Le 26 septembre 2009, le Comité de Liaisons des Associations d’Etrangers (CLAE), organisait à Luxexpo, en collaboration avec l’Ausländerbeirat de la ville de Trèves et l’association Inter Service Migrants Est qui est active en Lorraine, une rencontre ouverte aux personnes désireuses de discuter et d’échanger sur les problématiques de la migration, qu’elles soient sociales, culturelles, politiques, économiques liées à l’installation et la vie dans la Grande Région. Une centaine de ressortissants de pays tiers et de représentants d’associations issues de l’immigration qui ont leur siège en Allemagne, en France et au Luxembourg ont donc répondu présents à cette invitation.
Cette journée s’inscrivait dans le cadre du projet "À Citoyenneté Egale", qui bénéficie d’un cofinancement du Fonds européen d’intégration de ressortissants de pays tiers, et qui vise à encourager la participation sociale, politique, culturelle et économique des ressortissants des pays tiers au sein de la Grande Région.
La démarche du projet, coordonné par le CLAE en collaboration avec l’Ausländerbeirat de la ville de Trèves et l’association Inter Service Migrants Est, repose sur une pratique participative. Cette initiative est nourrie par la volonté de ne pas enfermer les ressortissants des pays tiers dans des mesures politiques, mais au contraire, par un échange continu, de définir ensemble quels sont les mesures et dispositifs qui permettront une meilleure intégration de la société dans sa globalité.
Le premier volet du projet, sous le titre "pour plus de participation" vise à créer une interface entre les ressortissants des pays tiers et le reste de la société. Après une première phase de recensement des acteurs associatifs au Luxembourg et dans la Grande-Région dont les membres sont originaires des pays tiers, il s’agit de consolider ces liens afin de pouvoir imaginer ensemble de nouvelles solutions, tant au niveau culturel, social, économique que politique pour créer un meilleur modus vivendi. Un congrès organisé en 2010 permettra d’entendre les résultats de cette réflexion.
Le deuxième volet, intitulé "vers la mobilité professionnelle", consiste en un échange de bonnes pratiques entre acteurs de la Grande-Région sur les initiatives qui pourraient faciliter l’insertion professionnelle des ressortissants des pays tiers. Trois tables rondes seront à ce titre organisées dans les prochains mois sur des thèmes comme "l’accès à l’emploi des nouveaux immigrés", "les nouvelles expériences autour de la lutte contre les discriminations" ou encore "l’équité sociale et culturelle".
Christiane Martin, directrice de l’Office luxembourgeois de l’Accueil et de l’Intégration (OLAI) a souligné le caractère innovateur de ce projet et de cette journée d’échanges qui, en insistant sur l’aspect participatif de l’intégration, fait écho à la loi du 16 décembre 2008 concernant l’accueil et l’intégration des étrangers au Grand-Duché de Luxembourg ainsi qu’au plan d’action pluriannuel dans le cadre duquel un forum de consultation se tiendra en décembre 2009.
Martine Fontaine, directrice de l’association lorraine Inter Service Migrants Est, a évoqué son souhait de voir la question de l’immigration non plus abordée comme un problème, comme c’est souvent le cas en France, mais comme une opportunité fantastique pour la Lorraine, pour la France comme pour l’Europe. Cette journée d’changes est pour elle l’occasion de confronter les points de vue et de remettre en question les "formatages nationaux" de chacun.
Maria de Jesus Duran Kremer, présidente du conseil consultatif des étrangers de la ville de Trèves, qui a pour mission de représenter et de défendre les intérêts politiques, sociaux et juridiques des ressortissants de pays tiers, a insisté sur sa part sur la nécessité de défendre les valeurs de l’égalité des chances et des droits.
Anita Helpiquet, chargée du projet "À citoyenneté égale" au CLAE, a expliqué que l’objectif de cette journée était de faire émerger les préoccupations communes au sein de la Grande Région, et ce bien que les expériences soient très différentes au sein de la Grande Région. Par ailleurs, le CLAE souhaitait saisir l’occasion de cette réunion pour proposer la tenue d’un congrès des associations issues de l’immigration non-communautaire de la Grande Région en novembre 2010. L’idée est en fait de constituer un réseau au niveau de la Grande Région.
Alexia Serré, doctorante en sociologie de l’université Paul Verlaine de Metz, a présenté l’objet de ses recherches qui se concentrent sur une approche comparative de la vie associative immigrée au Luxembourg et en Lorraine. L’objectif de la jeune chercheuse ? Comprendre les discours et les pratiques de ces associations qui révèlent la façon de concevoir la participation des immigrés dans leur région d’accueil. Car qu’elles soient ou non revendiquées comme politiques, les activités de ces associations contribuent à la vie politique de la cité et Alexia Serré entend saisir à travers son analyse du monde associatif de l’immigration "l’intégration vue du bas".
