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Compétitivité
Deuxième audition publique à la Chambre des députés sur la Stratégie de Lisbonne
10-04-2008


Alex BodryLe premier cycle triennal (2005-2008) de la stratégie révisée de Lisbonne arrive à échéance. Afin de dresser un bilan des trois dernières années écoulées et d’identifier les priorités pour le nouveau plan national pour l’innovation et le plein emploi (2008-2010), la Commission de l’Economie, de l’Energie, des Postes et des Sports a organisé le 10 avril 2008 une audition publique avec des acteurs de la société civile à la Chambre des députés.

Comment mieux concilier la croissance économique avec la cohésion sociale, comment mieux intégrer le volet environnemental dans la stratégie de Lisbonne, et quelles sont les nouvelles priorités : ces trois questions, qui s’étaient selon Alex Bodry cristallisées au cours de la première audition publique du 5 mars 2008 figuraient au centre du débat.

Le ministre de l’Economie Jeannot Krecké a estimé que, "le principal problème de notre société à haut standards, est la pauvreté" tout en proposant de concentrer les efforts durant le nouveau cycle sur cette tranche de la population. Pour Jeannot Krecké "ce n’est pas un problème du pouvoir d’achat", mais il s’agit plutôt d’une précarisation croissante qui résulte de frais supplémentaires que l’on impose aux gens. Même s’il a estimé "que la pauvreté existait déjà, il y a trois ans", il a souligné que l’écart entre les riches et les pauvres s’est creusé davantage. Pour Krecké, il est de la responsabilité du gouvernement de résoudre le problème.

Le premier volet : croissance et cohésion sociale

Jeannot KreckéLe premier à intervenir fut Robert Urbé de la fondation Caritas. Il s’est focalisé sur la perte du pouvoir d’achat, un phénomène qui selon lui s’est accéléré avec la décision sur la modulation de l’index, une mesure "qui n’a pas contribué à améliorer la situation financière des pauvres". Il a estimé que les mesures lancées dans le cadre du plan national pour l’innovation et le plein emploi doivent non seulement garantir les acquis sociaux mais surtout conduire à les améliorer.

En constatant que le taux d’emploi des femmes au Luxembourg est très éloigné des objectifs fixés par la stratégie de Lisbonne (60 %), Karin Manderscheid du Conseil National des femmes du Luxembourg a estimé qu’il faut opérer des ajustements. Pour pallier l’inadéquation qui existe entre la formation professionnelle et les qualifications requises, elle a prôné d’offrir plus de formations spécifiques et qualifiantes. Elle a vivement critiqué la différence qui subsistent toujours entre les salaires des hommes et des femmes, un facteur qui selon elle "ne motive pas les femmes à entrer sur le marché du travail". D’où la nécessité, selon elle, d’inclure la notion d’égalité dans les conventions collectives de travail. Le développement de structures d’accueil est, selon elle, une autre condition indispensable pour que les femmes puissent mieux concilier vie professionnelle et vie privée. Elle s’est finalement exprimée en faveur d’une plus grande individualisation des systèmes de pensions.

Les critiques de Lis Weber du Comité du travail féminin se sont largement recoupées avec celles qui ont été formulées par Manderscheid. Elle s’est toutefois exprimée en faveur d’une diminution des charges sociales pour les femmes tout en estimant qu’une politique en faveur de l’égalité des sexes ("gender mainstreaming") doit être soutenue activement par le ministère du travail et de l’économie.

Durant le deuxième cycle pluriannuel de la stratégie de Lisbonne, Raymond Bausch du Fonds national de la Recherche a estimé qu’il ne faudra pas seulement dresser de nouvelles priorités mais également continuer à poursuivre les efforts qui ont été réalisés durant les cycles qui ont précédé.

Pour promouvoir davantage la recherche, il faut selon Isabelle Schlesser de Luxinnovation concentrer les efforts sur les petites entreprises, sensibiliser davantage les petites et moyennes entreprises à la recherche et à l’innovation et ouvrir les aides d’Etat au secteur des services.

Le bilan que Claude Wehenkel du Centre de Recherche public Henri Tudor a dressé sur les avancées de la recherche au Luxembourg était plutôt positif. Il a cependant attiré l’attention sur le fait que tous les acteurs ne peuvent pas être mis sur un pied d’égalité dans le domaine du système d’innovation. Le domaine des biotechnologies est selon lui, un domaine qui comporte d’énormes potentialités au Luxembourg.

