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Traités et Affaires institutionnelles
"Gouvernance européenne : Etats des lieux et défis scientifiques" - Un colloque international organisé par l’Université du Luxembourg au Château de Senningen
05-06-2008 / 06-06-2008


Patrick Dumont, Olivier Costa,  Herbert GottweisLes 5 et 6 juin 2008 s’est tenu au Château de Senningen un colloque international organisé par l’Université du Luxembourg sur la gouvernance européenne.

L’objectif de ce colloque : réunir en premier lieu les responsables des principaux projets et réseaux de recherche internationaux et experts sur la gouvernance européenne afin de dresser un état des lieux des connaissances ; en second lieu, tenir une conférence qui serait aussi formatrice sur les insuffisances et les perspectives de la construction européenne et sur l’éventuelle contribution de la recherche scientifique à l’amélioration de la gouvernance européenne. A cette fin, des "praticiens" comme le ministre délégué Nicolas Schmit, le député européen Claude Turmes et le député et ancien député européen Ben Fayot sont intervenus et ont participé à des débats.

"Gouvernance économique et politiques sociales en Europe"

René Leboutte ébauche une histoire de l’invention des instruments de la gouvernance européenne

 Le volet "Gouvernance économique et politiques sociales en Europe" fut introduit par René Leboutte, professeur d’histoire contemporaine à l’Université du Luxembourg. La notion de gouvernance a pour lui été associée dès le début à l’histoire de la construction européenne, puisqu’il s agissait d’emblée de gouverner sans gouvernement le marché commun lancé par les traités de Rome. Le système original de gouvernance qui a vu le jour en 1958 avec la naissance de la Commission européenne est original et découle de deux sources de légitimité : celle des Etats membres et celle, nouvelle, des institutions européennes communes et supranationales. Entre ces deux légitimités, il y eut dès le début, des tensions. Il n’en reste pas moins que dès le début, aussi, l’interdépendance entre les Etats membres et ces deux sources de légitimité est, selon les qualificatifs de Pascal Lamy, voulue (après les désastres de la IIe Guerre Mondiale), définie (par la déclaration Schuman du 9 mai 1950) et organisée (par les institutions communautaires, la Commission et le Conseil imaginées par Jean Monnet). 

Les instruments financiers, les différents fonds, la BEI, etc., devinrent des moyens pour faire fonctionner le marché commun, puis unique, puis intérieur en gérant les tensions entre opinions nationales et mécanismes européens. Porter tout un chacun les fardeaux inévitables en commun, voilà le fin mot de la philosophie politique de Sicco Mansholt, lorsqu’il exposa en 1958 à Stresa les bases de la PAC. Pour Leboutte, l’histoire "mouvementée" de ces fonds et de la BEI sont encore à écrire, ce que l’ouverture des archives de la BEI et du Parlement européen à Luxembourg, deux filons majeurs de l’histoire européenne, va faciliter.

Dans son introduction, Leboutte a donné des exemples peu connus mais très parlants de parlementaires, de commissaires et de ministres européens qui prônaient dès les années 60 la coordination monétaire contre l’instabilité et les dévaluations ou réévaluations monétaires unilatérales de l’époque et qui concluaient de l’interdépendance à l’abandon du réflexe national et à l’action commune. S’il n’y eut pas d’union politique, il y eut des systèmes monétaires intergouvernementaux qui surent assurer certaines périodes de stabilité.

Aujourd’hui, et depuis l’introduction de l’Union économique et monétaire en janvier 1999, le système est basé sur une seule autorité monétaire, la Banque centrale européenne, mais l’économie continue de relever des Etats membres. Le droit régalien de la monnaie échappe aux Etats membres, alors que les politiques économiques restent largement nationales. "Pourtant, il y a des liens", dit Leboutte au vu des tensions entre gouvernance économique et monétaire avec un marché unique à géométrie variable composé de pays qui sont membres de la zone euro et d’autres qui ont encore leur propre monnaie et où les tensions entre Union européenne et dimension nationale sont plus nettement perceptibles. Comme il y a des tensions entre les pays de l’euro et les autres et entre les pays de l’euro lorsqu’il est question de politiques budgétaires. 

La réponse à cette situation complexe passe par les grandes orientations économiques et différentes politiques qui se complètent, c’est-à-dire le pacte de stabilité et de croissance, la stratégie de Luxembourg pour l’emploi et la stratégie de Lisbonne. D’autre part, l’euro est très vite devenu une des monnaies fiduciaires internationales les plus prisées, et l’Union européenne est devenue de ce fait le lieu d’une gouvernance avec des responsabilités nationales, européennes et mondiales.                          

