Les discussions ont tourné autour de six axes :
Les 6 papiers soumis au Forum ne comptaient pas moins de 52 pages. La commissaire européenne aux droits fondamentaux et à la citoyenneté, Viviane Reding, s’est exprimée à travers un message-vidéo. Le ministre de l’Immigration et du Travail, Nicolas Schmit, concerné à double titre, a répondu à de nombreux points des revendications du Forum. Il y a eu aussi des messages du Conseil régional de Lorraine et du gouvernement sarrois qui indiquaient eux aussi des tendances en ce qui concerne la politique d’immigration en Europe et de ce fait dans la Grande Région.
Le président du CLAE (Comité de liaison des associations d’étrangers) du Luxembourg, Fulvio Berardi, dont l’association sert de siège et de centre d’animation du projet "A citoyenneté égale", a dressé le cadre d’une démarche qui tend à substituer à la citoyenneté de l’origine la citoyenneté de résidence dans un contexte où l’immigration venue d’Asie, d’Afrique, d’Amérique latine et d’Europe de l’Est a par ailleurs rendu les choses lus complexes. Le président du CLAE a également pointé vers "le durcissement de la discussion sur l’immigration en Europe" et mis l’accent sur "une autre vision de l’Europe basée sur la justice sociale"" Avec Anita Helpiquet, l’animatrice du projet, il a aussi rappelé qu’il ne fallait pas dissocier anciennes et nouvelles immigrations, l’une devant s’appuyer sur les expériences de l’autre, celle des "aînés".
Dans son message, la commissaire européenne, Viviane Reding, a déclaré que l’immigration faisait partie de l’histoire et du présent de la Grande Région, qu’elle préférait le concept d’inclusion à celui d’intégration, que l’Europe, à travers ses programmes destinés à la citoyenneté, soutenait les droits fondamentaux et le dialogue interculturel, comme aussi les jumelages entre communes, que par le cofinancement, l’on pouvait dans ce cadre organiser des expositions, des mises en réseaux, des colloques et séminaires, et qu’il fallait profiter de l’Année européenne de lutte contre la pauvreté et l’exclusion pour avancer sur certains sujets.
Xavier Bettel, député libéral et échevin de la Ville de Luxembourg aux Affaires sociales, a évoqué la situation toute particulière et unique de sa ville, celle d’une capitale qui compte plus de 65 % de non-ressortissants, mais qui ne compte pas de parti d’extrême-droite. Ce qui le réjouit plus que ce qui se passe en Suède, au Danemark, aux Pays-Bas, où la montée de l’extrême-droite lui "fait peur".
Xavier Bettel a ensuite lancé un appel aux communes luxembourgeoises pour qu’elles introduisent toutes un bureau d’état-civil unique qui ne fasse plus de différence entre entre Luxembourgeois et non-Luxembourgeois. Apparemment, la Ville de Luxembourg est en butte à de nombreuses demandes de locaux de la part d’associations d’étrangers qui ont une vocation nationale. Bettel a en tout cas expliqué que sa ville n’tait pas en mesure de répondre à ces demandes, et qu’elle était de par ses compétences obligée de favoriser les associations locales, à condition que celles-ci le renouvellent. Mais la Ville de Luxembourg serait tout à fait prête à participer à un projet national qui verrait la création d’une grande Maison des Associations qui éviterait l’écueil des maisons spécialisées, à l’instar de la Maison des Sports. En ce qui concerne le logement social, la capitale décide des attributions uniquement selon des critères sociaux, sans aucun quota basé sur la nationalité.
Si les conseils consultatifs des étrangers sont pour lui selon les communes des forces de participation importantes, le député-échevin a regretté le faible taux d’inscription des étrangers, communautaires et non-communautaires – ces derniers y ont droit après 5 années de résidence - , sur les listes d’électeurs pour les élections communales, dont les prochaines auront lieu en octobre 2011. La citoyenneté égale passe pour lui par la participation politique. Il ne faut plus non plus de citoyens étrangers alibis sur les listes de candidats.
Le ministre de l’Immigration et du Travail, Nicolas Schmit, a profité du forum pour délivrer une véritable déclaration de principes, pour évoquer la situation européenne et pour répondre à certaines revendications formulées dans les papiers de travail de "A citoyenneté égale".
