Dans une interview avec les journalistes du "Monde", Philippe Ricard et Jean-Pierre Stroobants, Jean-Claude Juncker, Premier ministre luxembourgeois depuis 1995 et président de l'Eurogroupe depuis 2004 explique pourquoi il s’oppose à un type de candidat comme Tony Blair, pourquoi il ne refuserait pas un appel de l’UE, mais à des conditions qui lui permettent d’agir comme président du Conseil européen, pourquoi l’Europe n’est pas seulement le fait des grands mais aussi des petits pays et pourquoi il n’est pas juste de croire que le personnel politique des petits Etats dispose de moins d’expérience et de compétences européennes que celui des grands Etats membres. Finalement il s’explique sur son fédéralisme "qui conçoit de mettre en commun ce qui importe et laisse hors des zones d'influence de l'Union ce qui nous est propre".
A la question, pourquoi il s’oppose à la candidature de Tony Blair, Juncker répond indirectement. Il rappelle les positions du Benelux qui demande dans son mémorandum du 5 octobre 2009 à ce que "le président du Conseil européen ait la stature d’un chef d’État ou de gouvernement" qui "a démontré son engagement européen et (...) développé une vision sur l’ensemble des politiques de l’Union", qui est aussi "à l’’écoute des États membres et des institutions et sensible aux équilibres institutionnels qui caractérisent la méthode communautaire."
Il déclare ensuite qu’il "ne distingue pas les domaines dans lesquels le Royaume-Uni aurait fait preuve d'une véritable inspiration européenne au cours des dix dernières années, hormis des avancées sur la défense". Pour Juncker, le président du Conseil européen, qui représente l’UE, doit avoir "comme souci principal de la servir, de la rassembler autour de compromis vertueux, et qui ne ferait pas semblant de la représenter à l'extérieur sans avoir assuré sa cohésion interne." Autre élément qui compte pour Juncker: la "volonté de faire avancer l'Union européenne, y compris l'union monétaire", et il ajoute : "D'autres n'ont pas su adopter ce rythme…" Or, si l'Union européenne a acquis une crédibilité internationale, c’est selon lui "à travers la création de la monnaie unique". La méthode : "un calendrier préétabli et des institutions fortes au service de ce calendrier. C'est la méthode communautaire, qui suppose une interaction entre la Commission, le Conseil, et le Parlement européens."
Juncker candidat ? Le Premier ministre préfère ne pas se porter candidat à une telle fonction, mais "laisser venir les appels des autres". Et de rappeler que s’il n’a pas accepté en 2004 la présidence de la Commission européenne, c’est parce qu’il avait "promis aux Luxembourgeois de rester leur premier ministre, en cas de réélection". Cette promesse, il ne l’a pas faite en 2009. Donc : "Si un appel m'était lancé, je n'aurais pas de raison de refuser de l'entendre. A condition qu'il soit sous-tendu par des idées ambitieuses pour ce poste."
Sa façon de voir le profil du premier président "stable" du Conseil ? Avoir agi en fonction du pays d’origine et de l'Union européenne ; vouloir diriger l'Europe "d'une façon cohérente, inclusive, et globale" ; "savoir conjuguer les plans, les idées et les rêves des grands comme des petits pays"; "être un 'facilitateur' pour le couple franco-allemand, sans négliger la dimension élargie de l'Union". Donc pas un "poste d'apparat" qu'il n’aurait jamais l'idée d’accepter.
Pour Juncker, le haut représentant pour les relations extérieures aurait un rôle "plus international", mais il ne pourrait rien faire sans l'aval du président du Conseil européen. "Les relations internationales en Europe ont cessé de passer par les seuls canaux berlinois, londoniens ou parisiens", telle est sa thèse, et pour ce qui est lui en tant que personne, il annonce la couleur : "Je ne suis pas un nain… J'ai des relations amicales avec Vladimir Poutine, contrairement à ce que raconte la presse britannique. Et je connais depuis longtemps les dirigeants chinois."
Les journalistes passent ensuite en revue les relations qu’entretient Jean-Claude Juncker avec Nicolas Sarkozy, Angela Merkel et les Britanniques. Avec le président de la République française, il a "des relations que je veux croire amicales", car sur sa façon d’aborder la crise, "nous nous sommes dit les choses". Le contentieux avec Angela Merkel sur les paradis fiscaux n’a pas laissé de traces, mais il a été surpris, que malgré les assurances, le Luxembourg se retrouve, après le G20, "sur les listes grises après avoir adopté les standards de l'OCDE". Et puis, les Britanniques ont beau de lui reprocher d'être trop fédéraliste, il n’en pense pas moins que "les nations ne sont pas une invention provisoire de l'Histoire". Bref, "je suis un fédéraliste au sens européen du terme, qui conçoit de mettre en commun ce qui importe et laisser hors des zones d'influence de l'Union ce qui nous est propre."
Son commentaire de la candidature du premier ministre néerlandais, Jan Peter Balkenende, : "C'est un ami, même si j'ai parfois des divergences notables avec lui sur les débats européens de fond. J'ai pris des risques au moment du référendum sur la Constitution dans mon pays, en suggérant de démissionner en cas de victoire du non. Il ne l'a pas fait, mais je le comprends parce que je connais la situation de son pays."