Alors que le processus de ratification du traité de Lisbonne s’est poursuivi avec la ratification successive, ces dernières semaines, de l’Allemagne, de l’Irlande et de la Pologne, le Bureau d'information du Parlement européen à Luxembourg, la Représentation de la Commission européenne au Luxembourg, le Mouvement Européen Luxembourg et le Centre européen des consommateurs ont invité les citoyens à poser toutes leurs questions sur le traité de Lisbonne à l’occasion d’un Midi de l’Europe.
Des incertitudes planent encore sur l’entrée en vigueur prochaine du traité du fait de la République tchèque, dernier Etat membre à devoir le ratifier. La Cour constitutionnelle doit encore prononcer un arrêt sur la conformité du traité avec la Constitution tchèque. De plus, le président Klaus ne s’est toujours pas décidé à signer, réclamant désormais une dérogation au sujet de la Charte de Droits fondamentaux. Et il semblerait qu’il soit désormais suivi dans ses exigences par le Premier ministre slovaque Robert Fico, alors que la Slovaquie a déjà ratifié le traité.
Pourtant, l’espoir d’une ratification par l’ensemble des Etats membres et d’une possible entrée en vigueur se perçoit dans les spéculations qui vont bon train au sujet des postes nouvellement créés par le traité. Il est donc temps de s’intéresser aux changements que ce traité, s’il entre en vigueur, va introduire tant pour les institutions nationales et européennes, que pour les citoyens.
Herwig Hofmann, professeur à l'Université de Luxembourg spécialisé en droit communautaire, et Ben Fayot, député socialiste qui préside notamment la Commission des Affaires étrangères et européennes à la Chambre des Députés, se sont donc attachés à répondre aux questions d’une assistance venue nombreuse.
Dans un premier temps, Herwig Hofmann a tenu à souligner la spécificité du projet d’intégration européenne dans le cadre duquel viennent s’inscrire les modifications apportées par le traité de Lisbonne. La méthode communautaire, qui a permis l’intégration, est basée sur une intégration par le droit dont les différents traités qui se sont succédés ont constitué le cadre. De cette manière, tous les Etats, grands et petits, ont les mêmes droits, et les citoyens de tous les Etats membres ont aussi des droits vis-à-vis de leurs Etats.
Aux yeux du professeur de droit, le traité de Lisbonne tente de répondre au défi que pose le besoin de renforcer la démocratie au niveau européen. Le traité le fait en renforçant les pouvoirs du Parlement européen, en veillant à ce qu’il représente les intérêts des citoyens européens, mais aussi en abordant la question de l’implication des parlements nationaux ou encore de la répartition des pouvoirs entre Etats membres et institutions européennes. Ce traité réformateur marque donc un pas de plus dans le processus de modernisation et de démocratisation de l’UE. Mais, si l’on considère que le texte du traité de Lisbonne est le successeur du projet avorté de traité constitutionnel, et s’il entre en vigueur début 2010, il faut se rendre compte qu’il aura fallu plus de 7 ans pour qu’il aboutisse !
Pour Herwig Hofmann, si ce traité est difficile à lire, c’est parce que ce document très détaillé est le fruit d’une histoire complexe et des nombreux compromis qui ont dû être trouvés. Un point sur lequel Ben Fayot a abondé lui aussi, expliquant que le traité de Lisbonne, difficile à lire car il est l’héritier d’une succession de traités, avait lui aussi, comme les autres auparavant, ses imperfections. Ce qui inquiète cependant le député socialiste, c’est qu’un certain nombre de pays ont pris de plus en plus de libertés au fil du processus de décision et de ratification. Ben Fayot y décèle un manque de volonté politique de la part de certains Etats membres, et il voit là un danger pour le développement futur de l’UE.
Aux yeux du professeur de droit, après l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, l’UE aura à se lancer dans deux grands chantiers : d’une part le renforcement des droits civiques, et d’autre part la définition et le renforcement d’une politique étrangère commune.
Herwig Hofmann s’est ensuite attaché à esquisser dans les grandes lignes les principaux changements introduits par le traité de Lisbonne. Des modifications qui n’ont pas manqué de soulever de nombreuses questions.
Premier changement, qui est aussi l’un des plus visibles, c’est la création d’un poste de président du Conseil européen et d’un poste de haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité.
