Le 19 novembre 2008, les discussions autour de la déclaration de politique étrangère ont continué à la Chambre des députés. Après le discours prononcé par le ministre des Affaires étrangères Jean Asselborn, ce fut au tour des députés luxembourgeois de s’exprimer sur la déclaration. De manière générale, les députés de la coalition, ainsi que des partis de l’opposition, sauf l'ADR, ont approuvé la déclaration de Jean Asselborn. Les politiques européennes et les problèmes au sein de l’Union européenne ont largement dominé ce débat.
Laurent Mosar, du CSV, s’est concentré sur trois aspects de la politique européenne. Le traité de Lisbonne, la crise financière et les relations transatlantiques entre l’Union européenne et les USA au lendemain des élections.
La ratification du traité de Lisbonne après le Non irlandais, ainsi que la perspective d’une Europe plus proche du citoyen d’abord. Laurent Mosar a reconnu la nécessité d’accorder du temps à l’Irlande pour trouver une voie pour sortir du statu quo. "Mais les Irlandais devront présenter un plan de bataille, et ils devront surtout faire des efforts pour créer une atmosphère favorable au Oui", a souligné le député. Mosar a ensuite abordé un autre problème de l’intégration européenne. Dans son analyse, "si nous n’avançons plus avec la construction européenne dans certains domaines, c’est parce que les Etats membres ne veulent plus avancer", a-t-il expliqué. Pour Mosar, il faudra arrêter, du moins momentanément, l’élargissement des compétences de l’Union européenne, car cela provoque un "malaise grandissant" auprès des citoyens. Il faudra bien plus "donner aux citoyens l’impression que l’Union européenne réagit aux trois grands défis du moment", que sont la crise financière, le changement climatique et le changement démographique.
La crise financière ensuite. D’après Mosar, la crise peut présenter une opportunité, et pourrait même contribuer à un consentement plus facile des Irlandais au traité de Lisbonne. "Mais il ne s’agit pas uniquement de trouver des solutions, il faut également les mettre en œuvre rapidement", a-t-il martelé. Les institutions devront toutes assumer pleinement leur rôle et leurs responsabilités. "Surtout la Commission semblait avoir perdu sa voix au cours de la crise", a déploré le député, tout en saluant les décisions du G20 à Washington le 16 et 17 novembre 2008.
Les relations transatlantiques enfin. Laurent Mosar a accueilli avec bienveillance l’arrivée au pouvoir de Barack Obama, candidat démocrate aux Etats-Unis, car celui-ci "a misé dès le début sur le multilatéralisme". La victoire d’Obama peut annoncer selon le député une nouvelle ère des relations euro-américaines, mais posera également des défis à l’UE.
Le député libéral Charles Goerens (DP) a continué sur la même lignée que Laurent Mosar. A ses yeux, l’Union européenne devrait préparer un catalogue de ses revendications et le remettre au nouveau Président américain. "Mais l’Union européenne n’est pas encore consolidée de manière assez forte pour agir d’une telle manière", a-t-il regretté. Il s’est ensuite attaché au problème de déséquilibre entre grands Etats membres et petits pays au sein de l’Union européenne. Au cours des derniers mois, la presse internationale avait défendu la position selon laquelle Nicolas Sarkozy a seulement pu mener à bien la crise financière parce qu’il est président de la France, et non pas parce qu’il est président de l’Union européenne. "Si telle est l’opinion générale, alors le principe de l’égalité au sein de l’Union européenne est mort", a fustigé le député libéral. De même, Charles Goerens a estimé que la Commission européenne devrait assumer un rôle plus dominant et proactif au sein du triangle institutionnel Commision - Conseil - Parlement européen. "La Commission est la gardienne des traités, et elle seule est capable de défendre les petits Etats membres", a-t-il souligné. Goerens aimerait transmettre ce message à Manuel Barroso à l’occasion de sa visite à la Chambre le 4 décembre 2008.
Ben Fayot, député socialiste (LSAP), a estimé que "nos interventions de [politique étrangère] sont seulement efficaces si nous agissons de manière unie, que ce soit dans le cadre de l’OTAN ou de l’Union européenne". Mais d’après lui, c’est là où le bât blesse. A Washington lors du G 20, l’Union européenne a raté une nouvelle fois l’occasion de parler d’une seule voix. "Le levier de chaque présidence, que ce soit un petit ou un grand Etat membre, doit être le partenariat de tous les pays ", a-t-il insisté. Dans ce contexte, le député socialiste a porté l’attention sur la Présidence tchèque de l’Union européenne qui débutera en janvier 2009. Tout en exprimant sa confiance dans le gouvernement tchèque "qui saura mener à bien cette présidence", Fayot a attaqué l’attitude du Président tchèque, Vaclav Klaus. Ce dernier se serait qualifié lors d’une visite en Irlande de "dissident européen" auprès du principal initiateur du Non. "Il semble que Vaclav Klaus vit toujours dans l’ère soviétique. Mais il semble oublier que l’UE n’est pas l’URSS, parce que chaque Etat membre décide librement de son adhésion ou de sa sortie", a-t-il fustigé.
