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Justice, liberté, sécurité et immigration
4e Forum européen de la Culture et de la Société consacré au thème "Nationalité, Citoyenneté, Identité, Intégration" (II)
12-12-2007


Le 11 décembre 2007, le 4e Forum européen de la Culture et de la Société consacré au thème "Nationalité, Citoyenneté, Identité, Intégration" organisé par l’Institut Pierre Werner, a continué ses travaux.

Anna Krasteva : les particularités de l’immigration en Bulgarie

Pour éclairer des trajectoires et des parcours d’intégration, Anna Krasteva, politologue à la nouvelle Université bulgare de Sofia a analysé les nouvelles formes migratoires qui se sont développées en Bulgarie.

Pour Krasteva, la Bulgarie a connu trois vagues d’immigrations. La première vague s’est déroulée à l’époque communiste, alors que la Bulgarie était une "société très fermée" et que les possibilités pour immigrer étaient très réduites. Une exception était cependant accordée aux étudiants, aux réfugiés politiques, à des travailleurs du bloc de l’Est et aux Russes. Les Russes, qui représentaient la majorité des immigrés en Bulgarie, étaient alors considérés comme des "grands frères". Ils étaient intégrés mais pas "assimilés", c’est-à dire qu’ils mettaient en exergue un accent russe qui leur permettait de se démarquer de la population locale.

L’époque postcommuniste marque un tournant important. Depuis que la Bulgarie s’est arrimée à l’Ouest, les mouvements migratoires se sont transformés et intensifiés. Avec la signature de la Convention de Genève sur le statut des réfugiés, le pays est devenu une destination qui a attiré des réfugiés politiques d’Asie (notamment afghans) et d’Afrique.

La troisième vague d’immigration en Bulgarie se fait pour des motifs essentiellement économiques. Selon Krasteva, le passage d’une économie planifiée à une économie de marché a offert aux hommes d’affaires d’énormes possibilités pour élargir leurs activités.

Quelles sont les caractéristiques de l’immigré bulgare? Le portait que Krasteva brosse de l’immigré bulgare est atypique. "Il s’agit d’un immigré bien intégré qui est plus qualifié et plus entrepreneurial que la population autochtone", a-t-elle tenu à préciser. L’image de l’immigré bulgare est en contradiction flagrante avec celle de l’immigré qui est véhiculée en Europe occidentale. Alors qu’en Occident, l’immigré est souvent assimilé à une source de tensions, l’immigré à l’Est "est une figure positive". "Parmi les immigrés en Bulgarie, le taux de chômage est peu élevé. Ils créent des entreprises et offrent des emplois aux Bulgares", explique Krasteva.

Finalement, la Bulgarie assiste après le départ de nombreux citoyens bulgares vers l’Occident, à "une reterritorialisation par des immigrés". "Dans ce contexte, la valorisation du pays ne passe pas par les Bulgares mais par des immigrés", a précisé Krasteva.

Tensions entre migrants et société d’accueil en France et en Allemagne

Carsten Keller, politologue à l’Université Humboldt de Berlin, s’est interrogé sur la signification de la notion de citoyenneté dans les banlieues françaises et allemandes. D’après le jeune politologue, les milieux défavorisés sont des lieux de lutte où s’exercent toutes sortes de tensions entre différentes couches sociales. Les émeutes sociales qui se sont déroulées en France sont selon lui dues à plusieurs facteurs : le passé colonialiste, la ségrégation et surtout la présence permanente de la police dans les banlieues. Il a critiqué la politique de tolérance zéro du gouvernement Sarkozy en France. "Il s’agit d’une politique qui exacerbe les tensions qui existaient déjà entre les jeunes immigrés et la police", a-t-il estimé.

Katja Laubinger, politologue de la Technische Universität de Dresde, de l’Ecole pratique des Hautes Etudes Paris et du Centre Marc Bloch de Berlin s’est penchée sur le discours politique qui est tenu sur l’intégration en France et en Allemagne. Katja Laubinger a retracé les différentes étapes qui ont conduit aux nouvelles lois plus restrictives sur l’intégration des immigrants. "Des lois qui exigent parfois plus des migrants qu’à la population du pays d’accueil", a-t-elle estimé. Derrière les nouvelles lois se cache selon elle "la conviction que l’intégration doit être surveillée et sanctionnée politiquement".

Ingrid Tucci, sociologue au Deutsches Institut für Wirtschaftsforschung à Berlin, a analysé les parcours scolaires et professionnels des immigrants turcs en Allemagne et immigrants maghrébins en France.

