Dans le cadre d’un large débat public, les États membres de l’Union européenne avaient été appelés par la Commission européenne à réfléchir et à se prononcer sur la manière de faire évoluer le droit du travail dans le sens du processus de Lisbonne. Il s’agit notamment de relever le défi de la conciliation d’une flexibilité accrue avec la nécessité d’offrir un maximum de sécurité aux salariés. Le Livre vert de la Commission européenne constitue un premier pas dans une discussion qui peut déboucher sur un Livre blanc voire une directive.
Le ministre du Travail et de l’Emploi a présenté la position que son Gouvernement a arrêtée le 6 avril 2007 par rapport aux différents sujets traités par le Livre vert :
Une conférence avec le Commissaire européen à l'emploi, aux affaires sociales et à l'égalité des chances, Vladimir Spidla et une large consultation publique, notamment par l’intermédiaire du site www.europaforum.lu, qui avait publié plusieurs positions d’organisations patronales, syndicales et sociales, avaient précédé la finalisation de cette prise de position luxembourgeoise. Ce débat était selon le ministre d’autant plus nécessaire que l’Europe sociale est devenue une préoccupation essentielle des citoyens
La position du Gouvernement luxembourgeois tourne selon François Biltgen autour de 5 axes :
En ce qui concerne le premier axe, le Gouvernement remet en question le "prétendu impact déterminant de l’adaptation du droit du travail dans le cadre de la mise en œuvre de la stratégie de Lisbonne". Il appartiendra d’avantage aux partenaires sociaux de négocier les ajustements en matière de droit de travail et de fonctionnement du marché du travail. Il est par conséquent en faveur d’une "discussion sur le caractère supplétif du droit législatif par rapport au droit conventionnel", le droit législatif pouvant parfois être trop rigide pour répondre aux besoins des partenaires sociaux. Plutôt que de prôner une "modernisation du droit du travail", François Biltgen plaide en faveur d’une "nouvelle gouvernance économique" qui peut aboutir par exemple à des accords qui peuvent être déclarés d’obligation générale, comme ce fut le cas pour le télé-travail.
Selon le ministre luxembourgeois, il faut en tout cas "sortir de la pensée unique qui dit que seul une LPE moins rigide peut augmenter le taux de création d’emplois." La position du Gouvernement luxembourgeois essaie de montrer que la LPE n’empêche pas nécessairement la création d’emplois. Elle peut rendre plus difficile la mobilité interne des salariés. Mais en gros, la corrélation négative entre rigueur de la LPE et taux de chômage global n’est pas prouvée. Le Luxembourg est certes considéré par l’OCDE comme un des pays où la LPE serait la plus stricte. Pourtant, la création d’emplois n’en souffre pas, même si le chômage touche les moins qualifiés. L’OCDE recommande ainsi dans un premier temps la réforme de la législation du travail temporaire. Le Gouvernement luxembourgeois quant à lui préfère renforcer la protection de toutes les relations contractuelles, et notamment les CDD et le travail intérimaire qui le sont souvent moins à l’étranger. Par ailleurs, il exprime clairement sa préférence pour le CDI comme norme en matière de contrats de travail.
Le Gouvernement conteste qu’un droit de travail plus rigide puisse empêcher les restructurations, mais aussi qu’un droit du travail plus flexible puisse éviter aux entreprises les difficultés auxquelles elles se heurtent. La question centrale est l’innovation. Une entreprise devient pour le ministre plus concurrentielle en devenant plus productive, et elle le devient par l’innovation, l’investissement et la formation. D’où la double question : comment le droit du travail peut-il favoriser l’innovation ? Et : comment anticiper les restructurations ? Quelques pistes seraient : organiser le life long learning entre partenaires sociaux, former les travailleurs, mettre par exemple 80 jours ouvrables à leur disposition pendant la durée de leur vie de travail, maintenir l’emploi qualifié et un personnel stable et qui est capable d’innover, mais aussi anticiper les transitions et les accompagner pour éviter les plans sociaux "secs". Pour cela, il n’y pas besoin d’assouplir la LPE, mais d’encadrer les transitions.
Dans ce contexte, le ministre, qui ne pense pas que des baisses de salaires favorisent la productivité, voudrait que l’Union européenne réfléchisse à un socle minimum de droits sociaux qui concilie les notions de flexibilité et de sécurité. Les conditions de cette conciliation qui conduirait à une certaine Europe sociale sont la subsidiarité, non pas une harmonisation, mais un socle minimum de droits sociaux qui inclue également un salaire minimum européen qui serait dans chaque Etat membre une rémunération spécifique supérieure au seuil de pauvreté local, et de nouvelles flexibilités. Une de ces nouvelles flexibilités serait un compte épargne-temps qui permettrait à des travailleurs jeunes de travailler plus lorsqu’ils sont jeunes et de moduler leur temps de travail plus tard. Le Gouvernement luxembourgeois veut aborder un tel sujet dans le cadre de l’élaboration du paquent législatif relatif au statut unique.
Partant du fait que l’emploi est une notion économique et le travail une notion humaine, le ministre pense que tout travail doit être rémunéré par un vrai salaire. Il veut donc que la notion de travailleur salarié et d’indépendant continuent à être qualifiées au niveau national. Il ne veut pas de 3e statut, pas d’une zone grise, par crainte des possibilités de dumping social. Il veut donc aussi une réglementation au niveau européen des relations de travail triangulaires impliquant la responsabilité des entreprises de travail intérimaire et utilisatrices.
Il estime que le contrôle de l’application du droit du travail relève des Etats membres, et notamment des pays d’accueil en cas d’opérations transfrontalières. Dans son papier, le gouvernement revendique le soutien de la Commission pour que les Etats membres puissent remplir ce rôle et récuse toute initiative qui affaiblirait leurs compétences dans ce domaine "sous prétexte de prétendue entrave à la liberté de prestations des services." Le papier ajoute : "C’est à ce prix qu’est l’acceptation du marché intérieur européen par les citoyens de l’Union européenne." Ou comme l’a dit le ministre Biltgen : "Les hypothèses simples, comme celle qu’une LPE plus stricte réduit le taux de création d’emplois, ne fonctionnent pas de manière générale. La Commission va pouvoir constater que les pays ne se ressemblent pas."