La création d’un poste de Président du Conseil européen ne mettra pas fin au principe des présidences tournantes exercées par les Etats membres ainsi qu’il a fallu le préciser à un citoyen inquiet à l’idée que les Etats membres ne pourraient plus profiter de ce moment privilégié pour être force de proposition au niveau européen. Les présidences tournantes ont en effet permis de rapprocher l’UE des citoyens au fil de l’histoire, et elles ont à ce titre un rôle trop important pour être remises en question. Ainsi, selon Herwig Hofmann, le président du Conseil européen aura-t-il pour rôle d’assurer la continuité et la coordination du travail mené par les présidences successives.
Ben Fayot a tenu à préciser dans ce contexte que le traité de Lisbonne faisait du Conseil européen une institution, ce qui n’est pas le cas à présent. Le temps où le Conseil consistait à des discussions au coin du feu est bien fini. Aux yeux du député socialiste, les discussions sur la fonction et les attributions du futur président du Conseil européen sont loin d’être closes. Sera-t-il un facilitateur, ou bien incarnera-t-il la direction de l’UE ? Voilà qui dépendra pour Ben Fayot de la personnalité qui sera choisie et qui fera évoluer la fonction. En tout cas, cette question apparaît à ses yeux en filigrane dans tous les débats autour de la personne qui sera nommée à ce poste qui animent la presse ces jours-ci.
De même la fonction de haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité a-t-elle soulevé des questions quant à sa place, à ses attributions et à son pouvoir. Pour Herwig Hofmann, la réponse à cette question, qui est importante, reste pour le moment incertaine. Car le haut représentant sera aussi Vice-président de la Commission européenne. Quelles seront donc les personnes qui vont l’accompagner, quel poids auront les collaborateurs détachés par les Etats membres à ses côtés et quelle place auront les fonctionnaires qui travaillent actuellement à la Commission européenne ? Pour Herwig Hofmann, le rôle qu’aura le haut représentant dépendra tant de sa personnalité que de la dynamique des institutions qui vont se construire autour de lui.
En ce qui concerne la Commission européenne, qui garde son pouvoir d’initiative, son rôle de gardienne des traités, de contrôle et son rôle exécutif, Herwig Hofmann a indiqué qu’elle garderait selon toute vraisemblance un commissaire par Etat membre. En effet, comme il a fallu le préciser à la demande de l’audience, le traité prévoyait bien, à compter de 2014, une réduction du nombre de commissaires. Et un principe de rotation égal devait être appliqué. Pourtant, à la suite du "non" au premier référendum irlandais de juin 2008, un accord politique a été trouvé au cours du Conseil européen de juin 2009 afin de garantir aux Irlandais qu’ils conserveraient, entre autres, leur commissaire. Cette modification a été introduite à un protocole qui sera ratifié lors de la signature par tous les Etats membres d’un prochain traité d’adhésion à l’UE.
Le Parlement européen, du fait de la généralisation de la procédure de codécision, devient, selon les termes de Herwig Hofmann, "l’organe central représentant les citoyens".
Les parlements nationaux seront directement impliqués dans le processus de décision européen. Pour Ben Fayot, le principe est que les parlements nationaux ne doivent plus seulement transposer, mais bien avoir une influence dès le début du processus législatif.
Ben Fayot, qui a souligné que le traité d’Amsterdam avait ouvert la voie en invitant les parlements nationaux à participer, a expliqué que le traité de Lisbonne précisait désormais comment les parlements nationaux devront intervenir. Ainsi par exemple, les parlements nationaux contrôleront le respect des principes de subsidiarité et de proportionnalité dans les propositions législatives européennes. Ainsi, la Commission européenne, qui, du fait de son pouvoir d’initiative, est souvent l’auteur de nouvelles propositions législatives, pourra être invitée à réexaminer un texte, si l’avis motivé qui lui est adressé représente au moins un tiers des voix attribuées aux parlements nationaux. Un mécanisme renforcé par le fait que si la proposition législative est contestée à la majorité simple, et que la Commission décide néanmoins de maintenir sa proposition, une procédure spécifique pourra être mise en œuvre.
