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Culture
Les collectivités territoriales, moteur de la coopération culturelle transfrontalière en Europe – Les rencontres de Luxembourg (I)
12-10-2007


"Les rencontres", l’association des villes et régions de la Grande Europe pour la culture, a organisé son grand rendez-vous annuel les 12 et 13 octobre 2007 à Luxembourg, capitale européenne de la culture pour 2007 autour d’un grand sujet : la coopération culturelle transfrontalière en Europe.

Lors de la séance d’ouverture, Colette Flesch, échevin en charge de la culture de la Ville de Luxembourg, souligna l’orientation transfrontalière vers la Grande Région adoptée par Luxembourg pour 2007 et renvoya également à la dimension culturelle de l’initiative Quattropole Luxembourg-Metz- Saarbrücken-Trier et le réseau Lela constitué entre les villes d’Esch-sur-Alzette, Longwy et Arlon.

La culture au centre du projet européen ; la coopération transfrontalière une exception européenne

Roger Tropéano, président des "Rencontres" a dressé l’historique de son réseau qui ne réunissait qu’une dizaine de personnes lors de sa première réunion en 1992 à Madrid et qui est devenu nettement plus grand quinze ans après. "L’Europe culturelle est en marche", a-t-il déclaré, "surtout dans le domaine transfrontalier." Pour Roger Tropéano, la culture est au centre du projet européen, et dans ce cadre, les collectivités jouent un rôle moteur pour divulguer la culture dans les espaces transfrontaliers et faire face à l’uniformisation qu’entraîne la mondialisation.

Claude Frisoni, le directeur du CCR Neumünster, où la rencontre a eu lieu, dressa le tableau d’une Europe qui met progressivement fin à ses divisions, dont la Grande Région fut si souvent le théâtre depuis que Charlemagne en avait en 806, à Thionville, par sa "divisio regnorum" inauguré les déchirures. Il mit lui aussi en valeur le "rôle des villes dans la diffusion culturelle," car elles sont " le premier acteur culturel vis-à-vis du citoyen."

Yves Vasseur, l’intendant du "Manège" de Mons, se posa la question s’il était possible de nourrir un projet transfrontalier sans avoir fait l’expérience de la nature de la frontière. Et il se demanda également s’il était possible de faire l’économie de la relation entre le passage et la transgression et entre le partage et la douleur dans un projet transfrontalier. Finalement, il s’interrogea si une politique européenne de la culture pourrait avoir une légitimité sans ces projets transfrontaliers qui constituent pour lui des "pierres à l’édifice de l’Europe."

Rafael Mandujano, chef de projet chez les "Rencontres", souligna le caractère exceptionnel dans le monde de la coopération culturelle transfrontalière en Europe. C’est surtout à l’égard du voisin, souvent ignoré, qui laisse indifférent, que cette coopération révèle son importance. Car si elle est un facteur de paix et de partage, elle suscite également la compréhension réciproque, l’empathie, des synergies et peut être efficace dans le domaine de la divulgation de la culture. Il y a bien sûr des obstacles : l’inadéquation du cadre juridique, la fragilité des partenaires, les différences culturelles et linguistiques, la complexité des procédures. La coopération n’est pas nécessaire en termes économiques, "elle a sa légitimité en elle-même." Et de conclure : "le transfrontalier ne se décrète pas."

Martin Guillermo - L’ARFE, un véritable laboratoire pour l’intégration européenne

Martin Guillermo, secrétaire général de l’Association des régions frontalières d’Europe (ARFE) a présenté les objectifs et les missions de ce réseau et a expliqué ses défis pour l’avenir.

"Historiquement c’était un vrai défi, car il s’agissait d’un véritable laboratoire pour l’intégration européenne" a-t-il résumé les origines de l’association en 1971.

L’ARFE travaille pour les régions transfrontalières et aux frontières de l’Europe. Son objectif est d’encadrer les régions dans leurs démarches, de coordonner leur travail commun et de leur transmettre des informations et du savoir-faire. "Notre objectif n’est pas seulement d’ordre économique mais aussi d’ordre socioculturel", a tenu à préciser Guillermo. L’association contribue à la diffusion de la connaissance, met à disposition des cartes géographiques, du matériel, des publications, fait appel à des experts et contribue à développer la connaissance des langues.

La coopération s’est d’abord focalisée sur l’Union européenne, ce qui ne l’a pas empêché de développer des contacts en dehors de l’Europe, avec comme par exemple l’Amérique centrale ou l’Afrique. En 1971, l’association regroupait 10 membres. Aujourd’hui, ARFE compte 100 membres qui représentent plus de 200 régions transfrontalières.

Michel Foucher : La frontière, facteur d’identité et de reconnaissance

Michel Foucher, géographe, diplomate et commissaire de l’exposition "Frontières" fut le premier orateur de la session plénière au cours de laquelle il fut d’abord question des "frontières en partage".

"Je veux parler de manière concrète du phénomène de la frontière en Europe". C’est par ces mots que le géographe présenta de simples faits qui parlent pour eux-mêmes.

