Jean Asselborn et Miguel Angel Moratinos, ministres des Affaires étrangères du Luxembourg, respectivement de l'Espagne, ont publié ce 16 janvier un article dans la presse européenne qui expose les raisons pour lesquelles ils ont invité à la réunion des 18 pays ayant ratifié le traité constitutionnel à Madrid le 26 janvier prochain.
"Nous sommes maintenant 27 ! Du comté de Kerry aux Carpates orientales, de la Laponie aux îles Canaries, près de 500 millions d’habitants connaissent la paix ainsi qu’un progrès économique et social probablement sans équivalent dans l’histoire.
Pourtant, depuis plus d’une décennie, depuis le célèbre Traité de Maastricht, nous nous interrogeons sur l’Europe que nous voulons. De toute évidence, ce n’est pas une question facile. Longtemps, trop longtemps, nous avons tenté d’y répondre sans nous interroger suffisamment sur ce "nous". Il ne s’agit en effet pas de savoir quelle est l’Europe que "nous", hommes politiques et hauts fonctionnaires qui connaissons le quotidien des institutions de l’Union européenne souhaitons, mais de déterminer quelle Europe « nous », les citoyens, voulons.
Il y a cinq ans maintenant, les responsables politiques européens constatèrent que l’avenir de l’Union européenne resterait incertain sans un soutien et un ferme engagement populaires. Ils décidèrent alors de lancer une réflexion et un débat, qui conduisirent à la rédaction et à l’adoption du Traité établissant une Constitution pour l’Europe, signé à Rome, le 29 octobre 2004, par tous les gouvernements des États membres de l’Union européenne.
Le texte de ce Traité constitutionnel n’est certes pas parfait. La démocratie dont nous jouissons n’est pas non plus un système de gouvernement parfait, mais c’est bien le meilleur que nous connaissions. La politique est l’art du possible assorti de la saine ambition d’entreprendre demain ce qui semble aujourd’hui impossible.
Le Traité constitutionnel tente d’apporter des solutions ou, à tout le moins, de tracer les voies pour que l’Union et les États membres puissent relever les défis majeurs de la nouvelle réalité sociale et économique, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de ses frontières. Il s’agit de répondre efficacement aux attentes des citoyens en matière d’environnement, de politique énergétique, d’immigration, de coopération au développement, de sécurité intérieure et extérieure, etc.
L’une des principales avancées du Traité constitutionnel porte sur l’action extérieure de l’Union. En effet, dès le commencement des travaux qui ont débouché sur l’adoption de ce nouveau texte, on est vite venu à la conclusion qu’il y avait en particulier deux domaines sur lesquels les citoyens européens fondaient leurs espoirs : la construction d’un véritable espace de liberté, sécurité et justice et, d’autre part, la politique extérieure.
Le nouveau texte commence par établir des objectifs ambitieux qui reflètent le désir des femmes et des hommes de l’Europe de se sentir légitimement fiers d’une Union, qui soit acteur et non simplement spectateur dans les relations internationales et, plus encore, d’une Union qui fasse à tout moment honneur à la défense et la promotion de ses propres valeurs.
Des valeurs que le Traité constitutionnel proclame haut et fort, lorsqu’il établit, dès le début, que l'Union est fondée sur le respect de la dignité humaine, de la liberté, de la démocratie, de l’égalité, et de l’État de droit, et surtout sur le respect des droits de l'homme.
Dans ses relations avec le reste du monde également, le Traité constitutionnel insiste sur le fait que l'Union "va promouvoir ses valeurs" et, ainsi contribuer à la paix, à la sécurité, au développement durable de la planète, à la solidarité et au respect mutuel entre les peuples, au commerce libre et équitable, à l'élimination de la pauvreté et à la protection des droits de l'homme, ainsi qu'au strict respect et au développement du droit international.
Tous ces préceptes ne seraient qu’une liste de bonnes intentions si l’Union ne se dotait pas des moyens nécessaires pour une action efficace. C’est pourquoi le Traité constitutionnel prolonge le mandat du président du Conseil européen et prévoit la création du poste de ministre des Affaires étrangères de l’Union, secondé par un service européen pour l’action extérieure. D’où également l’insistance sur la cohérence des différents instruments de la politique extérieure, l’amélioration et l’assouplissement des processus de décision ou l’établissement de mécanismes, fondés sur la participation volontaire, pour renforcer la politique européenne de sécurité et de défense.
Toutes ces innovations permettront à l’Union de mieux affronter à l’avenir des crises humanitaires comme celle provoquée par le tsunami en décembre 2004 en Asie du sud-est ou par les conflits du Liban au printemps dernier. Ces dispositions nous donneront des moyens améliorés pour participer à des missions comme le soutien aux récentes élections en République démocratique du Congo ou le maintien de la paix et la stabilité au Kosovo, et permettront une action européenne encore plus efficace et résolue dans le conflit du Moyen-Orient.
Nous avons besoin d’une Union qui puisse faire entendre sa voix, avec fermeté mais sans arrogance, dans les débats internationaux sur des sujets essentiels tels que le changement climatique, la non-prolifération des armes de destruction massive ou la mise en place d’un commerce international, qui allie progrès économique et justice sociale. L’Europe ne peut pas se permettre le luxe d’être absente. Et "nous", citoyens, ne devons pas y consentir.
Le Traité constitutionnel permettra ainsi à l’action extérieure de l’Union d’être à la hauteur des attentes des citoyens européens. Il est vrai que sa seule entrée en vigueur ne suffira pas à améliorer foncièrement le bilan, encore modeste, de la politique extérieure et de sécurité commune que les États membres développent conjointement dans le cadre de l’Union. Cela exige, en outre, une volonté politique forte de la part des différents gouvernements, mais le Traité constitutionnel est une condition nécessaire pour atteindre cet objectif.
Les réflexions ci-dessus, et d’autres, ont conduit les gouvernements du Luxembourg et d’Espagne à organiser une réunion informelle, le 26 janvier prochain, à Madrid, des États membres qui ont ratifié le Traité constitutionnel (dix-huit à l’heure actuelle), dans le but de réfléchir aux mesures susceptibles de préserver les indéniables progrès que représente le Traité.
La consolidation du projet d’intégration européen, au sein d’un monde en pleine évolution et toujours plus complexe, sera – cela l’est déjà - le défi que notre continent devra relever dans ces premières années du XXIe siècle. Les générations à venir nous jugeront sur les efforts que nous aurons consacrés à cette entreprise. Pour entreprendre cette route, il est indispensable de retrouver, d’un côté, l’esprit des pères fondateurs, comme Schuman et Monnet, et, de l’autre, de se doter des moyens nécessaires. C’est là que le Traité constitutionnel est sans doute le meilleur instrument dont nous disposons : s’il n’existait pas, nous devrions nous mettre d’accord pour le réinventer."
*Jean Asselborn est Vice-Premier Ministre et Ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du Grand-Duché de Luxembourg. Miguel Angel Moratinos est Ministre des Affaires étrangères et de la Coopération du Royaume d’Espagne.