Michel Brachmond de la Chambre des métiers a estimé que le  prochain plan national doit soulever le problème des charges administratives auxquelles sont confrontées surtout les petites entreprises

Estimant que notre économie se développe à un rythme accéléré "qu’on ne parvient pas à gérer", Pol Wagner de l’IUIL a soulevé le problème de la raréfaction des Luxembourgeois occupant des postes de direction dans les grandes entreprises. D’où l’importance de plus en plus grande, selon Wagner, de tisser des liens d’interdépendance entre la cohésion sociale, le marché de l’emploi, le système éducatif et les compétences professionnelles, une interdépendance qui est sérieusement battue en brèche actuellement.

François Biltgen a répondu aux arguments de Pol Wagner en expliquant les raisons qui sont selon lui en partie responsables du fait que de moins en moins de Luxembourgeois sont présents dans le secteur privé : dans les années à venir, un recrutement massif d’enseignants est nécessaire dans l’enseignement secondaire et primaire et dans d’autres fonctions publiques luxembourgeoises, ce qui réduit le nombre potentiel des Luxembourgeois diplômés disponibles pour d’autres secteurs.

Karin Manderscheid, du Conseil national des femmes au Luxembourg, a estimé que le Plan national de réforme devait mieux prendre en compte la stratégie pour le travail et la cohésion sociale. "A chaque fois qu’une nouvelle mesure est inscrite dans le PNR, il faut vérifier sa compatibilité avec la cohésion sociale", a-t-elle insisté, en citant l’exemple des structures d’accueil : il ne suffit pas d’en créer, mais elles doivent financièrement être accessibles aux populations défavorisées. Le ministre a Krecké a suivi Karin Manderscheid dans ses suggestions en ajoutant que le coût des frais de garde des enfants ne pénalisaient entretemps pas seulement les familles à revenu modeste, mais aussi à revenu plus élevé.

Le représentant de l’Union des entreprises luxembourgeoises, Nico Bley, a expliqué que la croissance n’est pas une fin en soi, mais permet au contraire de financer la cohésion sociale. Cependant, il a signalé que le taux de croissance actuel du Luxembourg ne permettra plus à la longue de résorber le problème du chômage. Afin d’aider les personnes avec un bas salaire de sortir de leur situation précaire et de renforcer ainsi la cohésion sociale, Bley a plaidé pour une plus grande sélectivité dans les transferts sociaux, et notamment dans l’indexation des salaires : augmenter la tranche d’index pour les personnes avec un salaire bas. "L’index deviendrait ainsi encore plus social", a-t-il conclu. 

Pour François Biltgen, la cohésion sociale est aussi un élément de la croissance. Il a estimé que l’enseignement est le plus grand problème du Luxembourg dans ce contexte : trop peu d’élèves luxembourgeois terminent leur bac, le taux d’échec scolaire est trop élevé. Ce sont surtout les élèves d’origine non luxembourgeoise qui sont touchés par le problème. Il faut selon le ministre réformer le système scolaire "depuis la base". 

Deuxième volet : La stratégie de Lisbonne et le développement durable

Des participants de l'audition sur la Stratégie de LisbonneLa deuxième partie de l’audition a été dédiée à la question de savoir si la stratégie de Lisbonne se répercutait négativement sur le développement durable.

Robert Urbé, de la Fondation Caritas, pense que "nous sommes sur le chemin d’une croissance qui n’est pas du tout durable", car nous ne sommes pas capables de suffire à nos propres besoins. Selon lui, l’équation "plus de consommation, plus de croissance", ne fonctionne pas pour le Luxembourg, car tous les biens produits au Grand-Duché sont destinés à l’exportation, et presque tous les biens consommés doivent être importés. Urbé a plaidé pour la création d’emplois destinés aux personnes non qualifiées dans le secteur de l’industrie.

Jeannot Krecké a mis en garde contre le danger de croire qu’on pouvait diriger ainsi la création d’emplois. Bien que lui aussi souhaitait attirer plus d’industries, celles-ci ne semblent pas intéressées par le site Luxembourg.

François Biltgen s’est indigné contre l’utilisation des termes "travailleurs qualifiés et non qualifiés". Selon lui, il faut plutôt parler de personnes diplômées et non diplômées, car "même les emplois qui ne demandent pas de diplômes, requièrent quand-même toute une série de qualifications".