Jørgen Mortensen : Les problèmes de la gouvernance européenne, du plan Werner au pacte de stabilité et de croissance  

Jørgen Mortensen, Associate Senior Research  Fellow au Center for European Policy Studies,  Manager de ENEPRI (European Network of Economic Policy Research Institutes), évoqua les problèmes de gouvernance qui se sont posés de 1970 - date du plan Werner qui plaidait déjà pour une union économique et monétaire - aux années du début du XXIe siècle, dans le cadre de l’application du pacte de stabilité et de croissance (PSC).

Dès les années 1970, et surtout sur le fonds de la crise pétrolière de 1973, les décideurs européens établirent une relation entre la stabilité économique et la politique budgétaire. Mais l’action concertée entreprise à l’époque fut marquée par l’échec. Dès qu’un  pays menait une politique budgétaire très active, tout le monde était débordé. Beaucoup dépendait il y a trente ans comme aujourd’hui de l’efficacité de la politique fiscale, sans laquelle la politique monétaire, dont le contrôle de l’inflation, était vite acculée à ses limites. Des doutes surgirent également qu’une politique budgétaire seule pouvait assurer croissance et emplois. L’on se mit à élaborer des politiques structurelles soumises à la conditionnalité d’une allocation plus efficace de ressources disponibles.

Politique monétaire et politique fiscale demeurent jusqu’à aujourd’hui des domaines liés par les faits, mais séparés par les compétences, la première relevant de la Banque centrale européenne (BCE) et la deuxième des Etats membres. Avec le temps, l’on peut cependant, selon Mortensen, parler "d’une certaine centralisation de la politique budgétaire". L’article 104 du traité de Maastricht et le protocole en annexe fixe les conditions d’adhésion à l’UEM (60 % de dette publique, 3 % de déficit budgétaire, une inflation égale ou en-dessous de celle de la moyenne des Etats membres). Le PCS a, dès la fin des années 90, introduit une discipline supplémentaire. D’autres instruments de convergence comme les grandes orientations économiques et les procédures pour déficit excessif viennent compléter la panoplie.

Tout cela n’évita pas qu’entre 2003 et 2004, l’Europe traversa une crise institutionnelle, lorsque la Commission entama contre la France et l’Allemagne une procédure pour déficit excessif que le Conseil refusa d’entériner. La Cour de Justice des communautés européennes (CJCE) se prononça en faveur de la Commission, mais du fait que le Conseil, réticent à imposer des sanctions à des pairs, devait se prononcer à l’unanimité, la situation demeura dans l’impasse.

Deux écoles de politiques macroéconomiques s’affrontaient ici selon Mortensen : celle qui veut renforcer les compétences communautaires, y compris en matière budgétaire, et celle qui veut préserver, au nom de la subsidiarité, les compétences nationales et maintenir la concurrence entre les systèmes. Le PSC constitue un compromis acceptable entre elles. Mais il faudrait surtout, selon Mortensen que la procédure pour déficit excessif, qui insiste d’abord sur la notion de déficit selon une norme donnée, insiste plus sur question si une dette publique est supportable ou non pour juger si un déficit est excessif ou non. En même temps, l’Union européenne gagnerait à établir plus de cohérence entre la politique monétaire et politique budgétaire.

Lors de la discussion, Mortensen constata que les Etats membres s’accordent malgré tout de plus en plus en matière économique et qu’au bout d’un long processus, l’intégration politique européenne sera au rendez-vous.   

Pierre-Paul Van Gehuchten : de la gouvernance hybride intégrée en matière de politique sociale européenne

ParticipantsPierre-Paul Van Gehuchten, professeur de droit social à l’Université catholique de Louvain et aux Facultés universitaires Saint-Louis, coordinateur du réseau ETOS.be (European Tools for Social Policy) aborda la question des outils européens en matière de politique sociale et leur impact sur les politiques sociales des Etats membres. Il identifia quatre dimensions dont il fallait tenir compte :

  1. la méthode ouverte de coordination introduite avec la stratégie de Lisbonne qui responsabilise Etats membres et acteurs sociaux dans les Etats membres par rapport à des objectifs communs,
  2. la dynamique nouvelle introduite par le dialogue social au niveau européens et les accords-cadres qui ont pu être conclus dans ce contexte
  3. la réforme du Fonds social européen (FSE)
  4. le ralentissement des directives à matière sociale.