Ingrid Tucci a analysé ces deux groupes d’immigrés parce qu’ils sont soumis, comme elle l’a souligné, "à des pressions politiques dans leur pays d’accueil". Dans les deux pays, elle a identifié un handicap similaire avec des mécanismes de mise à distance différents dont le but est de maintenir les populations à leur place. En Allemagne, la mise à distance s’exerce par l’école qui oriente les jeunes Turcs vers des filières "qui ne servent à rien". En France, par contre la mise à distance intervient plus tard sur le marché du travail où les immigrants maghrébins subissent toutes sortes de discriminations. La visibilité des Turcs en Allemagne est réduite parce qu’ils sont "enfermés" dans des secteurs comme par exemple l’entrepreneuriat. Les Magrébins de France, par contre tentent de monter les échelons de l’échelle sociale et gagnent en visibilité. Ce fort souhait des jeunes Magrébins de ressembler à la population française vient selon Tucci de l’école française qui leur inculque des valeurs républicaines. Chez les Turcs d’Allemagne, les réseaux communautaires découlent d’une tradition ancienne. Chez cette tranche de la population qui est reléguée économiquement, Tucci constate un refus de la citoyenneté politique. Les Maghrébins en France sont discriminés, ce qui engendre un rejet de la nationalité, un repli sur soi et les amène à rechercher de nouvelles formes d’appartenance.

Le débat de l’après-midi était consacré aux obstacles et défis des migrations.

Holger Kolb : L’impossibilité des solutions faciles sous l’angle de la rivalité entre migrants et gens en place

Holger Kolb, sociologue à l’Université d’Osnabrück, a parlé, en essayant de les redéfinir, des problèmes de rivalité que la migration suscite. Il est parti d’une définition de l’Etat comme fournisseur d’un certain nombre de biens et de prestations pour la population d’un territoire donné. En échange de ces biens et prestations, la population paie des impôts, des taxes et des redevances. Si elle n’est pas contente de la relation qualité-prix, elle fait en exerçant sa pression soit baisser les prix, soit elle change de mandataires. Elle participe à l’Etat, exerce sa citoyenneté par rapport à une unité territoriale donnée. La migration est dans ce contexte un phénomène d’allocation de nouvelles forces à l’Etat pour qu’il puisse améliorer son offre. Mais comment y arriver? Il y a deux solutions faciles qui ne sont pas réalisables : n’exercer aucun contrôle sur la migration ou la contrôler. N’exercer aucun contrôle veut dire que la fourniture de biens et de prestations de la part de l’Etat pourrait être surmenée par de trop nombreux participants à l’Etat qui rivaliseraient entre eux. S’il y a trop de contrôle, la fourniture suffisante de biens et de services n’est plus possible, car l’on ne laisserait qu’entrer des migrants qui ne rivaliseraient pas avec les populations d’un lieu donné, ce qui compromettrait les objectifs de croissance nécessaires.

D’où l’idée de recourir en Europe à des politiques migratoires comme la Blue Card qui ressemblent à des procédures qui évaluent le potentiel de rivalité des migrants entrants en vue de garantir la meilleure fourniture possible de biens et de services pour les participants en place des Etats. Mais, conclut Kolb, à quoi assiste-t-on ? A une emphase mise sur l’identité des gens en place et à une négligence de la dimension participative à l’Etat des migrants.

Anja Weiss : Les types d’exclusion légale des migrants hautement qualifiés et leur impact

Anja Weiss, sociologue à l’Université de Duisburg, est une des animatrices d’un important projet de recherche sur le capital culturel dans le cadre de la migration. Elle a parlé des conséquences des obstacles juridiques à l’intégration des migrants hautement qualifiés au marché du travail. Elle a distingué cinq types d’exclusion légale de ces personnes hautement qualifiées dans les pays européens.

Les réfugiés n’ont pas accès au marché du travail, mais ils bénéficient d’un soutien social qui leur permet de vivre sans travailler. Leur travail ne profite donc pas au pays d’accueil.

Les sans-papiers n’ont pas accès au marché du travail et ne bénéficient pas de soutien social. Ils sont donc obligés, pour survivre, de travailler illégalement. Dans l’exercice de ce travail illégal, ils sont employés en règle en-dessous de leur qualification et sous-payés.

Les étudiants ont un accès restreint au marché du travail et un droit de résidence restreint. Pour pouvoir vivre, ils doivent souvent travailler, mais cet argent ne suffit pas toujours. Par ailleurs, dès qu’ils changent de régime d’études, ils doivent recommencer les procédures et se retrouver soudainement bloqués dans leurs études.