Les élections européennes furent un autre accent dans le discours de Ben Fayot. "Les élections européennes sont une véritable opportunité pour rapprocher l’Europe de ses citoyens. Celles-ci donnent au citoyen la possibilité d’intervenir dans la politique européenne", a-t-il avancé. Pour lui, la campagne autour des élections européennes devra surtout s’articuler "dans une politique européenne". Il ne faudra pas éviter les sujets "difficiles" dans les débats avec les citoyens, tels que la politique d’immigration. Dans ce contexte, Fayot a salué "la politique européenne conséquente" du gouvernement luxembourgeois. Il a estimé le gouvernement a fait des efforts considérables ces derniers temps, notamment en favorisant "une meilleure mise en œuvre du droit communautaire", en menant une politique d’information conséquente via le site Europaforum.lu, ou encore en organisant nombre de débats avec les citoyens.
Dans la même lignée, Fayot a relevé l’importance du "rapport sur la politique européenne du gouvernement 2007-2008" présenté à la Chambre des députés par le ministre délégué aux Affaires étrangères et à l’Immigration le 27 octobre 2008. "Je souhaite que ce rapport fasse l’objet d’une grande publicité, car il présente de manière précise l’essence de notre politique européenne. Pourquoi ne pas en faire une publication à grande échelle", a conclu Ben Fayot.
Le fil conducteur de l’intervention de Felix Braz, (Déi Gréng) fut qu’à des problèmes globaux, il faut des solutions globales dans un contexte international marqué par des crises qui ouvrent malgré elles des opportunités et soulèvent, par les solutions qu’elles suscitent, des espoirs. Dans ce contexte, Braz a jugé que l’Europe devait s’engager pour une nouvelle architecture internationale qui permette la maîtrise des questions économiques et environnementales et conduise également à une réforme de l’ONU. Braz a finalement plaidé pour que le désarmement se retrouve comme priorité sur les agendas des Etats membres de l’Union européenne.
Se démarquant de la tonalité de la déclaration de politique étrangère de Jean Asselborn de la veille, qui avait déclaré que "la politique étrangère luxembourgeoise s’entend comme une politique étrangère européenne", Jacques-Yves Henckes (ADR) annonça la couleur : "La politique étrangère d’un pays doit d’abord servir l’intérêt national. La défense des intérêts de l’Europe relève de la compétence de l’Europe. L’intérêt national et l’intérêt européen ne sont pas nécessairement identiques." Henckes souleva quelques questions : Y a-t-il un accord institutionnel qui stipule que si la prochaine Commission européenne devait compter moins de commissaires que d’Etats membres, le pays dont le Haut représentant pour la politique étrangère serait le ressortissant renoncerait à "son" commissaire ? Ne faudrait-il pas manifester plus de respect à l’égard du Non irlandais, surtout dans un petit pays comme le Luxembourg ? Il annonça ensuite que l’ADR allait proposer une loi qui oblige le gouvernement à fournir à la Chambre tous les projets de directive, car selon lui, tous les ministères ne respectent pas l’accord sur une meilleure coopération signé entre gouvernement et Chambre sur les questions européennes. Il se demanda ensuite pourquoi le gouvernement n’avait pas, à l’instar de la Suisse, convoqué les ambassadeurs des pays d’où étaient partis les reproches que le Luxembourg était un "paradis fiscal". Il mit en avant la nécessité d’un argumentaire qui s’en prendrait à d’autres pays qui critiquent le Luxembourg et "qui sont eux des paradis fiscaux, comme par exemple la France", pays "où les bons de trésor anonymes circulent comme de la monnaie".
La députée Lydie Err (LSAP), parlant en son propre nom, se demanda si l’étoile de l’Europe n'était pas en train de pâlir auprès des citoyens. Les éléments pour trancher sont contradictoires, car dans une majorité de pays, les citoyens font plus confiance aux instances de l’Union européenne qu’à leurs propres institutions nationales. A l’extérieur de l’Europe, en Amérique latine, en Asie, l’Union européenne est considérée comme un modèle d’intégration régionale. C’est cette intégration qui a permis à une Union qui représente seulement 7 % de la population mondiale d’arriver à plus de 30 % du PIB mondial. "Si nous n’étions pas 27 pays à agir ensemble, qu’en serait-il de la voix de chacun de nous pris un à un ?", s’est demandée la députée.
