Le Vice-Premier ministre, ministre des Affaires étrangères du Luxembourg, Jean Asselborn, a été invité à prononcer le discours du banquet de couronnement ("Krönungsfestmahl") qui s’est tenu à Aix-la-Chapelle le 23 octobre 2010. Cet événement annuel est organisé par l’association "Rathausverein Aachen e. V." qui se consacre à la conservation et l’entretien de la mairie d’Aix-la-Chapelle, bâtiment historique et emblématique de la ville.
Dans son discours, Jean Asselborn a tiré un bilan intermédiaire, à l’approche de la date anniversaire de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, du processus d’intégration européenne. Ce texte qui a été tant attendu est, selon le ministre, "ambitieux et clairvoyant dans sa substance". Et, alors qu’il s’attend à des commentaires moins positifs dans les médias à l’occasion de cet anniversaire qui sera l’occasion d’un premier bilan, Jean Asselborn a appelé à ne pas "tirer de conclusions trop précipitées" en rappelant, nombreux exemples à l’appui, les nombreux aléas que l’histoire européenne a connus.
Revenant sur la phase "post-Lisbonne" qu’il qualifie de "décisive", Jean Asselborn a rapporté avoir observé par moments "une tendance à l’intergouvernemental". Alors qu’il s’agit de "renforcer les institutions dans les discours", "la politique se forge exclusivement dans les capitales", regrette ainsi le ministre.
S’il salue le fait que le Conseil européen ait désormais le statut d’une institution, Jean Asselborn précise cependant qu’il ne doit en aucune manière s’agir de la "seule institution toute-puissante" dans l’UE. Cela aurait en effet selon lui pour première conséquence de "saper la méthode communautaire". Mais cela conduirait aussi à ses yeux à des décisions et positions basées sur le plus petit dénominateur commun du fait de la nécessité d’un consensus au Conseil, ce qui ferait perdre de sa substance au vote à la majorité qualifiée qui représente selon lui un des aspects essentiels du traité de Lisbonne. Enfin, le Parlement européen se verrait de la sorte refuser les nouvelles et importantes compétences dont l’a doté le traité. "On ne peut pas laisser l’Europe prêcher l’intégration et boire au calice des intérêts nationaux", a ainsi lancé Jean Asselborn.
Pour Jean Asselborn, "avec une population plus importante que celles des Etats-Unis et de la Russie comptées ensemble, l’UE n’est pas seulement la plus grande puissance commerciale du monde, mais aussi, par la force des choses, un acteur global". Aux yeux du ministre, l’UE doit en effet "prendre sa part de responsabilité en coopération avec ses partenaires, et en tenant compte de ses méthodes d’action spécifiques".
"La politique étrangère européenne reste en dehors de la méthode communautaire", a rappelé le ministre pour souligner qu’il en serait sans doute ainsi encore le temps d’une génération.
Jean Asselborn l’explique par le fait que deux Etats membres de l’UE, à savoir la France et l’Allemagne, sont au conseil de sécurité de l’ONU et y disposent du droit de veto, tandis que par ailleurs quatre Etats membres sont représentés au G8 et six au G20. S’il se dit conscient que cela sera difficilement envisageable à court ou moyen terme,
Jean Asselborn plaide cependant pour que l’UE puisse être représentée de façon "plus compacte et donc plus efficace". Cela serait selon lui "dans l’intérêt de tous les Etats membres", puisque la Chine et les Etats-Unis sortent finalement toujours "vainqueurs" des réunions de ces différents fora dès que les pays de l’UE s’opposent les uns aux autres. "Est-il normal que le représentant politique de l’Eurogroupe ne soit pas assis parmi les ministres des Finances du G20 alors que s’y retrouvent six ministres des Finances européens ?", a poursuivi le ministre, estimant que "la logique politique devrait changer sur ce point dans l’intérêt de l’Europe".
Jean Asselborn a cependant fait aussi état des "grands progrès" réalisés en matière de politique étrangère européenne. Citant pour exemple la position prise lors du Conseil de septembre sur l’arrêt de la colonisation israélienne, il a aussi évoqué la position européenne concernant l’Iran ou encore la Serbie comme de "bons exemples qui prouvent qu’une politique étrangère efficace peut aussi émerger du consensus".
Pour le chef de la diplomatie luxembourgeoise, la crise financière et la politique d’austérité qui l’a suivie "ont contribué à renforcer les rivalités". "On ne craint plus de chicaner les plus petits alliés et de remettre en question leur droit à l’existence quand les chiffres des sondages réclament un bouc émissaire, comme le Luxembourg en a fait les frais", a expliqué Jean Asselborn qui salue cependant le fait que "notre grand voisin semble avoir pris le chemin de la raison dans ses relations avec les autorités bruxelloises", ce qu’il juge "bon pour la France" et "bon pour l’UE".
Pour autant, "la solidarité ne se limite pas aux relations interétatiques", a plaidé Jean Asselborn qui a insisté sur son importance pour la vie des citoyens au quotidien. Déplorant "une montée des populismes de droite au cœur de l’Europe", évoquant "des débats sur les questions d’intégration et d’identité qui suscitent le malaise un peu partout en Europe", dénonçant un retour du "chauvinisme" dont on semble avoir oublié les conséquences dramatiques, Jean Asselborn a tenu à réaffirmer que la culture européenne était caractérisée par la diversité, le multiculturalisme et le respect de l’autre.
Pour Jean Asselborn, qui ne partage pas le constat d’un échec du multiculturalisme, ce sont en effet "ces valeurs qui nous distinguent d’un paysage culturel monolithique" et il ne faut en rien sacrifier la diversité, la tolérance et l’ouverture. Aux yeux du ministre, les débats sur l’immigration et l’intégration ne sont pas les seuls enjeux. Il en va en fait selon lui de "la crédibilité de l’Europe". Il s’agit pour Jean Asselborn de montrer l’exemple.
"Pour le pays que je représente, l’Europe devrait être une communauté de valeurs", a conclu Jean Asselborn, soulignant qu’aucun traité ne pouvait suffire à cela. A ses yeux, "l’Europe a besoin de citoyens et d’hommes politiques clairvoyants qui ont le courage de défendre leur conviction européenne". Car "les Européens seront jugés à l’aune de la crédibilité de leur attitude à l’égard des valeurs fondamentales qui sont ancrées dans le traité de Lisbonne".