Ben Fayot, qui salue ces modifications, se demande cependant comment elles seront réellement mises en œuvre. La Conférence des organisations spécialisées dans les Affaires communautaires (COSAC), dont il est membre, procède depuis plusieurs années à des simulations afin de voir comment ce système pourrait fonctionner.
Par ailleurs, depuis octobre 2006, la Commission européenne envoie aux parlements nationaux tous les textes qu’elle produit. Une cellule européenne a donc été mise en place à la Chambre et 4 personnes sont chargées de trier ces textes et de faire suivre les textes pertinents aux présidents des commissions dont les textes relèvent. Ben Fayot est bien conscient de la masse de documents qu’il s’agit de brasser et d’analyser, y compris pour le gouvernement, et il a donc exprimé le désir de travailler directement avec la Représentation permanente à Bruxelles. Cette dernière pourrait ainsi faire suivre, selon les vœux du député socialiste, ses notes et commentaires.
Car comme l’a expliqué Ben Fayot, tout texte législatif est précédé de différents documents de travail comme des livres blancs, des livres verts, puis des communications de la Commission. Le suivi et la veille doivent donc se faire bien en amont du lent processus législatif, ce qui rend le travail de la Chambre d’autant plus difficile. Et, elle a donc besoin que le gouvernement et ses services lui relaient un maximum d’informations.
La Chambre des députés fait de son côté le maximum pour s’impliquer au plus tôt dans le processus législatif. En témoignent par exemple le hearing public sur la lutte contre le changement climatique qui s’est tenu le 21 octobre 2009, en amont du Conseil européen et de la Conférence de Copenhague, ou encore le débat d’orientation prévu le 28 octobre sur le programme de Stockholm que la présidence suédoise entend mettre sur la table des chefs d’Etats et de gouvernements des 27 d’ici la fin de l’année.
Quant aux députés, il est évident aux yeux de Ben Fayot qu’ils doivent prendre conscience de l’évolution en cours qui fait qu’ils doivent avoir une dimension tant locale, nationale qu’européenne. En effet, au Luxembourg, ce qui n’est pas nécessairement le cas dans les parlements nationaux des autres Etats membres, chaque commission parlementaire doit suivre elle-même la législation européenne dans les domaines qui relèvent de ses attributions.
La Charte des Droits fondamentaux deviendra contraignante, ce qui constitue pour Herwig Hofmann une grande avancée. Pourtant, le fait qu’elle ne soit pas applicable en Grande-Bretagne et en Pologne risque de poser un certain nombre problème d’application pour des affaires que la CJCE devra traiter et qui concerneront plusieurs Etats membres.
Pour ce qui est de savoir si ces dérogations signifient que le traité de Lisbonne, comme le traité de Maastricht auparavant, renforce le principe d’une Europe à deux vitesses, ainsi que l’a demandé un des participants, Herwig Hofmann estime que l’Europe à deux vitesses existe de fait. En témoignent la zone Euro ou encore l’espace Schengen. Mais de fait, Lisbonne poursuit ce qui existe, et cette flexibilité, qui permet d’avancer pas à pas, sans qu’il soit toujours nécessaire de trouver un accord unanime au même moment – ce qui sera toujours plus difficile au vu du nombre croissant d’Etats membres - , elle est, aux yeux du professeur de droit, positive.
Les compétences entre les Etats membres et l’UE seront clarifiées : l’UE aura des compétences exclusives, où elle sera seule compétente, des compétences partagées, ainsi que des compétences d’appui, de coordination ou de complémentarité. Et les Etats membres pourront effectuer un contrôle du principe de subsidiarité.
Pour Ben Fayot, le traité renforce les grands pays dans l’UE. La création d’un poste de président du Conseil européen répond en effet à une demande des grands pays qui ont vu leur influence s’amoindrir au fil des élargissements. Sur le plan politique, il s’agit donc pour le député socialiste d’une tentative des grands pays de renforcer leur influence au sein des institutions.
Herwig Hofmann estime quant à lui que les élargissements successifs ont fait que les petits Etats membres sont désormais plus nombreux que les grands. De plus, le poids de la Commission européenne, qui, par son indépendance et ses pouvoirs renforcés, veille à la protection de l’intérêt général, vient renforcer cet équilibre. Le professeur de droit n’a donc aucune inquiétude à cet égard.