Pour Schmit, la Grande Région est marquée par l’immigration depuis des siècles déjà. Il est juste de lier immigration et citoyenneté, et ce débat se situe au cœur de la démocratie qui se base depuis la Révolution française sur le principe de l’égalité devant la loi et les institutions. Avec les concepts de liberté et de fraternité, cet héritage met en équilibre les droits et les obligations de tout un chacun dans la société. Une démocratie vivante inclut et fait participer, elle n’ignore pas la diversité mais elle met l’accent sur l’unité et les valeurs communes, le respect des personnes avec leurs droits et obligations. Mais, a insisté Nicolas Schmit, une démocratie atteint vite ses limites quand les communautés qui la composent vivent juxtaposées l’une à côté de l’autre, ou si les principes d’égalité entre femme et homme ou de laïcité sont attaqués.
Et ces attaques ne viennent pas seulement de milieux islamistes. En Europe et aux Etats-Unis, l’on assiste selon le ministre au retour d’idéologies fortement identitaires et de l’exclusion. Il a cité l’Italie et la France, où il y a eu "un triste débat sur la stigmatisation d’un groupe donné", les succès électoraux de l’extrême-droite en Suède, aux Pays-Bas, en Autriche. Il y voit des menaces qui pèsent sur la démocratie. Et faisant allusion aux gouvernements européens tolérés par l’extrême-droite, il a lancé une question et sa réponse : "Peut-on pactiser avec le diable ? Non, on le combat. Sinon on est mangé par lui !"
Mais pour combattre ce diable, il faut proposer des réponses cohérentes à la société. La citoyenneté égale est un de ces débats difficiles qu’il faut selon Nicolas Schmit "mener ouvertement" dans un contexte où il faut présenter aux citoyens un vrai projet social, économique, culturel qui leur rende la confiance. Car le chômage, la crise du logement, la précarité, les inégalités croissantes, le mal-vivre sont "le terreau du repli identitaire".
C’est dans cette optique que Nicolas Schmit a répliqué à certains points abordés dans les papiers de "A citoyenneté égale". Pour le ministre, il ne fait pas de doute que les pays de l’UE sont des pays d’immigration, par nécessité économique et de par leur histoire. "La mobilité des hommes est une chose naturelle, et elle est un bien." Mais il faut savoir répondre à cette mobilité, et non pas la subir, conduire les processus et aider les gens.
Répondant aux critiques contre l’immigration choisie qui creuse selon les papiers de "A citoyenneté égale" les inégalités entre migrants et conduit à la fuite des cerveaux dans les pays d’origine, Nicolas Schmit n’a pas eu de peine à admettre qu’il y a une "course aux talents", mais qu’il ne faut pas pour autant limiter l’immigration des autres migrants. Faire venir des talents ne doit pas non plus conduire à la fuite des cerveaux. Une mobilité plus ordonnée entre le Nord et le Sud peut y suppléer. D’autre part, l’Europe a aussi besoin de personnes qui savent travailler dans d’autres métiers, qui savent soigner, s’occuper des personnes âgées, où il y a un grand besoin. Donc loin de lui de prôner la polarisation des clivages, mais plutôt la mobilité pour tous.
Plutôt que d’accéder à la revendication d’accorder aux étudiants de pays tiers le droit de travailler 20 heures par semaine plutôt que 10 heures pour pouvoir mieux subvenir à leurs études, le ministre s’exprimé en faveur de bourses qui leur permettent de se concentrer sur leurs études. Quant à un prolongement de leur droit de séjour au-delà de leur temps d’études, le ministre a signalé qu’au Luxembourg, cela était déjà le cas, puisque les étudiants diplômés peuvent rester encore 2 ans pour faire une première expérience professionnelle dans le pays.
Quant au regroupement familial, il se recoupe pour Nicolas Schmit avec le droit à une vie familiale qui est un droit de l’homme auquel le migrant doit pouvoir accéder comme tout un chacun. Le regroupement familial peut conduire à des problèmes d’intégration pour les enfants un peu plus âgés surtout, de sorte qu’il doit être organisé de façon telle à ce que l’intégration entre autres scolaire puisse être mieux assurée. Car quand l’inégalité des chances commence au cours de l’instruction, elle devient la première source de l’exclusion future.
Aux critiques sur les contrats d’accueil, Nicolas Schmit que la responsabilisation des deux parties par un tel contrat était en soi une bonne chose, mais qu’il fallait sortir du formalisme en faire un chemin vers la citoyenneté égale.
Quant à l’immigration illégale, loin de lui de vouloir la criminaliser : "Une personne n’est pas en soi illégale." Mais il faut criminaliser les trafiquants de personnes humaines, dont les revenus ont entretemps dépassé ceux du trafic de drogues.