L’Europe des 27 a 14 000 kilomètres de frontières internes. Les frontières matérielles s’érodent progressivement. Mais les contrôles des douaniers subsistent d’une autre manière. En passant d’un pays à l’autre, on change de réseau GSM. Tous les 27 Etats membres ne sont pas dans l’espace Schengen. Tous n’ont pas adopté les mêmes règles dans le domaine de la justice et des affaires intérieures. Tous n’ont pas introduit l’euro. La frontière matérielle se dévalue donc, mais les frontières persistent. 10% de la population européenne vit à proximité des frontières internes. L’Union européenne compte également presque 14 000 kilomètres de frontières externes terrestres et maritimes. Dans le contexte européen, la libre circulation des personnes est selon les sondages "eurobaromètre" le plus évident des acquis de l’Union européenne, le plus populaire, bien avant la paix. Pourtant, la frontière reste une limite institutionnelle qui contribue à l’identité nationale et a une signification pour les populations. "On a besoin de frontières, de lignes de référence." Sinon, selon Michel Foucher, "l’Europe serait peuplée d’individus nomades indifférenciés."

"La frontière constitue également un processus de reconnaissance mutuelle." C’est maintenant le diplomate Michel Foucher qui parle, et qui relate son expérience d’ambassadeur de France à Riga entre 2002 et 2006. En 2004, la Lettonie et la Russie discutaient d’un traité frontalier dont la ratification signifierait pour les Lettons la reconnaissance de leur souveraineté nationale. Ici la frontière comme facteur de reconnaissance devenait un concept fondamental. Pour Michel Foucher, on continue a créer des frontières en Europe, puisqu’on y a créé de nombreux nouveaux Etats depuis 1990. Presque la moitié des frontières européennes actuelles ont été créées après 1945.

Il n’en reste pas moins que la dévaluation parallèle des frontières matérielles en Europe est une exception dans le monde, comme le sont les projets transfrontaliers culturels, qui absorbent plus de 5 milliards d’euros d’argent public et qui de plus ont pour objet de valoriser la diversité.

Pourtant, cette Europe si ouverte qui mise sur la diversité connaît des situations paradoxales. Ce sont les régions les plus transfrontalières de la France, de Dunkerque jusqu’à Thionville, qui ont voté Non en 2005 lors du référendum sur le traité constitutionnel. "Les frontaliers n’ont pas ce sentiment d’appartenance à l’Union européenne, car quelque part c’est humiliant d’aller travailler de l’autre côté." L’Alsace, qui gère ses fonds européens en direct, n’a pas eu ce problème. "Il faut mettre du réalisme dans une situation compliquée", dit Foucher, qui a aussi rappelé que le Sud du Luxembourg, si imprégné par la frontière, a également voté majoritairement contre le traité constitutionnel en 2005.

"Le thème de la frontière fait son retour dans les musées, la littérature, le cinéma, où 60 films lui ont été récemment consacrés, et même au théâtre et dans l’opéra." Et la photographie s’en est également saisie, comme la montré l’exposition "Frontières" dont Michel Foucher était le commissaire.

Pourtant, la construction de l’Europe, qui est une expérience transnationale, n’a selon Foucher pas fait progresser la connaissance des peuples entre eux. L’histoire européenne est compliquée, et celle de sa partie orientale encore plus. Ainsi, Michel Foucher a découvert, lorsqu’il était ambassadeur à Riga, qu’il n’y avait plus eu d’échanges culturels entre la France et la Lettonie depuis 1939. Avec l’accord du président de la République, il put organiser 90 manifestations culturelles dans toutes les villes lettonnes. "Mais sans l’aide des collectivités territoriales, régions, villes ou communes, cela n’aurait pas pu se faire."

Robert Garcia et Luxembourg – Grande Région, capitale européenne de la culture 2007

Robert Garcia, le coordinateur général de Luxembourg – Grande Région, capitale européenne de la culture 2007, exposa les défis politiques et culturels qu’il eut à affronter pour organiser l’événement, ainsi que les efforts qui sont d’ores et déjà menés pour pérenniser l’expérience.

La Grande Région est selon Garcia "un mythe, une fiction qui n’est marquée par aucun sentiment identitaire." Il s’agit d’une construction artificielle de 11 millions d’habitants composée d’un Etat souverain et de 4 parties d’Etats souverains. Cela a conduit à une situation "surréaliste" lorsque Garcia a été nommé coordinateur général en 2003. D’abord on avait arrêté un principe, celui de la territorialité des budgets, qui allait compliquer les choses. Ensuite, chaque région avait son thème, parce que les 5 entités participantes ne pouvaient pas s’unir sur un thème fédérateur, "ce qui a été dès le début la faiblesse du projet." Finalement, l’hétérogénéité politique entre villes, régions et Etats rendait le dialogue parfois très difficile.