Il identifia également 4 méthodes de travail :

  1. le recours au droit européen classique (directives sur le temps partiel, la durée du travail, la flexicurité, ..)
  2. le recours au droit européen conventionnel
  3. la méthode ouverte de coordination (par ex. lignes directrices intégrées, plan national de réforme)
  4. les instruments financiers, dont le FSE, notamment en matière d’emploi et d’inclusion

Finalement il identifia 4 champs d’intervention :

  1. l’emploi
  2. l’inclusion
  3. l’information et la consultation des partenaires sociaux
  4. l’égalité de traitement

Son diagnostic :

  1. La réglementation de l’Union européenne a un effet « multi-régulateur » par les directives de la Commission et les standards minimaux avalisés par le Conseil.
  2. La gouvernance par des outils multiples qui a un impact certain sur les politiques budgétaires renforce la cohésion en Europe.
  3. La coordination s’organise par le biais de la stratégie de Lisbonne et d’autres instruments comme le benchmarking.
  4. Des réseaux de connaissance et des méthodes comment optimiser les politiques s’établissent et contribuent à l’expansion des outils de gouvernance de l’Union européenne en matière sociale.
  5. L’on constate une évolution vers "une gouvernance hybride et intégrée" par le biais des directives, de la méthode ouverte de coordination et du FSE, à ne pas confondre avec le passage de la "hard law" à la "soft law". Les instruments de la politique sociale de l’Union sont plutôt incorporés dans un système de gouvernance hybride intégré et se renforcent mutuellement.     

"Gouvernance régionale et intégration régionale comparée"

Le RISC de Harlan Koff

Ben FayotLe 2e volet du colloque, la "gouvernance régionale et intégration régionale comparée", fut introduit par Harlan Koff, assistant-professeur en science politique, Université du Luxembourg, président du Consortium RISC (Consortium for Comparative Research on Regional Integration and Social Cohesion).

Koff dirige un projet de recherche, RISC, dont la mission est de promouvoir l'analyse comparative de l'impact humain des différents aspects d'intégration régionale, à travers des zones géographiques et périodes historiques, par la création d'un réseau interrégional et interdisciplinaire. De plus, la recherche dirigée par ce consortium pourrait, éventuellement, soutenir des projets d'action sociale dans des communautés locales en contribuant à la compréhension des contextes politiques et économiques en évolution.

Jochen Prantl: les processus informels dans la gouvernance multilatérale

Jochen Prantl, Senior Research Fellow in International Relations and Research Fellow of Nuffield College, University of Oxford, intervint sur la question, vers où le multilatéralisme évolue. Il a surtout insisté sur les processus informels, processus politiques non codifiés par la loi internationale et le droit public, qui sont devenus une partie intégrante de la gouvernance. Des exemples sont les groupes d’Etats qui ont contribué à des solutions au Kosovo, qui travaillent sur la question des activités nucléaires en Iran, qui cherchent une solution au proche Orient ou au Liban. Ils ont pour avantage d’adoucir la rigidité des processus institutionnels, de redistribuer les équilibres entre les parties concernées et de favoriser des solutions sur le terrain, pour lesquels les processus politiques formels réservent néanmoins les sanctions politiques. Ces processus informels peuvent fonctionner tant qu’ils tiennent compte des critères de responsabilité, de légitimité, d’efficacité, d’inclusion et de transparence.        

Nicolas Levrat : L’Union européenne, un système néo-fédéraliste

Nicolas Levrat, directeur de l'Institut européen, professeur ordinaire à la Faculté de droit de l’Université de Genève, établit dans sa contribution la thèse que l’Union européenne n’est pas un système fédéraliste classique, mais un système néo-fédéraliste. Exemple : le Conseil ne travaille pas selon une méthode communautaire, mais les juges nationaux sont bel et bien tenus d’appliquer le droit communautaire.

Levrat a illustré l’évolution de ce système à l’aune de la subsidiarité. Le partage des compétences a été défini avec le traité de Maastricht. Avec le traité d’Amsterdam, les règles de la subsidiarité s’appliquent au Länder allemands et autrichiens et aux entités régionales belges. Dans le traité de Lisbonne, la subsidiarité peut également s’appliquer à des entités infra-étatiques (collectivités régionales, locales, etc.,) selon leurs compétences. La subsidiarité se glisse progressivement dans des relations de plus en plus globales. C’est que la légitimité de l’action publique est toujours profondément liée à la souveraineté. Mais la nature du pouvoir des Etats a changé avec les nouveaux partages multilatéraux et à l’intérieur des Etats. Ainsi une Commission européenne qui propose des directives et des politiques a, selon Levrat, par rapport aux Etats la légitimité de l’intérêt général qui lui a été déléguée par les traités.          

