La conférence nationale de l’ECC 2009 s’est terminée le 15 mars 2009 avec un débat entre les 31 citoyens réunis à Canach et des candidats aux élections européennes, en l’occurrence Frank Engel (CSV), Claude Frisoni (LSAP), le député Charles Goerens (DP), le député Jacques-Yves Henckes (ADR) et le dépuré européen Claude Turmes (Les Verts).
Dans un premier temps, Claude Entringer, Sonja Jaeger et Robert Schmit ont exposé, au nom de leurs équipes, les 10 propositions issues de la conférence nationale de l’ECC 2009.
Charles Goerens a d’emblée répondu que leurs priorités montraient que le manque d’Union européenne était d’abord constaté là où elle avait le moins de compétences. Il s’est déclaré d’accord avec un renforcement de la dimension sociale de l’Union et l’introduction d’un salaire minimum au niveau européen selon les niveaux de productivité des pays respectifs, tout en soulignant que rien dans les traités européens n’obligeait l’Union à agir dans ce domaine. Au nom de la solidarité, il s’est prononcé pour une augmentation des flux financiers vers les nouveaux Etats membres, ce qui permettrait notamment d’avoir une incidence sur la dimension sociale dans ces pays. La solidarité au sein de l’Union européenne aura selon lui la possibilité de se manifester de manière renforcée lors des négociations sur les prochaines perspectives financières de 2014-2020.
En ce qui concerne l’élargissement, Goerens a été d’avis qu’il fallait d’abord approfondir l’élargissement et ajouter aux trois critères d’adhésion à l’UE de Copenhague de 1992 - qui sont la mise en place d'"institutions stables garantissant l'état de droit, la démocratie, les droits de l'homme, le respect des minorités et leur protection", "une économie de marché viable ainsi que la capacité de faire face à la pression concurrentielle et aux forces du marché à l'intérieur de l'Union", et "la capacité (...) [d'] assumer les obligations [d'adhésion à l'UE], et notamment de souscrire aux objectifs de l'union politique, économique et monétaire" - un quatrième critère, celui de la capacité d’absorption de l’Union. Sinon ce sera à la fin "le bordel" et une dilution de l’Union européenne.
Claude Turmes s’est déclaré content qu’autant de sujets qui ont trait aux nouvelles technologies de l’environnement aient trouvé leur entrée dans les propositions des citoyens. "La crise actuelle n’est pas une crise, mais plusieurs crises à la fois", a lancé le député européen vert, qui est d’avis que l’Union européenne est, avec ses technologies en matière d’isolation des bâtiments et d’énergies renouvelables, un leader mondial, capable de fournir des ressources aux USA, à l’Inde ou à la Chine qui ont besoin de ces technologies pour être plus compétitifs et gaspiller moins de ressources. En ce qui concerne la coordination des systèmes de santé de l’Union, Turmes a rappelé la position de son parti en faveur d’un accroissement des droits et de la mobilité des patients, tout en tenant compte de la viabilité des systèmes de santé nationaux performants qui ne devrait pas être mise en danger et en écartant toute tentative de libéralisation de ces systèmes. Si l’Europe n’est pas encore allée dans la direction d’un salaire minimum, c’est pour Turmes à cause de la droite qui domine les gouvernements européens et le Parlement européen. Et si la crise frappe si fortement les nouveaux Etats membres, c’est, selon le député européen, parce qu’on a continué à y travailler selon de vieilles recettes économiques, y compris occidentales, et que l’on n’a pas pris garde au gaspillage des ressources qui a entraîné un manque de compétitivité qui a été fatal à certaines économies.
Frank Engel (CSV) a également fait le constat que 90 % des propositions des citoyens touchent à des domaines où l’Union européenne n’a que très peu de capacités d’action, comme dans l’éducation. Pour ce qui est de l’élargissement, Engel a trouvé qu’il était allé "un peu vite". Maintenant, certains nouveaux Etats membres, mais aussi l’Autriche, qui est une plaque tournante pour les investissements à l’Est sur lesquels le retour s’est tari, se trouvent au bord de la faillite d’Etat. Certains pays, comme la Lettonie, prévoient une baisse des traitements de leurs fonctionnaires pouvant aller jusqu’à 20 %. Mais ces pays auront aussi besoin de la solidarité des autres Etats membres. Engel, sans mentionner la Turquie, a posé la question s’il fallait fermer la porte aux Balkans occidentaux, à la Moldavie, à l’Ukraine et leur dénier une perspective européenne. D’où aussi sa réserve à l’égard de nouveaux critères d’adhésion.
Jacques-Yves Henckes, de l’ADR, a également exprimé son accord avec l’idée d’un SMIC dans les Etats membres et a plaidé pour que des critères de convergence sociaux européens soient élaborés, notamment en matière de conventions collectives et de salaire minimum, pour qu’une nouvelle dynamique sociale européenne soit créée. En ce qui concerne l’élargissement, le député ADR est d’avis qu’à l’encontre de l’Ukraine et des pays de l’ex-Yougoslavie, les critères d’adhésion devront être plus stricts, alors qu’il est complètement opposée à une adhésion de la Turquie, pays qui "avec ses 80 millions d’habitants, ne manquera pas de créer des déséquilibres institutionnels et impliquera trop de flux budgétaires vers ce grand pays".
Lors du débat avec les citoyens, il a été dans un premier temps question du manque d’informations simples et digestes sur les activités de l’Union européenne et du Parlement européen.
