 

La Commission critique cette extension sur les points suivants :

-   exigence d’un contrat écrit conformément à la directive 91/533 ;

-   indexation automatique des salaires applicable aux travailleurs détachés ;

-   la réglementation sur le travail à temps partiel et sur le travail à durée déterminée ;

-   le respect de la législation sur les conventions collectives du travail.

 

Elle estime que les Etats membres ne peuvent pas utiliser cette possibilité d’extension de manière illimitée, mais qu’ils doivent tenir compte à cet égard des libertés fondamentales du Traité ainsi que de la finalité de la DDT. La Commission suivie par l’avocate générale et la Cour expliquent cela par la finalité de l’exercice de la libre prestation de services aussi inhérente à la DDT que la protection des travailleurs et l’interprétation restrictive des dispositions dérogatoires aux libertés fondamentales. L’ordre public est un principe de droit communautaire et peut être contrôlé par la CJCE.

 

Les organes communautaires estiment en outre que la notion d’ordre public peut être Les organes communautaires estiment en outre que la notion d’ordre public peut être définie en fonction de la Déclaration no. 10 du Conseil annexée à la DDT qui dispose que les « termes dispositions d’ordre public doivent être considérées comme celles couvrant celles des dispositions obligatoires à l’égard desquelles on ne peut pas déroger et qui, par leur nature et leur objectif, répondent aux exigences impératives de l’intérêt public ».

 

Selon la décision intervenue le droit du travail national ne peut constituer dans son ensemble un corps de règles d’ordre public. Les dispositions nationales doivent être examinées au cas par cas au sens des réflexions qui précèdent. Seules pourraient être prises en compte les conditions de travail et d’emploi prescrites par la loi qui sont indispensables pour l’ordre juridique des Etats membres.

 

Dans le détail les questions suivantes ont été posées.

 

 

·   adaptation automatique de la rémunération au coût de la vie

 

Contrairement à l’avocate générale, qui avait conclu à la conformité de la disposition étendant la législation sur l’indexation automatique des salaires aux travailleurs détachés, et qui avait compris que le souci du Luxembourg était l’application de l’indexation automatique aux salaires minimaux fixée par la loi ou une convention collective d’obligation générale, la Cour juge la législation luxembourgeoise contraire à la DDT. Elle argue du fait que cette disposition permettrait d’imposer l’ensemble du système de fixation de salaires aux travailleurs détachés, alors que la DDT limite la possibilité d’intervention des Etats membres aux salaires minimaux fixés par loi ou convention collective d’obligation générale. Par ailleurs la Cour ne met pas en cause l’applicabilité des niveaux de salaires en soi, mais la seule adaptation indiciaire pour les salaires autres que les salaires minimaux pour les travailleurs détachés.

 

Il en résulte que l’arrêt ne constitue pas un revirement fondamental. L’essentiel est encore une fois sauvegardé. Les salaires minimaux légaux et conventionnels peuvent être indexés aussi pour les travailleurs détachés. Il faut d’ailleurs aussi relativer la portée de cette disposition. Les salaires applicables au moment du début du détachement sont tels quels applicables aux travailleurs détachés. Ils comprennent donc les tranches indiciaires échues avant ce début. Si une tranche indiciaire échoit durant le détachement, elle s’applique pour les salaires minimaux légaux et conventionnels.

 

 

·   prescriptions relatives au contrat écrit ou au document établi en vertu de la directive 91/533

 

La Cour estime ici que si la preuve écrite de la relation du travail conformément à la directive 91/533 est établie et contrôlée dans l’Etat détachant qui a fait usage de ses pouvoirs de contrôle lui accordés par cette directive, il ne saurait être question d’une compétence de l’Etat d’accueil conformément à cette directive si dans l’Etat détachant il a été veillé, comme exigé par la directive en question que le travailleur détaché a auparavant reçu les informations écrites relatives à sa relation du travail et des informations supplémentaires relatives aux cLa Cour estime ici que si la preuve écrite de la relation du travail conformément à la directive 91/533 est établie et contrôlée dans l’Etat détachant qui a fait usage de ses pouvoirs de contrôle lui accordés par cette directive, il ne saurait être question d’une compétence de l’Etat d’accueil conformément à cette directive si dans l’Etat détachant il a été veillé, comme exigé par la directive en question que le travailleur détaché a auparavant reçu les informations écrites relatives à sa relation du travail et des informations supplémentaires relatives aux conditions de détachement. L’ajout du respect de cette directive sur la liste des dispositions d’ordre public est donc contraire à la DDT. L’arrêt ne cause pas de problèmes particuliers. Il permet notamment à l’Inspection du Travail de demander à l’entreprise ou à son homologue étrangère de prouver que l’application de la directive 91/533 a bien été contrôlée dans l’Etat détachant.

 

 

·   prescriptions relatives au travail partiel et au travail à durée déterminée

 

La Cour estime que le fait que la DDT n’ait pas repris parmi le noyau dur des dispositions applicables erga omnes la réglementation sur les deux types de travail plaide pour la thèse selon laquelle les directives 97/81 et 1999/70 traitant de ces formes de travail garantissent déjà, dans l’ordre juridique communautaire, les droits de ces travailleurs, cette partie du droit communautaire ne relevant précisément pas de l’ordre public communautaire à défaut d’être reprise dans le noyau dur de la DDT. Les réglementations communautaires qui sont donc transposées par tous les Etats membres, sur les travailleurs dits atypiques, s’appliquent donc aux prestataires de services de tous les Etats membres et garantiraient donc les intérêts des travailleurs. Selon la Cour le Gouvernement luxembourgeois ne saurait se prévaloir des raisons impérieuses d’intérêt général pour qualifier les réglementations nationales (note du rédacteur : qui ont largement leur origine dans les textes communautaires) de dispositions d’ordre public. Effectivement les dispositions minimales européennes pour les travailleurs à durée déterminée et les travailleurs à temps partiel doivent être respectées dans tous les Etats membres.