"Gouvernance européenne, légitimité et perspectives  institutionnelles"

Olivier Costa : Etat des lieux de la recherche sur le Parlement européen et les parlements nationaux

Olivier Costa, chercheur en science politique au CNRS, Institut politique d’Etudes Politiques de Bordeaux, a dressé un état des lieux des recherches qui sont menées sur la contribution du Parlement européen et des parlements nationaux à la gouvernance européenne. Pour ce faire, il a essayé de situer l’émergence des recherches, de désigner leurs faiblesses et de proposer des pistes de réflexions.

Selon Olivier Costa, les recherches sur le Parlement européen commencent véritablement dans les années 90 avec la montée en puissance du Parlement. Elles s’articulent autour de cinq axes :

  1. le Parlement en tant qu’institution,
  2. les élections européennes,
  3. le comportement des élus et la dynamique partisane,
  4. la sociologie du personnel parlementaire,
  5. l’usage par le Parlement de ses pouvoirs

Les recherches menées présentent trois faiblesses :

  1. la mauvaise articulation avec les études européennes,
  2. un recours systématique à l’analyse des votes par appel nominal,
  3. le recours à des schémas analytiques développés dans le cadre de l’étude du Congrès américain).

Pour le Parlement européen, Costa propose quelques pistes de recherche :

  • systématiser l’analyse de la mise en œuvre par le Parlement de ses pouvoirs,
  • étudier les rapports entre la structuration de la délibération et des règles de fonctionnement de l’UE,
  • étudier les logiques argumentatives,
  • analyser la nature du mandat représentatif européen,
  • utiliser l’élection directe du Parlement comme outil pour étudier l’évolution de la logique représentative en Europe.

Les recherches sur les Parlements nationaux se développent selon Costa après l’adoption de l‘Acte Unique et le traité de Maastricht. Elles se caractérisent par des approches très descriptives, normatives et des systèmes de classement qui reposent sur des critères contestables. Costa a également critiqué que ces recherches ne prennent pas en compte les autres activités européennes et fournissent des réponses très contrastées à la question "Do parliaments in EU matter".

Les pistes de réflexions que Costa a proposées pour les Parlement nationaux sont les suivantes :

  • étudier la variable électorale de la mobilisation du Parlement,
  • analyser l’impact du rôle des médias et des groupes d’intérêts sur les pratiques européennes des parlements nationaux,
  • étudier les activités européennes des parlements et des opinions relatives à l’UE.

Claude Turmes : le Parlement européen, une assemblée d’experts exposée aux tentatives d’influence

Claude TurmesLe député européen Claude Turmes fit en tant que praticien une intervention sur les questions de légitimité et de démocratie au sein du Parlement européen. 

La construction européenne est pour lui une expérience politique unique au monde. D’où le besoin, selon Claude Turmes, de dépasser la sociologie politique telle qu’elle a été appliquée à l’Etat-nation, de s’investir davantage dans le champ théorique et donc d’analyser ce que Noam Chomsky a qualifié de "checks and balances".

Claude Turmes a analysé les luttes d’influence qui existent au sein des institutions européennes. A commencer par la Commission européenne, qualifiée par lui "d’ultralibérale", et où les gouvernements se livrent par l’intermédiaire de leurs commissaires à des jeux d’influence. Le Conseil européen, organe où sont prises les grandes orientations politiques, présente selon Claude Turmes "un énorme déficit de contrôle démocratique".

Dans l’analyse de Claude Turmes, le Parlement est avant tout « un rassemblement d’experts très à cheval sur leurs dossiers». Car "en l’absence d’un grand éléphant qui trône au-dessus des politiques, et joue avec les députés comme avec des marionnettes", l’individu élu au Parlement européen jouit selon Turmes d’un énorme pouvoir dans cette enceinte qui est dépourvue d’opposition et de majorité. Ce qui fait que les décisions politiques sont peu souvent déterminées par l’obédience politique des députés et que les députés qui sont des experts importants et/ou qui sont rapporteurs disposent parfois d’un pouvoir qui pèse plus que celui de leurs ministres nationaux.

