Le premier à prendre la parole fut Laurent Mosar (CSV), qui constata au nom de sa fraction que les acquis du traité de Lisbonne ne pouvaient masquer le fait que l’Europe actuelle était bien loin de celle des 6 ou des 9 Etats membres de ses débuts. La tendance dominante pointe vers une "Europe à la carte", avec ses opt-in et ses opt-out qui sont à mettre en relation avec une Europe de plus en plus élargie et de moins en moins approfondie. D’où un plaidoyer pour la constitution d’un noyau dur d’Etat qui appliquerait les traités dans leur intégralité.
Mosar s’est inquiété de la situation au Kosovo et a notamment redouté le risque de division au sein de l’Union européenne qui pourrait découler d’une situation où une déclaration d’indépendance unilatérale serait reconnue par un certain nombre de pays de l’Union. Il a également exprimé ses préoccupations sur l’effet que pourrait avoir une crise au Kosovo sur la Bosnie-Herzégovine (une sécession de la République serbe) ou sur l’Albanie.
Pour le député chrétien-social, une politique étrangère et de sécurité commune (PESC) serait encore plus tangible si l’Union européenne arrivait à s’unir pour occuper, après une réforme du Conseil de sécurité, un seul siège dans cet organe au nom de l’Union.
Charles Goerens (DP) a salué l’accord sur le traité de Lisbonne qui ressemble elon lui à 99 % au traité constitutionnel et qui peut donc être ratifié sans problème par la Chambre. Il a évoqué les perspectives de la PESC pour laquelle il faudra, notamment en cas de coopérations renforcées, peut-être payer un ticket d’entrée que le Luxembourg pourrait avoir des difficultés à financer. 100 millions d’euros annuels pour des investissements militaires et 2 % du PIB en dépenses militaires pour un pays qui arrive à peine à 0,5 %, cela susciterait un tollé politique général.
Goerens a abordé à titre d’exemple des sujets qui devraient selon lui être discutés plus franchement dans une Europe qui s’entend commune communauté de destin : les appels à la haine raciale d’un des partis de la coalition au pouvoir en Slovaquie ; le recours éventuel par des pays européens à leur force de frappe nucléaire en cas d’attaque terroriste, alors que l’Europe tombe sous une clause de solidarité qui impliquerait d'abord des décisions communes.
Ben Fayot (LSAP) a marqué le soutien de sa fraction à la politique étrangère du gouvernement, et notamment son refus du recours à la guerre pour la solution des problèmes internationaux. Il a évoqué les efforts de la Chambre pour donner à la politique européenne une place croissante dans ses activités et la volonté du législateur de créer à cette fin et de concert avec l’exécutif un cadre de coopération stable. Dorénavant, les discussions entre la Chambre et les commissaires européens seront publiques. Les discussions entre les députés et les citoyens sur l’Europe se multiplieront afin que la réflexion sur l’Europe s’anime et que les citoyens soient plus impliqués dans la construction européenne.
Car l’Europe est selon Fayot l’objet de nombreuses critiques, notamment quand des mesures pour parfaire le marché intérieur ont été conçues sans que l’on ait tenu compte de leur impact social. Les privatisations de certains services généraux ont conduit dans d’autres pays au dumping social, à la baisse du niveau des prestations de services dans des régions moins urbanisées, des situations qu'il faudra pallier.
Le député socialiste s’est ensuite interrogé sur le sens des missions militaires de maintien de la paix auxquelles le Luxembourg participe avec l’Union. Ces participations sont généralement bien acceptées, mais elles ne sont pas sans danger. Mais qu’en sera-t-il quand il y aura des accrocs ? Il n’en reste pas moins qu’elles sont pour le député un acte d’une solidarité qui ne peut pas seulement avoir recours au chéquier. Ben Fayot a néanmoins repoussé l’option que le Luxembourg se mette à constituer des unités de plus en plus importantes. Une spécialisation utile – le déminage, la purification des eaux, par ex. – et un investissement important dans la coopération pour le développement sont des alternatives plus valables pour le Grand-Duché.
Félix Braz, des Verts, tout en approuvant l’analyse de la situation mondiale faite la veille par Jean Asselborn, a exprimé sa crainte que la politique étrangère luxembourgeoise ne se dissolve complètement dans la politique étrangère européenne. Le nucléaire a été abordé par lui sous divers angles. Il a voulu savoir pourquoi le Luxembourg ne fait pas partie des pays qui ont demandé à Lisbonne que le traité EURATOM soit réformé. Il a aussi posé la question pourquoi l’Europe ne demandait pas aux pays africains de renoncer au nucléaire s’ils veulent recevoir plus de fonds européens. Finalement il a posé la question pourquoi l’Union européenne n’est pas plus ferme sur les questions des droits de l’homme avec les Etats-Unis et avec l’ONU, suite entre auitres aux rapports Marty sur les détentions secrètes en Europe et les listes noires des suspects de terrorisme.
Jacques-Yves Henckes (ADR) a exigé que le traité de Lisbonne soit ratifié par voie de référendum et que tout nouvel élargissement soit également soumis au suffrage universel. Il a réitéré son opposition à une entrée de la Turquie dans l’Union européenne, évoqué des directives européennes qui ont soulevé plus de problèmes qu’ils n’en ont résolu et salué les nouveaux pouvoirs que le traité de Lisbonne confère aux parlements nationaux dans le cadre des processus de décision européens.
Dans sa réponse aux députés, le ministre des Affaires étrangères, Jean Asselborn a tempéré sur la question du Kosovo. Une sécession de la République serbe (RS) de la Bosnie-Herzégovine en cas d’indépendance unilatérale du Kosovo lui semble improbable, car Banja-Luka, la capitale de la RS est devenue entretemps un pôle de développement économique dans la région, et ce grâce à son statut. Jean Asselborn a plaidé pour une Turquie qui se développe de concert avec l’Union européenne. Il a pensé qu’un siège Union européenne au Conseil de sécurité relevait encore de l’utopie pour au moins une demi-génération. Il s’est déclaré d’accord avec Charles Goerens sur les questions de dépenses militaires : "Même avec 2 % du PIB investis dans des dépenses militaires, le Luxembourg ne sauvera pas le monde. Mais avec 1 % de son PIB investi dans le développement, il sauvera beaucoup de monde."