Schiltz a regretté que les chiffres européens de 2007 en matière d’aide publique au développement (APD) ne soient pas bons par rapport à l’objectif que les pays de l’UE arrivent en 2015 à contribuer avec 0,7 % de leur PIB à l’APD. C’est cette question des 0,7 % qui va dominer l’agenda européen de la politique de développement, notamment quand en automne prochain, à Doha, l’UE fera le point avec les pays en voie de développement et sera confrontée avec ses propres promesses. D’où l’appel que Schiltz a lancé le 4 avril dernier avec le commissaire européen Louis Michel dans la presse internationale.
Un autre aspect de l’approche européenne est de veiller à ce que les partenaires s’approprient plus les projets de développement qui seront conçus selon leurs besoins et selon des procédures harmonisées entre partenaires européens dans une relation de responsabilité partagée.
Dans ce sens, les bureaux de la coopération luxembourgeoise qui ont été mis en place en Afrique et en Amérique centrale ont permis de donner plus de poids et d’efficacité aux programmes de la deuxième génération conçus avec les pays partenaires. En même temps, des contacts ont été noués avec les coopérations belge, espagnole, finlandaise et slovaque ainsi qu’avec les réseaux de la Commission européenne. Ces consultations peuvent aboutir à des programmes communs, à des ajustements appropriés, à des synergies qui auront des répercussions sur le terrain.
Jean-Louis Schiltz a ensuite plaidé pour une transformation des accords entre pays de l’Union européenne et les pays ACP en accords de développement, et pour qu’ils ne deviennent pas des accords de pure libéralisation. D’où un rapprochement entre coopération et agriculture dans le sens qu’il faut donner à chaque continent la possibilité d’organiser son agriculture en fonction de ses besoins.
Un autre rapprochement au niveau européen entre politiques du développement et de l’immigration a pu se faire grâce aux ministres de la Coopération du Benelux qui ont réussi à ce que les questions de migration soient aussi traitées par les ministres européens en charge de l’aide au développement.
Un des sujets de préoccupation majeurs est l’actuelle crise alimentaire qui est selon Schiltz "le résultat de tant et tant d’années d’incohérences".
Dressant un tableau édifiant de l’effet désastreux de la hausse de 83 % en moyenne des prix des denrées sur les populations, Jean-Louis Schiltz a nommé les causes: la baisse de l’offre après de mauvaises récoltes, la hausse de la demande en Chine, en Inde et dans d’autres pays émergents, les négligences dont l’agriculture a été l’objet, la spéculation sur les matières premières, la persistance des subventions à l’exportation, le maintien de stocks très bas, la hausse des prix du pétrole, la demande de biocarburants, etc.
Le Luxembourg a augmenté de 50 % son aide alimentaire en direction de ses pays-cibles, passant de 4 à 6 millions d’euros, notamment en Afrique de l’Ouest, où la menace est particulièrement forte, et avec une attention particulière pour que les enfants soient nourris dans les écoles. En même temps, le Luxembourg a fait parvenir une aide exceptionnelle de 500 000 euros au Programme alimentaire mondial (PAM) et appelé les Etats de l’Union européenne à contribuer à raison d’un euro par habitant, ce qui couvrirait les premiers besoins globaux.
Pour le long terme, Jean-Louis Schiltz a prôné une politique européenne sur quatre axes :
Primo : Il faut conclure les négociations de Doha dans le sens du développement en mettant en avant le principe que chaque continent doit pouvoir organiser son agriculture en fonction de ses besoins.
Secundo : Il faut réexaminer toutes les questions liées à la production d’agrocarburants et revoir leur production vers le bas. "Les objectifs de la Commission européenne sont trop élevés", a déclaré le ministre. En cas de doute, la question de l’alimentation doit primer sur la question de l’agrocarburant. "Nous ne pouvons définitivement pas accepter que les uns mettent plus de colza ou de maïs dans leur réservoir et les autres meurent de faim."
Tertio : Il faut investir de manière conséquente dans l’agriculture des pays en voie de développement en misant sur la durabilité et la biodiversité. "Il faut s’assurer que l’on puisse produire pour s’alimenter et que l’on puisse s’alimenter avec ce qui a été produit. Ceci dans l’esprit de la souveraineté alimentaire."
Quarto : Les enjeux du changement climatique et ceux du développement des pays doivent être alignés dans une même politique du développement.
Plus de cohérence dans les politiques nationales et européennes, prudence en matière de biocarburants, éliminer enfin les subventions à l’exportation de produits agricoles, voici les sujets qui ont largement dominé les discours des partis politiques.