Comment améliorer la gouvernance européenne ? Selon Turmes, pour comprendre l’Europe, objet politique difficile à appréhender pour le citoyen, une analyse très subtile s’impose, Il s’est exprimé pour davantage de confrontations entre acteurs politiques qui devraient s’affronter et s’exprimer dans des débats contradictoires menés au niveau national. Pour lui, c’est le seul moyen pour rendre les politiques européennes plus compréhensible. La Cour de Justice des Communautés européennes et les groupes d’intérêts économiques sont d’autres acteurs dont l’influence au sein des institutions européennes est souvent sous-estimée, a déclaré Turmes. Les grandes firmes et branches économiques surtout disposent de spécialistes qui repèrent pour mieux les influencer les députés qui ont du poids dans les dossiers qui revêtent une importance stratégique pour leurs bailleurs de fonds.    

Ben Fayot : l’implication du parlement national dans les affaires européennes

Ben FayotBen Fayot, député socialiste luxembourgeois et ancien député européen, a livré sa vision de la participation des parlements nationaux aux affaires européennes. Selon lui, les parlements nationaux, et surtout ceux des pays fondateurs de l’Union européenne, n’ont pas une très longe tradition dans la participation européenne. Au Luxembourg, ce n’est qu’à partir des deux dernières périodes législatives (1999-2004 et 2004- 2009) que les députés ont commencé à travailler de manière systématique sur les dossiers européens.

Les raisons de cet éveil aux affaires européennes sont d’après Ben Fayot multiples :

  • la Constitution européenne, qui consacre la participation des parlements nationaux par deux conventions,
  • le référendum sur le traité constitutionnel,
  • les discussions entre responsables politiques et citoyens qui s’en suivirent
  • le traité de Lisbonne, qui renforce les pouvoirs des parlements nationaux enfin.

La participation du parlement luxembourgeois à la COSAC (Conférence des Organes Spécialisés dans les Affaires Communautaires et Européennes des Parlements de l'Union européenne) constitue aux yeux de Ben Fayot un autre facteur important de l’implication des députés luxembourgeois dans les affaires européennes.

Comment fonctionne concrètement la participation du parlement luxembourgeois aux dossiers européens ? Depuis 2004, la Commission des Affaires étrangères et européennes de la Chambre des députés analyse les dossiers et fait ensuite un dispatching aux Commissions sectorielles en charge de la matière. D’après Ben Fayot, la Chambre des députés a récemment engagé une négociation avec le gouvernement luxembourgeois afin d’obtenir les notes de fond sur les différents dossiers, pour que les députés puissent mieux suivre l’évolution des dossiers. Mais le gouvernement est encore réticent à donner son feu vert.

Pour Ben Fayot, le bilan de cinq ans de travail s’annonce mitigé : "Je mentirais si je disais que j’étais satisfait, car malgré la bonne volonté, il est évident qu’ajouter la dimension européenne aux travaux conventionnels des députés, est une lourde tâche et demande encore une plus grande professionnalisation des acteurs parlementaires", a-t-il reconnu. Et de conclure que "si nous ne réussissons pas à intégrer davantage des parlements nationaux, l’Union européenne deviendra davantage une question de technocrates spécialisés, d’un petit groupe".

Luca Verzichelli : le projet INTUNE

Luca Verzichelli, chercheur italien et professeur de sciences politiques à l’Université de Sienne, a ensuite présenté "InTune" (Integrated and United : A quest for citizenship in an ever closer Europe), un projet de recherche européen, auquel participent plus de 100 chercheurs de l’Europe de l’Est et de l’Ouest, ainsi que 29 institutions européennes.

Financé par le 6e programme-cadre de recherche de l’Union européenne, InTune s’est donné comme objectif d’analyser "si et comment, dans le cadre des nouveaux défis auxquels fait face l’Union européenne, une citoyenneté européenne est en train de se forger".

Selon Verzichelli, le projet, qui a débuté en 2005, se compose de trois "blocs" problématiques :

  1. Comment une politique spécifique peut-elle influencer la citoyenneté ? Comment différentes identités peuvent coexister dans un système complexe ?
  2. Quelles formes de responsabilité la citoyenneté européenne développe-t-elle ? Comment les identités existantes influencent-elles la relation entre élites et masse ?
  3. Qu’attendent les citoyens de l’Union européenne de la nouvelle gouvernance européenne ?

InTune analyse ainsi les changements du concept de "citoyenneté" dans sa forme, sa nature et ses caractéristiques, à travers le processus d’intégration et d’élargissement de l’Union européenne, tout en mettant un accent sur la question comment « l’intégration et des processus décentralisés, au niveau national et européen, affectent les trois dimensions majeures de la citoyenneté : l'identité, la représentation, et la pratique de bonne gouvernance.