Regrettant que les derniers traités aient été rejetés, elle explora la meilleure manière de progresser avec le traité de Nice. Augmenter la visibilité de l’Union européenne, revendiquer pour elle un siège à l’ONU, pousser de manière concertée des candidats européens, faire présider le Conseil "Affaires étrangères" par le Haut Représentant, introduire le droit d’initiative des citoyens sans passer par les traités, tenir un référendum européen sur les grandes orientations de l’Union, demander à l’Irlande si elle accepte que la grande majorité change les règles ou sinon quitter l’association qu’est l’Union européenne. Elle plaida aussi pour que l’Europe soit dotée d’un supplément d’âme qui puisse stimuler le sentiment d’appartenance, par une fête commune et fériée le 9 mai, par des manuels d’histoire et de géographie qui contiennent une partie commune. Finalement, elle salua la politique euro-méditerranéenne, "car c’est avec la stabilité dans la Méditerranée, qui est le berceau de notre culture, que notre stabilité continue ou tombe".
Ce fut ensuite au tour de Jean Asselborn de répondre aux députés. Le ministre des Affaires étrangères insista sur le fait que le Luxembourg agit, en matière de secret bancaire, en conformité avec les accords européens et la directive de 2005. "Pas besoin de convoquer les ambassadeurs, Monsieur Henckes. Quand nous avons quelque chose à nous dire dans l’Union européenne, nous parlons directement de gouvernement à gouvernement."
En réponse à des préoccupations de Charles Goerens, il informa la Chambre qu’à Marseille, les chefs de la diplomatie européenne avaient préparé un catalogue pour la nouvelle administration américaine, un catalogue qui n’avait pas encore été rendu public mais qui s’articulait autour de trois axes : que l’Union européenne doit être perçue comme une communauté de destin, qu’elle mise sur une approche multilatérale des problèmes globaux et que la meilleure de résoudre ceux-ci serait que les USA et l'Union européenne travaillent ensemble.
Asselborn aborda la question de la méthode avec laquelle la question des boucliers anti-missiles américains en Pologne et en République tchèque avait été abordée par les différentes parties. Malgré la promesse faite au sein de l’OTAN qu’avant toute décision, une étude de faisabilité serait faite, les USA ont pris quelques mois après une décision bilatérale impliquant Pologne et République tchèque de les installer sans étude et accord multilatéral préalable. "Ce sont là des pratiques qui rendent la politique étrangère et de sécurité commune superflue", a jugé le ministre qui a déclaré savoir qu’au moins dans un de ces pays, les boucliers anti-missiles risquent de ne pas recevoir l’aval du parlement national. Les USA ne vont pas manquer de réfléchir à ce problème, selon Asselborn, qui pense également que la déclaration du président Medvedev de faire installer des missiles dans l’enclave de Kaliningrad n’est pas seulement choquante, mais peut aussi constituer le choc salutaire qui "nous écartera du chemin des radars et des missiles qui coûtent cher, alors que nous ferions d’investir cet argent dans le développement".
Le ministre délégué Nicolas Schmit rappela que le rapport de politique européenne évoqué par le député Fayot était accessible au public sur le site Europaforum.lu. Au député Henckes, il répondit qu’il n’y avait pas d’accord sur le nombre de commissaires selon les règles du traité de Nice. Avec le traité de Lisbonne, l’Europe aurait par ailleurs un mandat plus clair pour assurer la sécurité énergétique. L’Europe sociale est selon le ministre encore marquée par des équilibres entre les salariés et le patronat, l’économie et les marchés qui sont loin d’être idéaux. Mais il en est également ainsi dans les Etats membres, qui par ailleurs co-décident sur des directives dans la mire des critiques comme celle sur le "temps de travail". Tout cela ne devrait pas faire oublier que l’Europe a joué un rôle majeur dans les normes de sécurité au travail, dans l’égalité entre hommes et femmes. "L’Europe sociale est bien sûr un chantier inachevé", a conclu Schmit avant d'évoquer la crise financière et son impact sur l’économie réelle. "Les mesures de relance doivent avoir un impact. Les propositions de la Commission sont positives. Mais il faudra des aides massives, par exemple dans tout le secteur automobile. Mais toutes les aides ne servent à rien, si les consommateurs ne sont pas en mesure d’acheter. Pour cela, il faudra surtout recréer la confiance."