Principaux portails publics  |     | 

Politique régionale
Paul Helminger propose aux maires de communes frontalières de "réinventer le territoire" pour mieux répondre aux besoins et aux attentes des citoyens
19-10-2010


En mars 2010, le bourgmestre de la Ville de Luxembourg, Paul Helminger, évoquait, dans une intervention faite en marge d’un congrès de politologues, les difficultés qu’ont à se positionner les villes situées à proximité des frontières. Entre les dévolutions de souveraineté faites progressivement par les Etats à l’UE au fil de l’intégration européenne et le processus de transferts de compétences vers les régions et les communes, qui varie beaucoup selon les pays, les besoins et les demandes de populations qui changent sont désormais difficiles à comprendre et ni les Etats seuls, ni la Grande Région ne parviennent à offrir un cadre approprié pour y répondre. Paul Helminger, bourgmestre de la ville de Luxembourg

Paul Helminger, qui constate par ailleurs un phénomène mondial de renaissance des villes, proposait donc de "réinventer le territoire" en promouvant notamment la coopération entre collectivités situées de part et d’autre de la frontière. Car si certaines villes font un peu partout en Europe fi des frontières et coopèrent, comme c’est le cas dans la Grande Région des réseaux Quattropole ou Lela +, il n’existe pas de cadre pour faire fructifier la volonté politique des élus, pas de territoire à la mesure de ces réalités quotidiennes.

Saisissant cette piste, la fondation Forum Europa et Europaforum.lu ont invité le député maire de la ville capitale à développer ses thèses afin de les soumettre à la discussion avec ses pairs. Un débat public a donc été organisé le 19 octobre 2010 au Cité. Karl-Heinz Frieden, maire de la ville de Konz, Bertrand Mertz, maire de Thionville, et Christophe Sohn, chercheur au CEPS/Instead avaient répondu présents à l’invitation.

Paul Helminger a dans un premier temps présenté les cinq thèses, toutes basées sur des constats qu’il a pu faire. Karl-Heinz Frieden, Bertrand Mertz et Christophe Sohn ont ensuite réagi à ses constats et propositions avant de laisser la place au débat avec la salle.

Paul Helminger plaide pour la création d’un observatoire d’études et de recherches transfrontalières afin de mieux comprendre le phénomène transfrontalier

Paul Helminger regrette tout d’abord que la réalité des "navetteurs" ou "frontaliers" soit bien souvent, en dehors de quelques constats ponctuels et statiques, mal connue et peu analysée. Ce manque de connaissances, l’absence de données pertinentes, d’analyses et de recherches précises constituent à ses yeux un véritable handicap pour comprendre la dynamique du transfrontalier et son impact sur le territoire.

Aussi, Paul Helminger, appelle-t-il à "améliorer notre compréhension sur ce qui fait – et sur ce qui risque de défaire – notre territoire". Pour ce faire, il jugerait bon de créer un observatoire d’études et de recherches transfrontalières pour obtenir une véritable plateforme d’échange d’informations et un référentiel dynamique et pratique de données, de structures et de processus en temps réel.

Si, pour Bertrand Mertz qui ne peut que saluer cette proposition, "créer un observatoire ne va pas résoudre notre problématique", Christophe Sohn a pour sa part pleinement souscrit à ce premier constat fait par Paul Helminger. Christophe SohnLes questions transfrontalières ont certes pris une place centrale dans les travaux de recherche des géographes du CEPS, mais le chercheur, qui coordonne le programme Metrolux, témoigne d’un besoin toujours important de renforts et de synergies et il a donc fait part de son espoir qu’une telle plateforme se concrétise.

Au-delà des recherches menées sur le phénomène du travail transfrontalier, l’équipe de Christophe Sohn  se concentre plus largement sur les dynamiques d’intégration spatiale qui incluent l’analyse de choix résidentiels, de pratiques culturelles, de transports ou encore de modes de gouvernance. Et le cadre de recherches a par ailleurs été élargi à d’autres régions métropolitaines transfrontalières d’Europe, ce qui permet de comparer les différents cas. Parmi les travaux en cours, Christophe Sohn a ainsi annoncé la sortie prochaine, chez Peter Lang, d’un ouvrage sur l’émergence de la région métropolitaine transfrontalière qui se constitue autour de Luxembourg ou encore la mise en ligne d’ici quelques jours d’un atlas numérique transfrontalier.

Il faut aller à la rencontre de "cette tribu migratoire qui n’est chez elle nulle part", selon Paul Helminger qui s’inquiète du manque de participation politique des frontaliers

Autre constat fait par le Paul Helminger, les frontaliers ont du mal à se faire entendre, politiquement, que ce soit dans leur commune d’origine ou dans leur commune de destination. S’ils ont peu de temps sans doute pour s’engager politiquement dans leur ville, ils sont peut-être aussi confrontés à des tensions possibles dans leurs relations avec leurs concitoyens qui ne sont pas des travailleurs frontaliers.