Les experts ont un accès restreint sur le marché du travail et ne peuvent occuper qu’un nombre limité d’emplois, souvent des contrats d’année en année, ce qui leur rend difficile la construction d’une carrière.

Les professionnels ont eux aussi un accès restreint au marché du travail, et souvent, en fonction des législations nationales, ils ne peuvent pas travailler dans leur métier.

Tout cela mène à une détérioration des qualifications et des carrières.

Harlon Koff : Le changement du concept de frontière dans un contexte de crise de l’immigration

Harlan Koff, assistant-professeur à l’Université du Luxembourg, a qualifié l’immigration de "sujet politique rampant" auquel on associe les concepts de frontière, de trafic d’êtres humains et de terrorisme. Il parle d’une crise de l’immigration, puisque l’on est passé de la question de la compatibilité économique à celle de la compatibilité culturelle. Pour lui, la politique des frontières a transformé le concept de frontière en "zone de frontière". Et la politique de l’immigration a conduit à un renforcement et à une extension des frontières. Koff a cité quelques exemples. La nouvelle politique des visas veut que pour approcher une frontière, l’étranger doit déjà être muni d’un visa. Des Etats comme le Maroc ont été définis comme des Etats de transit dans lesquels on va jusqu’à faire construire des camps pour ceux qui affluent aux limites. Koff a ensuite présenté des exemples concrets de relations entre villes frontières en Europe, avec les villes adriatiques de Bari en Italie et de Durres en Albanie, et les villes de Cúcuta en Colombie et San Cristobal au Venezuela.

Le Forum européen s’est terminé par une série d’exposés consacrés au cas luxembourgeois, où, selon les organisateurs, la politique de l’immigration est à la croisée des chemins.

Denis Scuto, ou comment le Luxembourg peut sortir d’une conception ethno-nationale de la nationalité

L’historien Denis Scuto, de l’Université de Luxembourg, posa la question s’il était encore possible de ne pas partager le discours ethnoculturel dominant, de sortir "de la paranoïa ethnique". Même le ministre Schmit est freiné selon lui dans ses réflexions sur l’intégration par le constat du repli identitaire d’une partie de la société luxembourgeoise. Faisant l’historique de la manière dont l’Etat luxembourgeois a manié la question du code de la nationalité depuis sa création, Scuto distingue trois chemins : le chemin étatique, le chemin libéral et le chemin ethno-national.

A partir de 1800, c’était le droit du sang qui déterminait selon les règles du code civil français les lois sur la nationalité. Mais en 1848, à l’époque de la révolution qui amena la bourgeoisie nationale libérale au pouvoir, le Luxembourg opta pour la naturalisation à part entière de ceux qui, y résidant depuis 5 ans, pouvaient lui apporter "leurs talents". L’Etat choisissait son immigration mais se sentait parfaitement confiant et capable de l’intégrer. En 1859, après le coup d’Etat du prince Henri, l’on pratique la fermeture et l’ouverture. On devient plus sélectif et l’on évite de naturaliser les pauvres.

La phase libérale de 1871-1914 est initiée par Paul Eyschen.

Le droit du sol est instauré à une époque où les passeports n’ont pas cours en Europe. Le Luxembourg est à ce moment de son histoire un pays d’émigration. L’on mise donc sur le lien et le retour des émigrés, et de ce fait, il faut à la fois les garder comme Luxembourgeois et encourager les naturalisations. L’économie et la législation sur la nationalité entretiennent une relation pragmatique. Les enfants d’ouvriers immigrés sont naturalisés sans que les autorités fassent des problèmes.

La phase ethno-nationale commence en 1914. Elle dure selon Scuto jusqu’à aujourd’hui. L’assimilation est le maître-mot, même si le concept a disparu en 2001 de la législation sur la nationalité. Les arguments racistes qui conduisent à une restauration du droit du sang doivent être vues en relation avec la menace que l’Allemagne faisait planer sur le Luxembourg. Au "Deutschtum", on opposait le "Luxemburgertum". La femme qui épousait un étranger perdait sa nationalité. Il fallait avoir vécu au moins 10 ans dans le pays.

Aujourd’hui, la figure de l’espion allemand a été remplacée selon Scuto par celle du migrant. Le nouveau projet de loi, qui supprime l’option pour les époux de Luxembourgeois, ou pour ceux qui sont nés ou ont été scolarisés au Luxembourg, le critère linguistique, qui prolonge le temps de résidence fait que "le Luxembourg se trouve à l’écart de ce qui se fait actuellement en Europe en matière d’assouplissement du droit de la nationalité."