Dans le contexte du développement durable, Michel Brachmond de la Chambre des Métiers a livré sa vision d’une "métropolisation du Luxembourg", qui unirait le Luxembourg et ses régions avoisinantes dans un grand centre urbain. Cette métropole devrait, selon lui, comme toute grande ville, se doter des infrastructures nécessaires, notamment dans le domaine des transports." Pendant longtemps, nous n’avons pas voulu reconnaître cela, et par conséquent, nous n’avons pas bien planifié", a-t-il expliqué.

Cet argument a été repoussé de manière résolue par le président de la Commission de l’environnement, le député Roger Negri. "Il faut procéder d’une manière structurée", a-t-il plaidé. Pour lui, l’on ne peut faire du Luxembourg une métropole. Dans le domaine du transport, il faudrait à ses yeux plutôt investir dans des projets décentralisés, comme par exemple la construction de grands parkings dans les régions avoisinantes.

Troisième volet : les nouvelles priorités

Le troisième volet de l’audition sur la stratégie de Lisbonne était dédié aux nouvelles priorités qui pourraient être envisagées par les intervenants.

Le représentant de la Caritas exigea en premier lieu que des efforts soient entrepris pour que la simplification administrative se traduise dans les faits. Une suggestion institutionnelle de sa part fut que le Ministère de l’Economie et celui des Classes moyennes fusionnent en un seul ministère. D’autre part, il a plaidé pour que les services de santé et les services sociaux soient complètement sortis du champ d’application de la directive "services" dans le cadre de sa transposition au Luxembourg.

Le ministre Krecké évoqua en ce qui concerne la simplification administrative le screening de la législation qui est actuellement effectué, le travail sur la mise en place prochaine d’un guichet unique virtuel et le projet de création d’un guichet unique "physique".

Ginette Jones, du Conseil national des femmes, demanda dans un premier temps que les mesures dans le cade de la stratégie de Lisbonne soient analysés sous l’angle de l’égalité des sexes. Elle cita pour exemple la recherche, dans laquelle il ne faudra pas  seulement investir, mais où il faudra aussi veiller à ce que les femmes aillent vers la recherche.

Dans un autre registre, elle a plaidé pour des mesures qui permettent aux femmes, au niveau du système de protection sociale, d’interrompre leur carrière pour des raisons familiales et de continuer à cotiser afin qu’elles ne subissent pas de préjudices en ce qui concerne leur retraite et leur couverture sociale. Elle a également plaidé pour une fiscalité qui fasse abstraction de l’état civil des imposables.

Pour ce qui est des services de garde des enfants, elle s’est élevée contre la pratique commune au Luxembourg de les considérer comme un élément de la politique sociale ou de la famille. Elle pense qu’il serait plus juste de considérer ces services comme un élément de la politique structurelle d’un pays. A partir d’un tel esprit, l’Etat pourrait redistribuer la partie de ses recettes fiscales destinées aux communes en fonction du nombre d’enfants qui seraient réellement et à travers leurs parents demandeurs d’un tel service de garde, comme c’est déjà le cas au Danemark.

Le ministre Biltgen lui répondit en ce qui concerne les femmes dans la recherche que le premier objectif était au Luxembourg, où le nombre des vocations pour la recherche est encore faible, d’éveiller l’intérêt de tout le monde.

Nico Bley de l’UEL, réitéra le plaidoyer du patronat en faveur d’une réforme du système éducatif, tant pour les volets " formation" que "orientation". Il souligna également l’urgente nécessité d’une réforme de l’apprentissage.

Jean-Claude Sinner, conseiller de gouvernement et responsable de la coopération territoriale au Ministère de l’Intérieur et de l’Aménagement du Territoire,  rappela que le traité de Lisbonne contenait désormais le concept de cohésion territoriale. Il montra d’autre part que nombre de décisions du gouvernement luxembourgeois étaient influencées par l’existence de la Grande région, mais que l’on ne prenait pas assez en considération ce fait. Finalement, il souligna que toute réforme territoriale qui concernerait le pays devrait aussi contribuer à ce que les communes deviennent plus efficaces.

Alex Bodry conclut les débats qui avaient selon lui "soulevé des questions qui concernent tout le monde." Ces questions déboucheront sur des mesures pratiques dans le plan d’action nationale de mise en œuvre de la stratégie de Lisbonne "qui elles aussi devront être portées par tout le monde."