L’asile politique pose par contre de plus en plus de problèmes. Selon le ministre, la commissaire européenne en charge, Cecilia Malmström, "est désespérée d’arriver à harmoniser les politiques en la matière". Il y a un refus d’avancer dans de nombreux pays européens à cause de l’influence de l’extrême-droite. D’où la position de Nicolas Schmit : "Si l’UE devient frileuse sur l'asile politique, elle oublie ses valeurs les leçons de son Histoire. L’UE doit organiser le droit d’asile."
Une des discussions est l’accès des demandeurs d’asile au marché du travail afin de s’assurer une autonomie financière. Le Luxembourg est pour, mais les résistances sont très fortes en UE, et le Luxembourg craint l’asylum-shopping, qui amènerait des demandeurs d’asile politique plus nombreux dans les pays qui offrent les meilleures conditions.
Certains pays sont complètement débordés par les demandeurs d’asile, comme la Grèce, où un accueil digne est devenu impossible. La solidarité européenne ne joue pourtant qu’au niveau du contrôle aux frontières.
Discuter le l’asile politique ne doit pas conduire non plus à faire l’impasse sur la discussion du retour de ceux qui ont été déboutés dans leur demande, un retour qui doit se faire dans la dignité et avec un certain soutien à la personne reconduite, même s’il ne faut pas se faire des illusions sur le fait qu’un tel retour n’est jamais vraiment volontaire.
Nicolas Schmit a terminé son intervention par un appel à l’ouverture des partis surtout, des syndicats, qui ont sur ce point déjà une longueur d’avance, et des associations aux nouveaux migrants. La double nationalité, qui s’avère être un succès au Luxembourg, devrait faire avancer la cause de la citoyenneté égale et donc aussi pleine. D’où la suggestion de Nicolas Schmit que la double nationalité soit introduite dans tous les pays de l’UE, histoire de faire avancer l’Union comme démocratie vivante.
Hans-Klaus Kunz, qui travaille pour l’Office d’intégration du Land de Sarre, a fait l’éloge des papiers soumis au Forum, utiles tant au niveau de la Grande Région que dans la discussion au niveau national en Allemagne comme argumentaire pour les décideurs politiques. La politique d’intégration est pour Karl-Klaus Kunz une projection sur le long terme qui a subi d’importantes transformations. Ce qui était encore considéré comme projet il y a 20 ou 10 ans relève aujourd’hui de la règle quotidienne. Le papier de "A citoyenneté égale" est selon lui bon aussi pour la discussion européenne où les questions d’identité nationale s’est imposé comme corollaire de la discussion sur l’intégration. En Allemagne, la fédération, les Länder et les communes vont s’imposer des efforts pour proposer des cours de langue et se donner des marqueurs pour évaluer le succès ou l’échec de leurs mesures. Dans la Sarre, on mettra l’accent sur l’égalité en matière d’accès sur le marché du travail et l’immersion des enfants de moins de trois ans dans un environnement germanophone dans les foyers de jour. Un autre aspect sera la facilitation de la reconnaissance des diplômes. Mais rien ne pourra se faire si les migrants ne participent pas. Karl-Klaus Kunz conclut donc, en tant que constructeur de ponts avec un appel à la participation.
Josiane Madeleine, vice-président du Conseil régional de Lorraine, parla de son point de vue institutionnel, le Conseil régional en France n’étant pas un organe législatif, "mais un organe qui accompagne les citoyens lorrains pour mieux vivre ensemble". Josiane Madeleine a témoigné de ce que la montée de l’extrême-droite peut signifier, puisque le Conseil régional de Lorraine compte 10 élus du Front national sur 73. "La vision de l’extrême-droite au pouvoir, c’est un refus de regarder l’autre", a-t-elle lancé, alors que tant de choses ont été littéralement construites par l’immigration.
En France, l’on parle selon elle aujourd’hui de l’immigration en des termes nouveaux et très différents : sans-papiers, réseau enseignement sans frontières pour arriver à garder à l’école des enfants de demandeurs d’asile, pensée sécuritaire anti-étrangers, et ce depuis que l’actuel président a été ministre de l’Intérieur en 2003. "En France, il existe des citoyens de seconde zone", a-t-elle déclaré. Et c’est exactement contre cela qu’elle pense que "A citoyenneté égale" travaille. Pour Josiane Madeleine, là, où les étrangers commencent à devenir les boucs émissaires, il s’en trouvera bientôt aussi parmi les natifs. Sa conclusion est une question: "Qui sera l’autre de demain ?".