Pour Scuto, c’est vers un simple droit du sol qu’il faudrait aller et une flexibilité en matière de langue, notamment pour les anciens migrants. Il faudrait surtout un assouplissement des règles en faveur de la première génération de migrants. "Pour l’instant, le projet de loi est un projet pour les Luxembourgeois à l’étranger. Personne ne va en profiter." Il ajoute, pendant le débat, que les hommes politiques ont peur d’un électorat qui ne s’intéresse pas à cette loi. "Et si les Luxembourgeois seront bientôt en minorité chez eux, c’est parce que le gouvernement a fait de mauvaises lois." Et de conclure que si le Luxembourg ne l’introduira pas, ce sera en fin de compte l’Union européenne qui l’obligera à (ré)adopter le droit du sol.

Piero Galloro ou la succession des exclusions en Lorraine

Piero Galloro, de l’Université de Metz, montra dans son exposé sur les Italiens en Lorraine comment l’exclusion devient un élément de l’intégration. Au 19e siècle, les Belges étaient d’abord les immigrés stigmatisés en Lorraine. Lorsque les Italiens arrivèrent dans les années 80 et 90 du 19e siècle, c’étaient eux qui sont devenus la visée de grèves, d’expéditions punitives et d’autres traitements vexatoires. Mais après la Première Guerre Mondiale, il y a un revirement : les Allemands, puis les Polonais sont mal considérés. A partir des années 30, ce sont finalement les Nord-Africains qui sont affublés de tous les attributs négatifs qui motivent l’exclusion.

Claudia Hartmann-Hirsch : de l’immigration hautement qualifiée à la formation d’une classe sociale supérieure de décideurs transnationaux anglophones

Claudia Hartmann-Hirsch, linguiste et chercheuse au CEPS/INSTEAD analysa ensuite l‘impact d’une immigration hautement qualifiée sur la société et le marché de l’emploi luxembourgeois. Elle fit le constat d’une double immigration hautement qualifiée : une classe sociale transnationale supérieure de décideurs et une classe moyenne. Le capital culturel de ces immigrés hautement qualifiés est nettement supérieur à celui des Luxembourgeois. Si les revenus de la classe supérieure sont hors d’atteinte, il se trouve que la classe moyenne de ces immigrés est en matière de salaires perdante par rapport aux Luxembourgeois.

La présence de ces immigrés hautement qualifiés a conduit à la mise en place de deux systèmes scolaires différents : les écoles internationales, avec 7 % des enfants scolarisés, et l’école, publique, avec 90 % de la population scolaire. Cette séparation des régimes, où les uns sont formés à un mode de vie transnational, et les autres à un mode de vie local, fait que les Luxembourgeois ne se sentent pas menacés dans leur système scolaire. Les élèves allemands, belges ou français qui font mieux que leurs camarades luxembourgeois dans l’école publique constituent des groupes trop petits pour que leur performance soit visible, tandis que les élèves portugais et capverdiens, plus nombreux, se débrouillent moins bien. Tout ce dispositif atténue selon Claudia Hartmann-Hirsch le potentiel xénophobe qu’il recèle. Par ailleurs, le système du bac international délivré par les écoles internationales est en train d’être repris par l’école publique luxembourgeoise.

Quant à la participation politique, tous les immigrés hautement qualifiés peuvent participer aux élections municipales. Mais la classe supérieure transnationale peut aussi participer directement au débat tripartite Etat-patronat-salariés, ce qui lui assure plus de pouvoir qu’aucun bulletin dans l’urne.

Conclusions de Hartmann-Hirsch : Le Luxembourg est le pays le plus globalisé de l’Union européenne. Son économie est dirigée par des étrangers. L’éducation des enfants des dirigeants étrangers est meilleure que celle des Luxembourgeois. La question est de savoir qui dicte les valeurs qui régissent la société luxembourgeoise : la bourgeoisie nationale ou les dirigeants économiques transnationaux anglophones ?

Les conclusions du 4e Forum européen par Mario Hirsch

Pour Mario Hirsch, directeur de l’Institut Pierre Werner, les deux jours d’exposés et de discussions ont montré qu’il était nécessaire de se débarrasser du lien établi entre le concept d’identité et celui de citoyenneté. Les débats avaient permis de tracer des discriminations qui sont liées à des réalités sociales qui montrent aussi que les classes sociales existent toujours. Finalement, l’alternative au divorce entre identité et citoyenneté pourrait être la citoyenneté de résidence, une sorte de droit du sol généralisé et généreusement accordé.