Son travail, elle le mène donc auprès d’une soixantaine d’associations, par le biais d’entretiens au sujet de l’histoire, de la philosophie, du fonctionnement, des activités des associations qui lui permettent de comprendre les difficultés, les enjeux, mais aussi les stratégies ou les connexions de ces structures. Le projet "À citoyenneté égale" fait donc écho aux questions que soulève sa recherche et qui place chacune des personnes présentes en position "d’expertise". A ses yeux en effet, l’expérience de l’intégration, les compétences et les savoirs de tous les acteurs présents peuvent être mobilisés dans le processus de prise de décision.
Dans un premier temps, Alexia Serré s’est attachée à décrire les contextes différents dans lesquels se développe la vie associative immigrée. En effet, s’ils sont proches géographiquement, la Lorraine et le Luxembourg sont séparés par une frontière mais ils se distinguent aussi par des histoires, et notamment des histoires des migrations, très différentes. Il en découle que la réalité associative se construit différemment. Ainsi, au Luxembourg, le gouvernement a-t-il face à lui deux interlocuteurs majeurs clairement identifiés comme le CLAE et l’ASTI, qui sont amenés à collaborer, à être force de proposition et à prendre des positions au nom de l’ensemble des associations concernées. Un phénomène qui est loin d’exister en Lorraine, un territoire bien plus grand au sein duquel les réalités de la vie associative varient grandement.
Pourtant, le pays de résidence ne fait pas tout. Et Alexia Serré s’est donc attachée à distinguer les associations selon l’origine représentée, l’ancienneté de l’immigration, le territoire d’implantation et d’intervention et enfin les activités organisées. Ces dernières s’articulent généralement autour de trois pôles. En premier lieu la valorisation de la culture d’origine et le maintien du lien communautaire, en deuxième lieu l’action sociale qui consiste le plus souvent à accompagner les primo-arrivants, et enfin une action de représentation plus politique qui s’adresse à la fois à la communauté d’origine, à la société d’accueil, à l’Etat et aux élus ainsi qu’au pays d’origine.
Pour Alexia Serré il n’y a pas lieu de hiérarchiser ces types d’activités associatives qui, tous à leur manière, contribuent à l’organisation de la vie collective dans la cité.
Interrogée sur le concept d’intégration, la jeune sociologue a expliqué qu’il s’agissait d’un "concept frontière" mobilisé constamment du fait de sa définition en général "minimale" et qui désigne de fait un grand nombre de réalités. Son travail consiste justement à éclairer, à partir de l’analyse des pratiques associatives, la façon de concevoir et de pratiquer l’intégration qu’ont les associations issues de l’immigration elles-mêmes.
9 groupes de discussion ont ensuite été constitués, aussi hétérogènes que possible, afin d’aborder des thématiques de discussions liées à l’immigration. Les discussions sont allées bon train tout le long de la journée, abordant et interrogeant des sujets comme l’intégration, la valorisation de la culture d’origine, les surprises que réserve la culture d’accueil, la discrimination, la solidarité avec les pays d’origine, l’éducation des enfants, les problèmes des enfants qui constituent la deuxième et parfois la troisième génération d’immigrants, la participation à la vie politique ou encore l’importance de l’apprentissage des langues, du travail ou encore de l’éducation.
Qu’entend-on par intégration, quel est le rôle de chacun – la société d’accueil et le ressortissant d’un pays tiers – dans ce processus ? Quel est le rôle de l’école pour assurer l’égalité des chances ? Comment favoriser la rencontre nécessaire entre les cultures représentées par ces deux parties ? Les membres d’associations issues d’immigrés ne devraient-ils pas essayer de participer aussi aux activités d’associations "autochtones" ? Qu’en est-il de la rencontre avec les religions autochtones, de leur explication ? Ne faudrait-il favoriser la mixité au sein des associations issues de l’immigration afin de limiter les risques et accusations de "communautarisme" ? Comment appréhender le problème linguistique dans ce contexte, qui de surcroît s’avère particulièrement riche et complexe au Luxembourg trilingue ?
Ne serait-il pas nécessaire de créer une stratégie commune aux différentes associations afin d’avoir plus de visibilité et de force ? Ne faut-il pas mobiliser les réseaux économiques pour pouvoir peser et contrer les pratiques discriminatoires dans le monde du travail ? Et pourquoi ne pas créer un label contrôlé et suivi en la matière ? Un enseignement minimal sur la diversité culturelle ne permettrait-il pas, à long terme, d’avoir un effet bénéfique sur les élèves des écoles en valorisant les cultures étrangères pour les uns et d’origines pour les autres ?
Etre plus actifs dans la vie politique permettrait-il de faire évoluer les choses, et dans ce cas, comment s’engager quand le droit de vote pour les ressortissants des pays tiers n’existe pas partout ? Ne faudrait-il pas expliquer de manière plus conséquente le champ politique et le fonctionnement des élections à ceux auxquels la loi confère de nouveaux droits, et qui parfois viennent de pays qui ne connaissent pas d’élections libres et où ils ne bénéficient pas de ces droits démocratiques ? Faut-il se fédérer pour pouvoir mieux représenter les intérêts des étrangers non-communautaires ? Pourquoi ne pas créer une fédération d’associations à l’échelle de la Grande Région qui pourrait être force de proposition et émettre des prises de position ?