Claude Turmes a regretté que les élèves luxembourgeois sortent des écoles sans trop connaître leurs droits et devoirs et les prérogatives des ministres, députés ou maires. S’il a jugé que la presse écrite nationale couvre bien l’Europe, il a fortement critiqué les médias de RTL qui se seraient retirés selon lui de l’information sur le Parlement européen. Il a finalement constaté qu’au Luxembourg, on ne faisait pas assez pour que les multiplicateurs soient plus au fait de ce qui se fait en Europe. Il a cité comme exception positive le Secrétariat commun européen des syndicats CGT-OGBL et LCGB. Charles Goerens a de son côté recommandé aux citoyens d’utiliser les ressources Internet, dont le site du Parlement européen, transparent et bien documenté, et une chaîne de télévision comme la Chamber TV, pour s’informer sur le PE et la politique européenne.
La réponse de Frank Engel fut que le député européen du CSV devient membre du groupe politique PPE, dont les positions sont souvent très éloignées de celles du CSV. Il y a par ailleurs selon lui une différence entre la sensibilité nationale du député et la sensibilité idéologique du groupe politique dont il fait partie. Le député européen luxembourgeois défend selon lui avant tout les intérêts nationaux, ne serait-ce que parce que le pays ne compte que 6 députés parmi les 736 qui siègeront après le 7 juin 2009.
Pour Claude Turmes, qui est député européen depuis dix ans, et qui a parlé d’expérience, il faut trouver un équilibre entre l’intérêt du Luxembourg et celui du parti auquel on est affilié. Vu leur faible nombre, les députés européens luxembourgeois ne sont pas déterminants, à moins qu’ils réussissent à être très présents dans les 20 commissions de travail que compte le PE, que ce soit comme rapporteur ou rapporteur fantôme. Il faut selon lui que "le député européen luxembourgeois soit respecté par ses pairs au-delà de l’intérêt national". Il a cité l’exemple de députés européens allemands et français, donc venant de grands pays, qui ont souvent été mis en minorité à cause de la manière exacerbée dont ils ont manifesté l’intérêt national de leur pays. Sa recette : opter pour des politiques bonnes à la fois pour le peuple que l’on représente et l’Europe ; mieux s’organiser, se faire confiance entre députés luxembourgeois et travailler les dossiers dès qu’ils sont tablés.
Pour Charles Goerens, le Luxembourg manque de ressources pour fonder l’élaboration de ses politiques sur des bases scientifiques. Pour lui, le gouvernement devrait livrer à la Chambre des députés, aux chambres professionnelles et aux ONG directement concernées les nouveaux projets européens assortis d’une note explicative qui décrit l’enjeu européen et l’intérêt ou l’enjeu national, afin qu’ils soient l’objet de discussions dès le début d’un processus de négociation. D’autre part, les députés européens luxembourgeois doivent se constituer en "masse critique", par exemple pour contrer "la radicalisation du langage" qui s’est déchaînée dans de grands pays contre le Luxembourg lors de l’affaire des "paradis fiscaux" et qui a, selon Goerens, "fortement ébranlé la confiance des Luxembourgeois dans l’Union européenne et les grands pays voisins".
Claude Frisoni a trouvé de son côté que les attaques menées en France contre le Luxembourg, étaient, vu le rôle de la France dans la gestion des principautés d’Andorre et de Monaco, "le comble de l’hypocrisie". Et il s’est étonné de l’attaque de certains politiques français, dont la fille d’un ancien maire d’Audun-le-Tiche, Aurélie Filipetti, qui aurait traité le Luxembourg de "pays parasite", en rappelant que 74 % de la population active de cette ville frontalière gagnait sa vie au Grand-Duché. "Cela n’excuse pas tout, mais entre le fantasme français et l’égoïsme luxembourgeois et une Union européenne menaçante, il y a certainement une mesure".
Pour Claude Turmes, le Luxembourg a agi, en matière de fiscalité de l’épargne, depuis 2003 dans le cadre de la loi européenne telle qu’elle est ressortie des accords de Feira de 2000. S’il doit y avoir des changements, ceux-ci doivent s’opérer selon les règles européennes. Le débat sur les paradis fiscaux n’aurait pas pris la forme qu’il a prise si la Commission avait été forte et si son président Barroso "n’était pas aussi faible et ne s’aplatissait pas au moindre coup de téléphone d’un dirigeant d’un grand pays".
Jacques-Yves Henckes a souligné dans ce contexte les dangers inhérents aux décisions à la majorité qualifiée, un mode de décision qui favorise les grands pays et que l’ADR rejette pour lui préférer la méthode intergouvernementale qui suppose le consensus et l’unanimité.
Les citoyens qui se sont réunis à Canach en 2009 ont voulu savoir quel avait été le suivi des propositions de ceux qui s’étaient réunis lors de l’ECC 2007. Les organisateurs n’ont pas pu leur répondre, les politiques à la tribune non plus. Claude Turmes a trouvé que ces exercices étaient utiles pour les citoyens et souhaité que plus d’efforts de ce genre soient faits pour expliquer l’Europe. Il a aussi insisté sur la part des choses entre la démocratie délibérative à travers laquelle on délibère et on consulte et la démocratie formelle qui décide. Frank Engel a lui aussi souligné l’utilité des forums de citoyens et mis en évidence la civilité qui caractérise la culture politique luxembourgeoise, ce qui se traduisait notamment par un certain consensus sur la plupart des revendications sociales en Europe.