"Le but du projet est de proposer", selon Verzichelli, " une image dynamique des différentes dimensions et caractéristiques de la citoyenneté européenne".

Les chercheurs qui participent au projet sont divisés en quatre groupes thématiques :

  • opinion publique,
  • élites politiques et économiques,
  • médias de masse et experts.

Chacun analyse, à travers la collection de données, d’interviews et de sondages, les positions des groupes-cibles par rapport à l’Union européenne.

Une première série d’interviews et de sondages a déjà été menée pour tous les groupes-cibles. Une deuxième sera lancée au moment de la campagne électorale pour les prochaines élections européennes en juin 2009.

Herbert Gottweis et le projet Paganini

Herbert Gottweis, professeur de sciences politiques à l’Université de Vienne et coordinateur du projet de recherche "Paganini", s’est penché sur les nouvelles formes que peut prendre la participation citoyenne à la gouvernance européenne.

Paganini, ou "Participatory Governance and Institutional Innovation", est un projet de recherche financé dans le cadre du 6e programme-cadre de recherche et de l’innovation de l’Union européenne. Le projet a analysé comment certaines formes de participation civique peuvent contribuer à résoudre des problèmes dans un certain nombre de domaines controversés de la gouvernance européenne, appelés les "politiques de la vie".

Les "politiques de la vie", qui réunissent des secteurs comme la médecine, la santé, l’alimentation, l’énergie et l’environnement sont, d’après Gottweis, des dimensions de la vie qui ne sont pas complètement sous contrôle humain. 

Les objectifs du projet, qui a pris fin en 2007, furent :

  • d’analyser comment les domaines de gouvernance liées aux « politiques de la vie » constituent un nouveau défi pour la participation citoyenne
  • de révéler comment la participation citoyenne dans des domaines-clés de la recherche et de la technologie des "politiques de la vie" peut être organisée de manière plus pertinente et efficace
  • d’analyser le rôle changeant de la participation civique dans le contexte d’une gouvernance de l’Union européenne  à différents niveaux
  • de contribuer à une redéfinition des institutions en vue des "politiques de la vie" émergentes.

Wilhelm Lehmann : L’éviction progressive de la "rhétorique de la gouvernance"

Wilhelm Lehmann, de la division des Affaires internationales et constitutionnelles du Parlement européen, évoqua le Livre blanc sur la gouvernance de juillet 2001 qui avait été précédé d’un appel de la Commission européenne à des contributions de la part du monde académique. Mais lorsqu’il fut publié, le monde universitaire a réagi de manière négative. Le fait de prôner que la méthode ouverte de coordination ne soit utilisée que là où la méthode communautaire ne pouvait l’être causa des déceptions. De l’autre côté, le Parlement européen prit ses propres initiatives. Il était question de nouveaux contrôles, de la vérification de la subsidiarité, de la mise en avant du principe de précaution. Mais aussi de mises en garde contre une limitation des droits de la Commission. Une incertitude planait sur la question qui allait dorénavant mettre les priorités, exercer certains contrôles ou assumer des responsabilités.

D’où actuellement un retour possible du politique classique. Cela ne veut pas dire que l’on renoncera à l’approche par de multiples méthodes des problèmes à résoudre ou aux nouvelles formes de participation. Mais même pour un Parlement européen qui est supposé être plus ouvert et plus sensible aux préoccupations des citoyens, le retour aux structures politiques plus classiques semble nécessaire. La légitimité de ces structures vient du fait qu’elles ont des vraies attributions politiques et pas avant tout techniques, comme les agences de l’Union européenne, les réseaux ou les lobbys.

Pour Lehmann, le traité de Lisbonne a réduit les questions de gouvernance. Dans l’article 291 (3), le Parlement européen et le Conseil sont habilités à établir par voie de règlement "les règles et principes généraux relatifs aux modalités de contrôle par les États membres de l'exercice des compétences d'exécution par la Commission". Dans l’article 298 (1), il est dit que les organes de l’Union européenne "s’appuient sur une administration européenne ouverte, efficace et indépendante". Il n’est question qu’une seule fois de "bonne gouvernance" à l’article 15 (1). "La rhétorique de la gouvernance disparaît", dit Lehmann. La CJCE par contre est de retour, et la "soft law" doit de nouveau céder à la "hard law", déclara-t-il en faisant référence à de récents arrêts de la Cour. Ce que Lehmann ne regrette pas.