Cette "tribu migratoire qui n’est chez elle nulle part", il conviendrait selon le député-maire d’aller à sa rencontre, et de créer des outils participatifs pour lui permettre de s’exprimer. Pourquoi ne pas organiser aussi la vie locale de façon à donner à ces concitoyens les moyens de s’exprimer, pourquoi ne pas nommer, dans chacune des villes Paul Helminger et Bertrand Mertzconcernées, une sorte de médiateur pour ces questions ?

Pour Bertrand Mertz, les frontaliers ont su cependant se faire entendre récemment au sujet de la loi supprimant les allocations familiales pour les étudiants. Il reconnaît cependant que les frontaliers, qu’il décrit comme "une population repliée sur elle-même", sont "peu participatifs". Mais sont-ils parfaitement intégrés, à niveau égal, dans la communauté qu’ils constituent avec leurs collègues ? Ne sont-ils pas par ailleurs regardés avec envie dans leurs villes de résidence et invités ainsi à ne pas se faire trop remarquer ?

Le bourgmestre de Luxembourg appelle à intégrer la dimension transfrontalière dans les politiques municipales

Pour donner plus de visibilité à la dimension transfrontalière de l’action politique il faut aussi formaliser cette volonté politique. Pour Paul Helminger, il conviendrait donc d’intégrer la dimension "Grande Région" ou transfrontalière dans les politiques municipales.

Le bourgmestre de Luxembourg propose ainsi de nommer un échevin ou un maire adjoint "aux affaires transfrontalières" ou encore de mettre en place une structure opérationnelle au sein des administrations communales qui serait chargée de coordonner les travaux sur ces questions.

Les villes – et les citoyens – devraient avoir toute leur place au sein des différentes structures de coopération dont la bonne articulation sera la garante d’un projet cohérent

La Grande-Région, ce sont 11 millions d’habitants a rappelé par ailleurs Paul Helminger qui souligne que les centres de décision des entités constitutives de la Grande Région – comme Liège, Namur ou Mayence - sont périphériques finalement à cet espace. Les institutions de la Grande Région sont donc composées de décideurs qui ne proviennent pas du cœur de cet espace. Et il y a là peu de place pour les communes.

Les villes doivent donc peut-être prendre l’initiative, le secteur privé pourrait aussi être encouragé. Dans un souci de visibilité, Paul Helminger appelle donc à ouvrir les structures de coopérations existantes tant vers les citoyens que vers les autres structures de coopération.

Pour Christophe Sohn, observateur patenté des structures de coopération et de leur articulation, la plus grande implication des villes aux processus de coopération semble une évidence. Il y a en effet à ses yeux une contradiction entre la volonté de construire une métropole transfrontalière sans les villes qui ont un rôle essentiel à jouer et qui ne sont pas pour autant reconnues à leur juste valeur dans ce processus. Le géographe n’oublie pas non plus les espaces interstitiels peu urbanisés qu’il s’agit de veiller à impliquer pour pouvoir arriver à une bonne articulation des différents niveaux de territoires garante d’un projet transfrontalier cohérent.

Christophe Sohn et Karl-Heinz FriedenChristophe Sohn plaide par ailleurs pour un renforcement de la coopération communale. Conscient qu’elle n’est simple ni au niveau national (elle est d’ailleurs embryonnaire au Luxembourg), ni au niveau de communes transfrontalières, le chercheur a cependant cité comme exemple réussi les communes françaises se situant à proximité du canton de Genève qui, dans les années 90, se sont constituées en association, l’Arc du genevois, pour pouvoir faire office de partenaire de coopération pour le canton genevois. Rejointe ensuite entre autres par la région Rhône-Alpes, cette association a permis de faire avancer le projet d'Agglomération franco-valdo-genevois.

Enfin, l’implication du secteur privé évoquée par le bourgmestre devrait elle aussi être renforcée pour Christophe Sohn qui, pour illustrer le potentiel réel qui réside là, à évoqué l’exemple de l’émulation créée à Bâle par la création de Metro-Basel qui a impliqué dès ses débuts nombre de partenaires privés.

Questions de territoires et d’identités pour un meilleur vivre-ensemble : pour Christophe Sohn, la solution réside dans la valorisation symbolique de la frontière

Enfin, Paul Helminger, soucieux de ne pas supprimer les frontières pour en réinventer de nouvelles, appelle à dépasser ces dernières et à tenter de donner corps à la notion de concitoyens au cœur de la Grande-Région.

La vision du bourgmestre de Luxembourg se base là sur un territoire redéfini en tant que territoire commun des concitoyens, de territoire partagé au quotidien, et il s’agit donc d’un espace qui se trouve au cœur de la Grande-Région. Faciliter la vie quotidienne et résoudre ensemble les problèmes liés à ce vivre-ensemble pourraient ainsi être une mission pour les villes et les communes.