Comme il n’existait pas non plus de coopération entre les acteurs culturels de la région, la coordination générale a organisé 37 tables-rondes thématiques avec entre 12 et 72 participants qui travaillaient à chaque fois dans des domaines similaires, mais qui ne se connaissaient que rarement entre eux. Ces tables-rondes eurent pour avantage de dégager des idées et de permettre le montage de projets communs. A la fin, 133 projets, un tiers des projets validés par la coordination générale, furent des projets transfrontaliers.

Quant au succès de l’entreprise, Robert Garcia a pu établir qu’au Luxembourg, 44 % de la population a pu être mobilisée pour des manifestations culturelles à caractère non festif, alors que normalement, 5 à 10 % de la population se mobilisent pour de tels événements. Les jeunes entre 19 et 24 ans étaient la catégorie d’âge la mieux représentée, de sorte qu’il pense qu’il faudra encore plus cibler les jeunes pour de tels événements.

Une agence culturelle transfrontalière sera créée en février ou mars 2008 pour pérenniser les réseaux qui sont nés pour 2007. Cette agence travaillera avec ses antennes dans les différentes régions. Le projet d’un Fonds culturel transfrontalier a par contre échoué. "On pourra y repenser dans 10 ans", a déclaré non sans ironie Robert Garcia. Le cerf bleu, "animal typique de la région peint en bleu, la couleur du rêve et de l’imagination" continuera sa vie de logo dans le champ culturel.

Nathalie Verschelde : "La Commission accorde une place importante à la culture"

Nathalie Verschelde, de la direction générale Unité Coopération Territoriale de la Commission européenne a fait une présentation exhaustive de l’initiative européenne "coopération territoriale européenne", l’ancien Interreg.

Interreg est une initiative du Fonds européen de développement régional qui s’inscrit dans l’agenda de Lisbonne. L’objectif est de renforcer la cohésion économique et sociale dans l’Union européenne en promouvant la coopération transfrontalière. Pour la période 2007-2013, Interreg dispose d’une enveloppe budgétaire de 8,7 milliards, un montant qui correspond selon Nathalie Verschelde, à 2, 5 % des fonds qui sont alloués aux fonds structurels.

Nathalie Verschelde a présenté les trois volets de l’initiative Interreg : la coopération transfrontalière, transnationale et interrégionale.

La coopération transfrontalière concerne des projets à caractère local et se limite aux zones frontalières terrestres et maritimes.

La coopération transnationale regroupe plusieurs Etats membres et favorise le développement intégré du territoire.

La coopération interrégionale n’a pas de limitations géographiques. Elle est dotée d’une enveloppe budgétaire de 321 millions et accorde un soutien à des réseaux de coopération avec comme priorités l’innovation et l’environnement.

Mais quelle est la place de la culture dans tout cela ? Selon Nathalie Verschel, la Commission accorde une place importante à la culture.

Pour illustrer ses propos, elle s’est référée aux résultats d’une étude récente qui montrent que 2, 6 % du PIB européen sont produits par la culture et que 5, 8 millions d’emplois ont été crées dans le secteur culturel. Ces chiffres illustrent finalement que la culture a sa place en Europe et qu’il faut explorer son potentiel.

Jean-Pierre Robbeets : "la coopération culturelle est possible avec Interreg"

Jean-Pierre Robbeets, inspecteur général de la direction des Relations Internationales du Ministère de la Région Wallonne, en Belgique, a montré en se référant à des exemples de projets culturels qui ont été réalisés entre 2000 et 2006 que la coopération culturelle est possible avec Interreg.

Jean-Pierre Robbeets a passé en revue les conditions que tout porteur de projet doit respecter pour pouvoir soumettre un projet : les règlements européens, les orientations du programme ainsi que les priorités qui ont été fixées par la Commission européenne.

Même si les démarches administratives sont parfois lourdes, la coopération culturelle cofinancée dans le cadre de Interreg est, selon Jean-Pierre Robbeets tout à fait possible. Pour illustrer ses propos, il s’est référé aux résultats d’une étude européenne. Ils montrent que 50 projets sur 283 projets ont été sélectionnés par la Commission européenne. En termes financiers, 62 millions sur 439 millions ont été injectés dans des projets culturels ce qui correspond à environ 15 % . "Ce pourcentage n’est évidemment pas identique sur toutes les frontières", a tenu à clarifier Robbeets.

Des exemples concrets de projets réalisés pendant la période 2000-2006 ont permis à Jean-Pierre Robbeets de montrer que la notion de culture revêt un caractère très large.

Il a cité l’exemple d’une télévision transfrontalière qui permet de promouvoir une image transfrontalière à l’intérieur des foyers. Un autre exemple est le projet « Borderline » qui a été réalisé en coopération avec la France, la Wallonie et la Flandre. Ce projet a permis à des musées de mettre sur pied des synergies en échangeant des œuvres.

Jean-Pierre Robbeets a incité l’assistance à soumettre des projets. Il a néanmoins souligné que les exigences en matière de projets sont de plus en plus importantes et "que Interreg n’est pas un simple guichet où l’on vient retirer de l’argent".