Nancy Kemp-Arendt, du parti CSV, a été la première à prendre la parole. Elle s’est montrée déçue que l’Union européenne ne fût pas capable de tenir son engagement à augmenter d’ici à 2010 le budget attribué à l’aide au développement à 0,7 % du PIB. Elle a ensuite déploré le fait que de plus en plus de pays en voie de développement utilisent leurs terres agraires pour cultiver du blé pour la production d'agrocarburants, et non plus pour l’alimentation."Nous vivons dans un monde fou, si nous permettons que du blé soit utilisé pour le transport et que des hommes meurent de faim", a déclaré la députée chrétienne-sociale. Par ailleurs, elle a estimé que "pour pouvoir sortir de la crise alimentaire, les pays les plus pauvres doivent pouvoir participer à la mondialisation des échanges". Un système d’échanges plus équitable permettrait à ses yeux aux pays en voie de développement d’augmenter leur productivité agricole.
En matière de biocarburants, Charles Goerens, du DP, a estimé qu’il faut appliquer une "lecture nuancée" . "Je n’ai pas mauvaise conscience si dans l’Union européenne, une partie de la biomasse produite est utilisée dans les installations de biogaz, pour être transformée en énergie", a-t-il avancé, en ajoutant que le problème "surgissait au moment où nous allons piller les pays en voie de développement". Le député libéral a proposé d’utiliser la surproduction européenne en produits agricoles pour produire de l’énergie, au lieu d’aller chercher les matières premières dans les pays en voie de développement.
Plus loin, Charles Goerens, qui fut ministre de l’Environnement et du Développement, a critiqué la politique européenne de la réduction des stocks alimentaires que l’Union européenne applique non seulement chez elle, mais qu’elle a également conseillée aux pays de l’Afrique de l’Ouest avec lesquels elle a des liens contractuels. Cette méthode est selon lui en partie responsable de la crise alimentaire actuelle. Les stocks ont connu ces dernières années une baisse très considérable (il y a 35 % à 17,9 %). Pour lui, cette disparition "agrandit la précarité".
Marc Angel, du LSAP, s’est penché sur la question des accords de partenariat économique de l’Union européenne (APE), qui ont aux yeux du député socialiste une "influence énorme sur les buts de notre politique d’aide au développement". Ces APE, qui devaient être signés avant la fin 2007 avec l’ensemble des 77 pays ACP, n’ont en fait abouti qu’avec un seul pays : les Caraïbes.
Selon Marc Angel, les pays africains refusent de signer l’accord, car ils savent que la libéralisation des échanges ne les "sortirait pas de leur position marginale". Le député socialiste a regretté que durant la dernière phase des négociations sur les APE, l’aspect de l’ouverture des marchés ait évincé les deux autres objectifs prévus par l’accord, à savoir l’intégration régionale des pays au sein de leur région et le combat de la pauvreté.
Pour lui, le Luxembourg a un intérêt à faire de cette intégration des pays africains, et surtout en Afrique de l’Ouest, une priorité. Il a cité la proposition du Cercle des ONG luxembourgeoises d’instaurer une sorte de monitoring du côté luxembourgeois, afin de veiller à ce que les négociations des APE soient compatibles avec les buts de la politique de coopération luxembourgeoise.
Felix Braz, du parti des Verts, a prôné une meilleure coordination au niveau national et international, et notamment européen, de la politique de l’annulation de la dette des pays en développement. Pour lui, ce sujet constitue "un problème monumental". Il s’impose à ses yeux de développer une politique de l’annulation des dettes "qui mérite son nom". En matière de biocarburants, le député vert a aussi appelé à la prudence : bien que la hausse de la demande en biocarburants ait son rôle à jouer dans la crise alimentaire, les biocarburants ne devraient pas être considérés comme le seul bouc émissaire.
"La Commission européenne s’est engagée pour supprimer les subventions à l’exportation agricole. Le gouvernement luxembourgeois, a-t-il l’intention de venir d’aller dans le sens de la Commission ?" C’est la question que Jacques-Yves Henckes de l’ADR a lancée au ministre de la Coopération, une question essentielle aux yeux du député.
En guise de conclusion, Jean-Louis Schiltz a fait le point sur les questions soulevées par les différents partis politiques. Les subventions aux exportations agricoles d’abord. "Le gouvernement luxembourgeois a toujours une ligne claire sur la suppression des subventions à l’exportation qu’elle soutient fermement", a-t-il répondu à Jacques-Yves Henckes. Selon lui, une analyse du sujet est actuellement menée au sein de son ministère.
La proposition d’instaurer un monitoring pour surveiller les négociations pour les APE ensuite. Tandis que Jean-Louis Schiltz considère d’un œil favorable la proposition adressée par le Cercle des ONG et du LSAP, le ministre a proposé que les ONG luxembourgeoises se mettent en contact avec les ONG européennes, et que le Chambre des députés luxembourgeoise s’adresse au Parlement européen pour discuter d’un tel projet.
La question des agrocarburants enfin. Pour le ministre, il s’avérerait intéressant de jeter un regard en arrière pour voir ce que les différents partis politiques ont dit au sujet des agrocarburants il y a deux ans. Il a constaté qu’il existe parmi les partis "un consensus sur le fait qu’il faut baisser l’objectif de 10 % de biocarburants en 2020 fixé par la Commission", mais que personne n’a proposé de les éliminer complètement.