Karl-Heinz Frieden estime nécessaire de créer de l’identification à la Grande Région. A ses yeux, Luxembourg en est le cœur, ce qu’il faut reconnaître explicitement selon lui, et il reconnaît d’ailleurs sans peine que nombre de ses concitoyens sont souvent bien plus proches des communes situés de l’autre côté de la frontière que des grandes Karl-Heinz Frieden, maire de la ville de Konzvilles plus éloignées comme Mayence qui est cependant la capitale du Land de Rhénanie-Palatinat. Pourtant, le maire de Konz souligne bien que ce "grandir ensemble" doit venir d’en bas et doit permettre de dépasser les difficultés que rencontrent les élus de villes frontalières. Car la décision vient de loin, quand la solution est souvent toute proche, de l’autre côté de la frontière, comme il a pu le démontrer exemples à l’appui.

S’il plaide pour que les gouvernements lâchent plus de souveraineté dans les régions frontalières, c’est aussi pour laisser plus de place à l’émergence de ce sentiment commun au niveau de la Grande Région qui ne peut venir que de la base et de projets qui ciblent les citoyens. Rencontres de citoyens, d’élèves, classes partagées, sport et hobbies, ou encore culture, peuvent être les lieux où cultiver ce sentiment aux yeux de Karl-Heinz Frieden. Son mot d’ordre, c’est donc de rapprocher les communes pour pouvoir rapprocher les gens et les aider à devenir des "citoyens de la Grande Région".

La langue joue à ce titre un rôle important aux yeux de Karl-Heinz Frieden, qui a appelé à la mise en place d’écoles bilingues pour que, dès la maternelle, les enfants se familiarisent et développent des affinités avec la langue du voisin.

Bertrand Mertz estime que, dans le processus d’intégration européenne qui a conduit les Etats à transférer certaines de ses compétences à l’UE, le sentiment national s’est trouvé affaibli. Or, le processus parallèle de décentralisation et de renforcement des villes, quand bien même le maire de Thionville constate que la commune reste l’entité à laquelle les citoyens sont le plus attachés, n’a selon lui pas suffi à compenser ce qu’il ressent comme Bertrand Mertz, maire de Thionvilleun manque.

"Nous ne sommes pas allés au bout de l’intégration européenne", juge en effet le maire de Thionville qui appelle de ses vœux des "Etats-Unis d’Europe" mais qui regrette l’absence de "sentiment de nation européen". La nation européenne qu’il appelle de ses vœux, elle serait polyglotte, et Bertrand Mertz a donc appelé les élus locaux à insister auprès de leurs gouvernements pour qu’ils s’engagent à faire naître une véritable nation européenne nourrie d’un sentiment d’appartenance à une même communauté de destin. Quant à la Grande-Région, "n’est-elle pas trop grande ?", a interrogé le maire de Thionville qui ressent Luxembourg comme un centre de gravité économique évident.

Pour Christophe Sohn, dépasser les frontières reviendrait surtout à effacer les barrières, les plus résistantes étant bien souvent mentales. Pour le chercheur il s’agit donc de valoriser les interdépendances pour construire une identité transfrontalière ne venant rien remplacer mais bien s’ajouter aux autres identités vécues par les citoyens. La frontière n’est en effet pas seulement une contrainte, mais aussi une opportunité, un lieu d’échange et d’hybridation dont il s’agit de faire un atout sur le plan symbolique. La frontière, objet de reconnaissance, peut servir à fédérer et même à renforcer la visibilité internationale de la région. C’est ce que tentait de faire Luxembourg 2007 en associant pour la capitale européenne de la culture toute la Grande Région, et pour Christophe Sohn, mettre en avant la frontière reste un pari à relever.

Quels moyens et quelles structures pour quelles coopérations ?

Le débat avec la salle qui a suivi a notamment tourné autour de la question des moyens financiers et des structures plus ou moins nécessaires, selon les avis, à la coopération.

Pour Bertrand Mertz, qui et convaincu que les Etats ont encore leur mot à dire, les projets de coopération doivent permettre de faire ensemble de qu’aucun ne peut faire seul. Mais, à l’image du développement du transport transfrontalier développé par le SMITU dont il est le président, il faut des moyens pour avancer selon Bertrand Mertz.

Karl-Heinz Frieden insiste lui surtout sur la nécessité d’identifier des synergies possibles entre "lieux de proximité" (et il évacue ainsi la "frontière" du nom que l’on donne à ces partenaires) afin de réaliser des économies d’échelles et d’éviter de doubler des investissements en matière de secours ou de pompiers par exemple.

Pour Paul Helminger, les réseaux de villes permettent d’identifier des projets concrets améliorant le quotidien et rapprochant les citoyens, et ce ne sont pas des projets qui coûtent forcément beaucoup. En témoigne par exemple l’analyse de la mobilité dans les communes menée en commun dans le cadre d’un projet pilote de LELA +. Pour le bourgmestre de Luxembourg, si la question des structures se posera nécessairement, à ce stade, il est cependant question de construire la confiance, de faire en sorte que chacun contribue à sa mesure à développer cette prise de conscience, à faire des politiques qui prennent en compte ces problématiques. Il s’agit donc pour le moment de faire tout ce qui peut être fait "sous le radar des institutions".

Christophe Sohn estime pour sa part que définir un projet commun, savoir ce que l’on veut faire ensemble, s’entendre sur une vision commune et aboutir à un compromis pour ce faire est primordial. Et bien plus urgent que de se soucier du financement…