Pour les citoyens européens, les négociations menées entre les Etats membres au sein de l'Union européenne paraissent souvent opaques et peu compréhensibles. Qui n'aimerait pas jeter un regard derrière les coulisses, pour voir comment ces recontres se déroulent réellement? Jeter ce regard derrière les coulisses de l'Europe, c'était justement l'objectif du Mini-Festival de films européens qui s'est déroulé à la Cinémathèque du 18 au 20 avril 2008. La tête d'affiche de la soirée du 18 avril, "Fogh Behind the Facade", un documentaire réalisé en 2002 par un jeune journaliste, Christoffer Gudbranson, lors de la Présidence danoise du Conseil, témoigne en direct et d'une manière inédite comment ont été menées les négociations autour de l'adhésion des 10 nouveaux Etats membes.
La projection du film fut suivie par un débat sur l'art de négocier au sein de l'Union européenne. Les intervenants furent le ministre délégué aux Affaires étrangères et à l'Immigration, Nicolas Schmit, la députée européenne et ancienne ministre des Affaires étrangères Lydie Polfer, le directeur de l'Institut Pierre Werner Mario Hirsch et un spécialiste en communication, Carlo Schneider. Le débat fut animé par Carole Schimmer, journaliste de la radio socio-culturelle 100,7.
Premier sujet abordé: l'élargissement de l'Union européenne négocié en 2002. Nicolas Schmit et Lydie Polfer, qui ont participé au Conseil européen de Copenhague dont traite le documentaire de Christoffer Gudbranson, ont livré leur vision de ce moment historique. Pour Nicolas Schmit, l'élargissement est intervenu très vite après la chute du mur de Berlin en 1989. D'après lui, l'adhésion rapide des pays de l'Est à l'Union européenne, une adhésion à laquelle personne ne s'était attendu, a contribué à la consolidation du continent européen.
Lydie Polfer s'est ralliée à la position du ministre. La deuxième guerre mondiale avait divisé l'Europe. Pour la députée européenne, c'était le devoir de l'Union européenne de soutenir ces pays au moment où ils se sont libérés du joug soviétique.
La discussion tourna ensuite vers la question des présidences tournates nationales du Conseil de l'UE: "N'est-ce pas en quelque sorte une 'obligation' pour chaque pays de réussir sa présidence", a demandé Carole Schimmer. Pour Lydie Polfer, cette volonté des Etats membres à pouvoir "ficeler" des dossiers importants au cours des six mois de leur présidence, est inhérent au système de la présidence tournante. "Chaque pays veut obtenir un résultat positif. Mais ce n'est pas pour sa propre gloire, c'est surtout pour l'Europe", a-t-elle expliqué.
Pour Mario Hirsch de l'Institut Pierre Werner, ces négociations au niveau européen sont loin d'être un grand art, mais plutôt un marchandage, de petites querelles d'épiciers. Selon lui, l'année 2002 "n'était pas une année propice pour l'élargissement", car les grands Etats membres, et surtout l'Allemagne, subissaient les perturbations profondes des restructurations sociales. "La générosité n'était pas au rendez-vous", a-t-il constaté, en ajoutant: "Les dossiers ont bien été bouclés, mais d'une certaine manière aussi baclés".
Analyse semblable de la part de Nicolas Schmit. Pour lui, les négociations européennes ne sont pas "un grand art", mais plutôt un "petit artisanat". "Mais cela n'enlève pas son caractère historique. L'Union européenne a quand-même la capacité de faire des compromis", a-t-il estimé.
Carlo Schneider, expert en communication, a rappelé que le Conseil européen est avant tout une assemblée de chefs d'Etats et de gouvernement, qui défendent des intérêts nationaux et personnels. C'est pourquoi les discussions s'apparentent selon lui à un marchandage.
Lydie Polfer a ajouté que, dans les négociations européennes, il ne peut y avoir de perdants, "car ce serait mauvais pour l'Europe. C'est une mascarade, mais elle a fait avancer l'Europe", a-t-elle avoué.
La presse est-elle manipulée et utilisée par les acteurs politiques? Est-ce que par la politique des rumeurs qu'on veut lancer des messages aux partenaires? Dans l'analyse de Nicolas Schmit, la réponse est claire: oui, toute Présidence et délégation utilise la presse pour faire circuler des informations. "Nous vivons dans une société très médiatisée. Les médias ont un grand pouvoir. On utilise ce pouvoir, mais par richochet, la presse en fait usage aussi", a expliqué le ministre.
Pour Mario Hirsch, ce jeu entre la presse et les acteurs politiques est simple: "C'est confidence pour confidence", a-t-il remarqué. La presse se plie au jeu, et se fait, aux yeux de Mario Hirsch, même instrumentaliser. "Mais c'est le prix qu'il faut payer pour obtenir les confidences", a-t-il regretté.
Dernier sujet de la table-ronde: le futur président du Conseil européen. Depuis la signature du traité de Lisbonne, qui instaure ce nouveau poste, maints bruits courent quant aux candidats éventuels. Pour Carole Schimmer, c'était l'occasion d'interroger les intervenants sur la nature de ces rumeurs: Serait-ce une manipulation de l'opinion publique?
Pour Nicolas Schmit, il ne s'agit pas d'une manipulation de l'opinion publique. Ce phénomène est bien plus pour lui la preuve qu'il existe déjà un certain espace public européen, même si tous les citoyens n'y participent pas encore. "La situation est analogue au niveau national. On assiste à une certaine normalisation de la politique européenne. L'Europe est, d'une certaine manière, entrée dans le jeu de la politique normale", a-t-il résolument avancé.
Pour Lydie Polfer, il est important que le débat autour du futur Président dépasse la simple question du personnage, pour aborder celle des compétences et du rôle de ce poste. "Il faut lui donner un cadre, sinon il risque de se développer dans une direction qui est opposée à l'esprit communautaire. Si on accorde trop d'importance au Conseil européen, alors nous assisterions à une évolution vers plus d'intergourvermental", a déploré la députée européenne.
Pour Carlo Schneider, il y a un autre besoin urgent, celui d'expliquer aux citoyens comment fonctionnent les structures décisionnelles de l'Union européenne. "Il y a tellement de structures et de décideurs. Les gens ne suivent plus", a-t-il mis en garde.
Argument qui a été confirmé par Nicolas Schmit. Pour que l'Europe garde sa légitimité auprès des citoyens, le processu de décision doit rester intelligible et eêtre perçu comme légitime. Cependant, a-t-il estimé, les structures européennes ne sont pas tellement difficiles, mais les politiciens ne se donnent probablement pas assez de peine pour les expliquer aux citoyens.
Quant au rôle et à la fonction du futur président du Conseil européen, Nicola Schmit a estimé que la "job description" existait déjà: c'est le rôle que Fogh Rasmussen a joué au cours de sa présidence: celui d'un négociateur.