A l'occasion de la conférence internationale sur les élections européennes de 2009 qui s'est tenue à Luxembourg les 11 et 12 décembre 2009, Nathalie Brack, de l’Université Libre de Bruxelles, et Philippe Poirier, de l’Université du Luxembourg, ont proposé une labellisation provisoire pour certains mouvements dits "eurosceptiques" qui ont en commun d’être "anti méthode communautaire". Il s’agissait aussi pour eux d’analyser les évolutions des positionnements politiques récents de ces mouvements. Ils ont pour ce faire analysé les manifestes, chartes constitutives et déclarations des différents groupes politiques assimilés ou ayant manifesté un soutien à certaines des initiatives des partis identifiés comme "anti méthode communautaire".
La profusion de classifications existantes montre pour les deux chercheurs les difficultés à saisir ce phénomène. Les modèles présentés par les chercheurs en matière d’euroscepticisme au niveau national font la distinction entre "Hard" et "Soft" euroscepticisme selon Paul Taggart et Aleks Szczerbiak, ou entre euroscepticismes conservateur, global communautaire et extrémiste selon Laure Neumayer, entre euro-enthousiastes, euro-pragmatiques, euro-désillusionnés et eurosceptiques selon le modèle de Petr Kopecky et Cas Mudde et enfin entre euroscepticismes providentialiste et démocratique selon le modèle Sørensen / Sunnus.
Le modèle développé par Nathalie Brack et Olivier Costa analyse lui l’euroscepticisme au niveau supranational en faisant la distinction entre eurodéputés résignés, anti-UE, minimalistes et réformistes.
Les souverainismes témoignent eux aussi d’une pluralité de doctrines politiques, comme le souverainisme libéral (porté par exemple dans le Discours de Bruges de Margaret Thatcher de 1988), le souverainisme national / populaire (dont a pu témoigner par exemple la Déclaration des Etats généraux de la Souveraineté en 1997) ou encore le souverainisme régional (qu’illustre par exemple la déclaration d’Oviedo de 1997).
Ces tentatives de catégorisation ont fait l’objet d’analyses critiques. Car en effet, le phénomène, qui n’est pas nouveau, est mouvant en raison même de l’évolution de l’UE. Par ailleurs, si leur classification est problématique, c’est aussi parce que les mouvements dits eurosceptiques sont de nature le plus souvent réactives. En bref, les deux chercheurs constatent une grande ambiguïté conceptuelle et soulèvent un problème d’opérationnalisation du concept.
Les deux chercheurs se sont donc interrogés sur la nature actuelle du régime politique de l’Union européenne, ainsi que sur l’existence éventuelle de clivages qui le traversent. Le régime politique de l’Union européenne a pour principe directeur la "méthode communautaire", à savoir le fonctionnement institutionnel du premier pilier sur une logique d’intégration.
Les partis politiques européens se positionnent soit comme créateurs de ce régime politique européen, - c’est le cas du PSE, du PPE et de l’ALDE, - soit comme contestateurs de certaines politiques du régime politique européen, - c’est le cas du Parti de la Gauche européenne et des Verts, - ou ils proposent un autre régime politique européen, et les chercheurs citent dans ce cas l’Alliance libre européenne, le Parti démocrate européen ou encore l’Alliance pour l’Europe des Nations et l’Alliance des Démocrates indépendants en Europe.
Philippe Poirier et Nathalie Brack proposent, pour les partis politiques qui rejettent ou proposent d’organiser l’UE et/ou la Construction européenne d’une autre manière qu’à travers la "méthode communautaire", la nouvelle labellisation : "anti-méthode communautaire".
Cette dénomination, qui est provisoire comme le soulignent les deux chercheurs, permet de distinguer des partis qui critiquent les politiques publiques de ceux qui proposent une alternative dans le fonctionnement du régime de l’UE et elle permet de s’appuyer sur le langage utilisé par les partis.
En 2009, les deux chercheurs ont observé peu de changements fondamentaux concernant les mouvements "anti méthode communautaire" au sein du Parlement européen par rapport aux trente dernières années. Ils notent en effet la persistance de la surreprésentation de l’euroscepticisme britannique, le fait que sur un axe gauche/droite, le rapport est clairement favorable aux partis de droite et ils observent, au sein de cet euroscepticisme de droite, deux tendances principales, l’une étant conservatrice et souverainiste et l’autre nationaliste. Autre fait noté, l’instabilité de ces groupes tant en termes de constitution, de pérennité que de dénomination. Les deux chercheurs relèvent cependant le développement d’une contestation de l’Europe dans les Etats issues de la double monarchie austro-hongroise, à savoir l’Autriche, la Hongrie, la République tchèque et la Slovaquie.
Pendant la période 2004 – 2009, Nathalie Brack et Philippe Poirier distinguent un moment "conventionnel", au cours duquel ils ont pu noter des convergences et une certaine légitimité des revendications des représentants des mouvements traditionnellement opposés à la méthode communautaire, et un moment "référendaire" marqué par une résurgence d’une critique fondamentale des politiques sociales et économiques de l’UE. Les principales critiques formulées par les mouvements "anti méthode communautaire" sur les traités constitutionnel et de Lisbonne, ce sont l’idée d’un super Etat européen et le fait que ces textes seraient sans légitimité démocratique.
Parmi les principaux enseignements que tirent les deux chercheurs de cette période, ils notent la division entre les conventionnels membres de l’Union de l’Europe des Nations, qui, en se montrant favorables à la ratification, se sont révélés être "euro-pragmatiques", et ceux des Démocraties et des Différences, opposés à la ratification et clairement souverainistes. Par ailleurs, les deux chercheurs relèvent que les "anti méthode communautaire" se divisent également sur les axes politiques économiques / politiques sociales et politiques de sécurité intérieure et extérieure / politiques environnementales, reproduisant la division entre souverainistes libéraux et souverainistes nationaux populaires. Ils partagent en revanche tous la volonté de reproduire sinon de restaurer les instruments du contrôle démocratique qui caractérisaient selon eux les démocraties nationales. Les deux politologues, qui ont relevé la tentative de créer un parti paneuropéen anti-méthode communautaire, Libertas, remarquent par ailleurs que les dirigeants issus de cette mouvance ne sont plus isolés dans le processus décisionnel européen.
Pour les élections européennes de juin 2009, Philippe Poirier et Nathalie Brack font part d’une démobilisation de l’électorat traditionnellement eurosceptique. Un tiers d’entre eux en effet ont renouvelé leur vote, la plupart des autres s’étant abstenu.
A droite, les mouvements anti-méthode communautaire, malgré une légère progression du nombre d’élus, ont une capacité d’influence sur le système décisionnel qui reste limitée du fait de divisions, d’alliances différentes, du retranchement de certains parmi les "non-inscrits" ou de l’existence éphémère des mouvements. Finalement, les partis ayant progressé sont ceux qui ont su associer plusieurs thèmes politiques avec des discours "anti-méthode communautaire".
A gauche, les deux politologues observent que les mouvements "anti méthode communautaire" qui avaient soutenu le "non" au référendum n’ont pas su faire preuve de la capacité de transformer ces « non » de gauche en vote pour leurs candidats.
En conclusion, les deux politologues ont mis en exergue le caractère désorganisé et limité de la contestation de l’euroscepticisme de droite ainsi que le déclin structurel de l’euroscepticisme de gauche. La diversité observée, tant à gauche qu’à droite, nécessite selon les deux chercheurs des concepts opérationnalisables. Leur proposition de labellisation sous le terme "anti méthode communautaire" est pour le moment provisoire et elle mérite selon eux d’être approfondie.