 

 

·   prescriptions relatives aux conventions collectives de travail

 

La condamnation sur ce point résulte effectivement d’un malentendu lors de la transposition de la DDT. La loi luxembourgeoise a intégré dans la liste des dispositions applicables aussi aux travailleurs détachés, la législation sur les conventions collectives du travail, ce qui voudrait signifier que les entreprises détachantes pourraient par exemple être forcées à négocier des conventions collectives pour leurs travailleurs détachés par définition pour la période de détachement (le cas échéant brève). La Cour semble craindre que le législateur luxembourgeois avait l’intention de déclarer applicables à des travailleurs détachés des dispositions résultant de conventions collectives non d’obligation générale, alors que la DDT limite cette possibilité aux règles résultant de conventions d’obligation générale. Ce n’était jamais l’intention du législateur luxembourgeois.

 

L’essentiel est donc sauvegardé. La Cour accepte évidemment que les dispositions de la liste déclarée d’ordre public (sauf les 3 actuellement mises en cause) et applicables erga omnes, figurant dans des conventions collectives de travail déclarées d’obligation générale, continuent à être d’application aussi pour les travailleurs détachés.

 

La différence de l’arrêt sous rubrique avec les arrêts Ruffert et Laval, dans lesquels la CJCE avait souligné que les dispositions des conventions collectives n’étaient pas d’application générale, est donc évidente..

 

 

2.   La notion de périodes de repos

 

C’est à juste titre que la Commission avait relevé que la transposition de la DDT avait limité par indavertance l’obligation des périodes de repos minimales applicables aussi aux travailleurs détachés au repos hebdomadaire. Entretemps la loi luxembourgeoise (loi du 19 mai 2006) a rectifié la situation en incluant les repos journaliers et les temps de pause dans la liste des dispositions d’ordre public. La condamnation sur ce point est formelle alors que la rectification est intervenue après l’écoulement du délai de deux mois suivant l’avis motivé.

 

 

3.   L’information préalable de l’Inspection du travail et des Mines : absence de proportionnalité et insécurité juridique

 

La loi luxembourgeoise exige des entreprises détachantes «de rendre accessibles à l’autorité de contrôle avant le commencement des travaux, sur simple demande et dans le plus bref délai possible, les indications essentielles indispensables à un contrôle».

Selon la Cour cette disposition ne serait pas assez claire pour garantir au prestataire de services étranger la sécurité juridique nécessaire. Comme cette disposition risque donc d’augmenter le danger pour les entreprises de se retrouver en violation de la loi par manque de sécurité juridique, la Cour estime qu’elle viole l’article 49 du Traité.

La Cour estime que cette obligation constitue une charge additionnelle pour les prestataires de services étrangers de nature à rendre le détachement de travailleurs moins attractive. Elle note aussi que dans le cas où l’employeur ne met pas à disposition l’information demandée, l’Inspection du Travail peut ordonner la cessation immédiate des activités jusqu’au moment où tous les documents sont disponibles ; que la prestation de services serait donc en fait   soumise à autorisation administrative préalable .

 

La Cour suggère qu’il est plutôt indiqué que l’État membre d’accueil limite son intervention à l’examen des informations nécessaires fournies par le prestataire de services au moment d’entamer ses activités dans l’État membre d’accueil et ne prenne des sanctions que lorsque cela apparaît nécessaire . Elle préfigure donc la solution de toute manière envisagée par le Gouvernement luxembourgeois. L’arrêt ne met donc pas en cause l’objectif de la DDT mais incrimine certains des moyens employés par le législateur luxembourgeois pour y parvenir.

Il échet donc de remplacer le système actuel au plus vite par un nouveau système, plus conforme au principe de la proportionnalité, mais tout aussi efficace.

  4. L’exigence d’un mandataire ad hoc sur territoire luxembourgeois

La législation luxembourgeoise exige la nomination par l’entreprise détachante d’un mandataire ad hoc résidant au Luxembourg qui doit garder les documents nécessaires au contrôle à effectuer par l’Inspection du Travail. La Cour estime, contrairement à ce qu’avait plaidé le Gouvernement luxembourgeois, que cette exigence est disproportionnée, notamment au vu du système en place de coopération interadministrative transfrontalière. Le système causerait des coûts supplémentaires pour les prestataires de services étrangers et constituerait donc une entrave à la libre prestation de services.

Par contre la Cour reconnaît que, en citant l’arrêt Arblade, des contrôles sur place sont indispensables, mais incrimine les moyens mis en place, notamment le mandataire ad hoc. L’arrêt contient donc la reconnaissance pour le Gouvernement luxembourgeois (comme pour le point 3 qui précède) de prévoir des moyens de contrôle moins contraignants qu’un mandataire ad hoc, que les instances semblent d’ailleurs à tort avoir défini comme personne ou institution ayant vocation particulière à être dépositaire de documents sociaux (fiduciaire, avocat, etc. ..) . D’où l’invocation du risque de coûts supplémentaires pour entreprises étrangères détachantes. Comme cette définition n’était jamais voulue par le législateur luxembourgeois, une solution pragmatique garantissant le respect de l’application de la législation tout en respectant le souci des juges semble donc pouvoir être mise en place.

 

 

 

 

 

 

 

 

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